Canada et Arabie Badawi, par Hedy Belhassine

Source : Proche & Moyen-Orient, Hedy Belhassine, 13-08-2018

Hommage à Chrystia Freeland, la bien nommée native de Rivière-la-Paix. Elle est ministre des Affaires étrangère du Canada, terre d’asile de ceux qui fuient la barbarie. Son nom sera à jamais associé à celui de Badawi. Badawi, le Gandhi de l’Arabie. En langue arabe, ce patronyme se décline et se conjugue désormais à tous les temps ; c’est un mot nouveau qui exprime à la fois le courage, la justice et la liberté.

Chacun connait l’histoire de ce paisible blogger saoudien emprisonné et fouetté en place publique. Son épouse Ensaf, réfugiée avec ses trois enfants à Montréal, se bat inlassablement pour la libération de Raif et de ses proches inlassablement persécutée : frères, sœurs, cousins, copains… Les pays signataires de la déclaration des droits de l’Homme sont indifférents à l’exception de la Suède, l’Allemagne, la Suisse et le Canada.

Indignée par les nouvelles arrestations de Badawi, l’Honorable dame Freeland a publiquement appelé le Royaume d’Arabie à libérer les emprisonnés de Riyad. Alors, répondant à l’audace de cette « intolérable ingérence », le roi et le petit prince ont donné 24 heures à l’ambassadeur du Canada pour faire ses valises. Puis, pour faire bonne mesure, ils ont gelé toutes les transactions commerciales et financières avec Ottawa, rappelé les quelques 7 000 étudiants boursiers et leurs familles, suspendu les relations aériennes, convoqué tous les pays arabes à se solidariser et déclenché un campagne médiatique en faveur … du Quebec libre ! Et comme dame Freeland refusait d’aller baiser les babouches de l’offensé, le roi a ordonné à ses sujets malades s’aller se faire soigner hors du Canada et il a déclenché un mini crach à la bourse de Toronto en bradant massivement quelques millions de titres.

Malgré la canicule, ces gesticulations ont été accueillies avec sang-froid. Hors la réaction bien sentie de quelques chroniqueurs de la presse canadienne, la nouvelle a été reléguée en quatrième de couverture alors qu’elle faisait la une des journaux en Arabie. À Ottawa, un porte-parole a sobrement réagit en quelques mots : « Canada will continue to advocate for human rights and for the brave women and men who push for these fundamental rights around the world ». Et d’entonner in petto in french l’hymne national : ô Canada toujours guidé par sa lumière, gardera l’honneur de son drapeau !

Les échanges commerciaux entre les deux pays sont modestes, à peine quelques petits milliards. Le pays des caribous n’a pas besoin du pétrole et du gaz arabe alors que les saoudiens raffolent du sirop d’érable et fréquentent massivement les universités et les cliniques canadiennes. L’affaire est donc en apparence dérisoire d’autant que l’ire de Riyadh ne concerne pas la livraison à l’armée saoudienne de 900 blindés au prix de 14 milliards de dollars destinés à massacrer les yéménites. Le fabuleux contrat paraît nullement menacé car les industries d’armements canadiennes sont pour la plupart des filiales de groupes US. Au pire, le marché sera repris par la maison mère et sous traité de l’autre coté de la frontière.

Fort de son expérience de fâcherie avec le Qatar qui a pourtant tourné au fiasco, Riyad a également intimé à tous ses pays vassaux d’adopter la même posture indignée. Alors, le « Parlement arabe » ; instance provisoire depuis 2001 où siègent 67 parlementaires fantômes désignés par 22 dictatures et deux démocraties en devenir, a immédiatement rugit…dans l’indifférence générale.

Le message de menace « ubi et orbi » du monarque wahhabite n’a pas d’avantage perturbé les vacances des grands qui ont repoussé à la rentrée l’examen de cette délicate guéguerre entre caribous et camélidés. Il est urgent d’attendre. À Washington on joue au golf, à Brégançon on fait la planche, à Bruxelles on s’informe, à Moscou, une porte parole a sentencieusement déclaré « l’instrumentalisation politique des droits humains est inacceptable ».

