Combien de gens meurent réellement de la grippe ?  

Article du 23/01/2017

Illustration : COVID-19 : point épidémiologique du 10 septembre 2020

Des chiffres variés circulent, mais il est en réalité impossible d’estimer de manière précise le nombre de victimes du virus.

La grippe, qui s’affiche partout en ce début d’année, n’a peut-être plus de secret pour vous. Mais pour les épidémiologistes, chargés d’établir la comptabilité funèbre des victimes du virus, elle reste un véritable casse-tête. «Chaque épidémie voit ressortir les chiffres de mortalité les plus extravagants qui varient de 1 à 15, à tel point que même notre ministre de la Santé n’ose plus en citer», souligne sur son blog le médecin généraliste Jean-Baptiste Blanc. Il tente d’y comprendre pourquoi les médias reprennent inlassablement le chiffre de 18.300 morts supplémentaires dénombrés lors de l’hiver 2014-2015, tandis que l’agence nationale Santé Publique France estime à 9000 le nombre de décès annuels dus à la grippe recensés entre 2000 et 2010 et que le Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDc) brandit celui de… 431 morts de grippe en moyenne chaque année!

«En réalité, ces chiffres font tous sens mais ils ne correspondent pas à la même chose», explique Daniel Lévy-Bruhl, responsable de l’unité infections respiratoires et vaccination à Santé Publique France. Le chiffre de 18 300 correspond à l’excès de mortalité observé durant l’hiver 2014-2015, lié principalement à la grippe mais aussi «à d’autres facteurs hivernaux» (hausse du risque cardio-vasculaire, présence d’autres virus…), précise le bilan de mai 2015. Celui de 9000 morts, lui, est une estimation moyenne de la surmortalité annuelle liée à la grippe. «Ces deux données ne sont pas incompatibles. L’un est une observation à une année déterminée, l’autre est une moyenne, poursuit Daniel Lévy-Bruhl, coauteur du rapport de Santé Publique France d’où sont issus ces chiffres. La différence du simple au double s’explique par le fait qu’il y a des années sans excès de mortalité, comme ce fut le cas en 2016.»

Et puis il y a les 431 décès recensés par le CépiDc, un laboratoire de l’Inserm chargé d’élaborer chaque année la statistique des causes médicales de décès. Pour obtenir ce chiffre, les chercheurs ont comptabilisé les certificats de décès complétés par les médecins mentionnant la grippe comme cause de la mort. Comment expliquer alors que, sur les 9 000 décès annuels supplémentaires liés à la grippe estimés par Santé Publique France, seuls 431, soit 5 %, aient été identifiés comme tels par le CépiDc?

Décès indirectement liés au virus

«La grippe n’est pratiquement jamais la cause immédiate de décès. Bien souvent, les médecins ne savent même pas que le défunt était porteur du virus, c’est pourquoi ce n’est pas inscrit sur le certificat», explique Pierre-Yves Boëlle, biostatisticien et professeur en épidémiologie à l’université Pierre-et-Marie-Curie (Paris). «Chez les personnes âgées touchées par la grippe, l’essentiel des décès survient avec retard par rapport à l’infection grippale, soit parce que des bactéries profitent de la faiblesse du patient pour le surinfecter, soit à la suite des décompensations liées à un état général précaire. Dans ce cas, la grippe n’est souvent pas mentionnée sur le certificat de décès», renchérit Daniel Lévy-Bruhl. Cette minutieuse comptabilité ne peut donc aboutir qu’à une grossière sous-estimation de la mortalité due à la grippe.

À l’inverse, le chiffre de 18 300 est, lui, le fruit d’une surestimation. Comment a-t-il été calculé? «En l’absence d’épidémie, la courbe de mortalité suit un mouvement périodique, qui comprend un pic hivernal. À partir de ce modèle, on recense tous les décès supplémentaires qui surviennent en période d’épidémie grippale et on les attribue à la grippe, explique le Pr Boëlle. Certes, il y a des biais méthodologiques et des écarts importants entre les données. Mais c’est la meilleure estimation statistique dont nous disposons actuellement.» Une approche d’ailleurs adoptée par tous les pays européens.

Le brouillard épidémiologique qui entoure le nombre de décès imputables au virus pose aussi la question du nombre de morts évitées grâce au vaccin, estimées à 2 500 par an, par Santé Publique France. «Nous ne disposons pas aujourd’hui de preuve de bonne qualité que la vaccination réduit la mortalité chez les personnes âgées, cependant elle évite des infections, donc a priori des décès», souligne le Pr Boëlle.

Source : Combien de gens meurent réellement de la grippe ?  

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