Qui sommes-nous ?

Français, nous souhaitons nous exprimer comme il n’y a pas si longtemps encore il était possible de le faire au travail, au café, entre amis ou en famille. Puisque nous constatons qu’il est devenu pratiquement impossible de discuter de questions de société sans rencontrer de tabou ou heurter l’égo de son interlocuteur, nous choisissons de le faire sur ce site.

La domination totalitaire du spectaculaire intégré

Nous considérons que jamais le Pouvoir – l’Etat moderne et ses modes d’organisation supranationaux – n’a été aussi puissant. L’ignominie des régimes totalitaires du XXème siècle nous est constamment rappelée dans les médias, mais ces systèmes de domination étaient bien moins efficaces que celui sous lequel nous vivons. La brutalité et la barbarie, exercées de manière si immédiatement tangibles ne pouvaient en effet conduire qu’à leur échec.

A la différence de ces régimes, ce que nous connaissons actuellement représente la forme la plus raffinée et ignominieuse de l’oppression, ce que Guy Debord a pu qualifier de « spectaculaire intégré ». Ce dernier allie en un subtil cocktail l’inflexibilité des totalitarismes du XXème siècle à  des modes de consommation vantant la jouissance et la recherche frénétique d’un plaisir parfaitement prédéterminé par le Marché.

Jamais le Pouvoir n’a pu disposer d’une concentration aussi forte de la technologie et de l’information. Les régimes d’antan, tout particulièrement ceux identifiés sous l’appellation « d’Ancien Régime », apparaissent relever d’une forme d’amateurisme dans les techniques d’oppression, avec de multiples failles. Aujourd’hui, la manipulation médiatico-politique associée aux activités secrètes des services de renseignements et des multiples réseaux de pouvoir permet un contrôle des masses bien plus subtil. Nous  faisons  désormais face à la version la plus déshumanisante et fanatique de l’oppression, propulsant les peuples vers un réel basculement anthropologique.

Héritiers du mouvement ouvrier

Nous puisons notre inspiration dans les différents courants de la résistance des peuples au capitalisme le plus sauvage au XIXème siècle, la Commune de Paris, les Conseils ouvriers, les rangs du POUM ou des anarcho-syndicalistes espagnols de 1936, l’Internationale situationniste ou encore plus récemment le groupe de l’Encyclopédie des nuisances. Toutes ces expériences sont sans doute critiquables et imparfaites, et leur échec historique les fait d’ailleurs passer pour des erreurs ou des fantasmagories, selon le principe que ce qui échoue est dû à l’absence de mérite. Néanmoins, elles ont au moins eu celui d’exister à un moment stratégique et d’exprimer une certaine radicalité face à la question sociale.

La satisfaction puérile d’appartenir à un groupe, comme norme de consolation psychologique à l’individu atomisé, nous est étrangère. Nous ne nous plaçons pas dans une démarche militante  pour laquelle l’augmentation du nombre d’activistes au sein d’un groupe augurerait de bouleversements à portée de main.

Nous ne croyons pas non plus aux voies de sortie par un retour à la terre, à une économie et une vie parallèle avec des principes d’auto-organisation s’épanouissant hors du Système. Les ZAD d’aujourd’hui nous apparaissent aussi futiles que le Larzac d’antan. Nous croyons que si ce système est détruit, il le sera de l’intérieur par une intervention directe dans la production, la consommation, les mœurs et la vie quotidienne.

Nous sommes convaincus qu’il y a pléthore d’alternatives, mais la puissance de manipulation et d’oppression de la classe capitaliste couplée à la faiblesse de nos contemporains empêche tout changement. Ce constat se double de la conviction que la dégradation va continuer en s’intensifiant, cette domination du petit nombre sur les masses se nourrissant imperturbablement de l’impunité des succès précédents. Etonnamment, alors que la décomposition s’accélère et que l’insatisfaction parfois ressentie devrait faire naître la critique et la renforcer jour après jour, nous déplorons qu’il n’en soit rien. Rien de tangible et de suffisamment puissant dans le contenu critique et dans le nombre des individus susceptibles de le porter n’apparaît en mesure de contrecarrer ce mouvement d’asservissement et de déshumanisation.

Nous n’aimons pas les dilettantes,
Mais pas non plus les spécialistes.

Nous ne sommes absolument pas spécialisés dans le moindre domaine de l’activité des hommes, dans le moindre thème qui mériterait critique et refondation. Nous pensons qu’il n’y a pas un seul secteur de la vie moderne qui échappe à la critique nécessaire et c’est pourquoi nous nous considérons « spécialistes » et « experts » en tout domaine, désireux de ne pas laisser à l’ignorance moderne et médiatique l’apanage de la seule connaissance. Nous partons du principe que si le monde était organisé par des hommes capables, « experts » au savoir incontestable et à l’honnêteté évidente, il ne serait pas dans l’état catastrophique dans lequel nous le trouvons.