Au-delà de ce qui pourrait apparaître comme une crise diplomatique sans conséquences provoquée par un roi sénile et son héritier juvénile, l’affaire Badawi ô Canada suscite une autre interprétation. En Arabie sous protectorat des États Unis, nul ne peut imaginer que les Salman père et fils (respectivement, monarque, héritier et ambassadeur à Washington), n’aient pas avisé Donald Trump ou son conseiller Jared Kushner de leur projet d’expulser l’ambassadeur du Canada. Ce feu vert extravagant de la Maison Blanche prolonge au delà du cercle restreint du G7 les conséquences du fiasco de la réunion d’Ottawa en juin dernier et fracture à un moindre coût le puzzle de la diplomatie multilatérale.

On vous achète au prix fort l’impunité de torturer nos sujets et de massacrer nos voisins, alors taisez-vous ! Quelle sera la réplique du monde des libertés à l’arrogance de Salman ? Viendra t-elle de Londres comme en quarante ? Theresa May n’est pas Churchill. Pourtant, nul doute que la Reine Elisabeth, le Prince Philip et leurs 2,3 milliards de sujets dans les 53 pays solidaires du Commonwealth sont extremely shoked par ce chantage insensé.

Badawi n’est pas seulement l’icône de la résistance à la barbarie en Arabie, il est le marqueur de la ligne de démarcation entre les états respectueux des droits humains et les voyoucraties.

Être ou ne pas être Badawi telle est la question du moment !

Bis repetita

Cette affaire est le rebondissement de celle de 2015 publiée sous le titre « L’horreur d’Arabie, l’honneur de la Suède »

Rahif Badawi 31 ans, blogueur. Pour avoir clamé la vérité a été condamné à dix ans de prison et 1000 coups de fouet. Walid Abu Al-Khair, son avocat a été condamné à quinze ans mais dispensé de flagellation.

Le 16 janvier 2015, Rahif Badawi recevait le fouet en place public. Les images faisaient le tour de la terre. Dix jours plus tard, le nouveau roi Salman était intronisé. On s’attendait à un geste de clémence, il n’en fut rien. Sourd aux appels du couple Obama, de Merkel et même du Prince Charles, Riyadh laissa entendre qu’un nouveau procès pour apostasie aurait lieu afin de décapiter proprement les deux empêcheurs de penser en rond. A Berlin, on a hoqueté. Le vice-chancelier dépêché à Riyad a signifié le gel d’un contrat d’armement.

A Stockholm, où l’un des condamnés avait été distingué en 2012 du prestigieux Prix Olof Palme, on a manifesté. La ministre des Affaires Etrangère Madame Margot Wallström a décidé de faire part de la mauvaise humeur de son pays lors d’un sommet de la Ligue Arabe où elle était invitée. Mais au dernier moment, elle a été empêchée de prononcer son discours par les manœuvres en coulisse des Saoudiens. Alors elle s’est fâchée tout rouge : rupture de la coopération militaire avec l’Arabie ! Le geste n’est pas symbolique car la Suède, ce n’est pas seulement Nokia et Ikea, c’est aussi Ericsson, Volvo et surtout Saab, un groupe de 13 mille ouvriers qui fabrique des sous marins, de l’artillerie, des drones et des avions de chasse. La Suède c’est la 22ème puissance économique mondiale, et sa ministre des Affaires étrangères n’est pas une godiche de l’année! Agée de 60 ans, Margot Wallström a été Commissaire Européen, Vice-Présidente de la Commission Européenne, Représentante Spéciale du Secrétaire Générale de l’ONU… Sur la scène diplomatique mondiale, c’est une actrice de premier plan. Elle vient de donner une magistrale leçon de morale, inédite dans l’histoire des relations internationales.

Mais pour les Saoud, elle n’est qu’une femelle dévoilée. L’affront était trop grand, le roi Salman et sa cour sont entrés en rage. Rappel de l’ambassadeur, injonction aux pays vassaux de faire de même. Campagne de presse, appel au boycott, suspension et annulation des visas de voyages… Parallèlement, les Saoudiens ont demandé aux pays Européens « amis » de se démarquer.

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Source : Proche & Moyen-Orient, Hedy Belhassine, 13-08-2018

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