Il s’agit plus que jamais de ne pas parcellariser l’expression de la critique, celle-ci doit être totale et s’exercer sur tous les fronts. S’en tenir à un registre isolé, qui à l’économie, qui à la géopolitique, qui aux mœurs, qui à la technique, qui à l’environnement, qui à l’identité, reste un piège majeur.

Le Système exerce une oppression avec une logique globale et totalisante, c’est donc de manière globale en débusquant toutes les connections qui unifient son projet, mais aussi dans le détail, que nous devons l’accuser, et tenter de lui nuire aussi modestement soit-il. Depuis longtemps déjà, l’urgence de cette opposition déterminée à l’inqualifiable condition de l’homme moderne est affirmée par certains individus isolés ou en petits groupes.Il convient de reprendre cette initiative au moment où la décomposition s’intensifie et s’accélère.

Le Pouvoir moderne « fait table rase du Passé », et se montre en cela, comme le système capitaliste qui le sous-tend, réellement « révolutionnaire ». Il nous appartient de dénoncer cette entreprise en réhabilitant le Passé afin de ne pas se laisser imposer un Futur déshumanisé dépassant par son contenu les plus épouvantables romans de « science-fiction ».

 


La saucisse avait la peau en caoutchouc, bien entendu, et mon dentier provisoire n’était pas trop bien ajusté. J’avais donc à faire une sorte de mouvement de scie pour entamer la peau. Et tout d’un coup, crac ! la chose m’éclate dans la bouche, comme une poire pourrie et je sens une atroce substance molle se répandre sur ma langue. Quant au goût ! Sur le moment je ne pouvais pas le croire. J’ai refait une tentative, j’y suis allé avec la langue une deuxième fois. C’était du poisson. Une saucisse qui se prétend de Francfort, pleine de poisson ! Je me suis levé et j’ai décampé sans toucher à mon café. Dieu sait quel goût il aurait pu avoir.

[…]

J’avais toujours cette mélasse sur la langue, et me demandais où la recracher. Je me rappelai avoir lu un jour un article sur les usines d’alimentation qu’il y a en Allemagne, où tout est fabriqué avec quelque chose d’autre. L’ersatz, ils appellent ça. Alors ça m’est revenu. L’article disait qu’ils font des saucisses avec du poisson et le poisson avec quelque chose d’autre, faut croire. Tout ça m’a donné l’impression d’avoir mordu dans le monde moderne, d’avoir découvert de quoi il est vraiment fait. Voilà ce qu’on nous prépare. Un monde où tout est brillant et facile, truqué et rationalisé, et tout est fait avec quelque chose d’autre. Partout le celluloïd, le caoutchouc, l’acier chromé et les lampes à arc dans la nuit. Des toits de verre au-dessus de la tête des gens, toutes les radios jouant le même air, plus de végétation nulle part, un monde bétonné, des toitures artificielles broutant sous les arbres fruitiers « neutres ». Quand vous touchez du doigt la réalité et mordez dans quelque chose de solide, une saucisse par exemple, voilà ce que vous trouvez – du poisson pourri dans une peau de caoutchouc. De la saleté qui vous explose dans la bouche.

Un peu d’air frais, George Orwell, publié en 1939, Editions Ivrea, Paris, 2009, page 35.

 


Nous n’aimons pas les dilettantes,
Mais pas non plus les spécialistes.
Nous aimons l’absence de calcul, mais aussi la prévoyance, la prudence et la ruse.
Nous n’aimons ni ce qui dure après son temps,
Ni ce que ne sait pas durer.
En un sens nous sommes bien de notre époque :
Nous tenons à elle comme à la corde le pendu.
Nous nous savions gens de passage,
Mais les villes que nous parcourions sont passées plus vite que nous.
Et où aller?
Quand il faut se reposer,
Où s’arrêter?

Nous ne voulons ni commander ni obéir,
Mais écouter celui qui sait de quoi il parle,
Etre écoutés quand à notre tour nous savons.
Nous voulons que la pensée soit un plaisir,
Et que le plaisir ne soit pas sans idées.
Il nous faut la vie entière,
Sans feu ni lieu mais avec chaleur et confiance,
Sans patrie ni frontière, mais non pas sans fidélité.
Bref, nous sommes gens de notre époque
(Nous lui convenons aussi peu qu’elle nous convient)
Et nous ne désespérons pas d’accorder tout cela.

Jaime Semprun, Dialogues sur l’achèvement des temps modernes, 1993, Editions de l’Encyclopédie des Nuisances.