Dans son article publié le 11 janvier 2019 dans le journal de Bernard Arnault Les Échos et intitulé « Les Gilets jaunes et les idées reçues sur la finance », le journaliste Étienne Goetz a cru bon de mentionner Égalité & Réconciliation et son président Alain Soral. Polis, nous avons pris la peine de lire avec attention son argumentation ce qui nous a donné envie d’y répondre.
Il nous a semblé important de rétablir quelques vérités et de dénoncer les falsifications, omissions et autres manipulations dont regorge l’article sur deux sujets essentiels : la loi de 73 et la robustesse du secteur bancaire français.
Tout d’abord, dans son plaidoyer pour la loi de 73, l’auteur oubli de mentionner le rôle crucial joué par ce qu’on appelait le « le circuit du trésor » et les avances à taux zéro de la Banque de France pendant la période des 30 glorieuses. Ces mécanismes permettaient à l’État français de financer sans intérêts d’ambitieux et vastes plans d’aménagement du territoire et de modernisation de l’économie française. Le meilleur exemple est le développement de l’énergie nucléaire donnant à la France son indépendance énergétique. Ces investissements publics massifs dans la recherche et l’innovation ont donc permis et permettent encore à la France de bénéficier d’un prix au kilowattheure les plus avantageux d’Europe. Ce plan fut source d’externalités positives pour l’ensemble de l’économie française améliorant son attractivité et sa compétitivité.
En mettant fin aux possibilités de financement par le trésor et la banque centrale, la loi de 73 exprime un choix politique faisant de la lutte contre l’inflation la priorité au détriment du plein emploi et des grand travaux. L’emprunt avec intérêt sur les marchés financiers devient à partir de cette date la norme qu’il conviendra de généraliser partout. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant de constater la fin des grandes avancées techniques et technologiques françaises à partir de cette date. Les décrochages français dans l’informatique et les nouvelles technologies en sont le meilleur exemple. Il est indéniable que, depuis 73, la dette de l’État s’accroît ainsi que la charge des intérêts, ce qui représente autant d’argent non investi dans la modernisation de l’économie française.
Il est donc fallacieux de dire que la loi de 1973 ne fait que clarifier et rassembler une série de décrets et d’ordonnances déjà existants. Elle est en réalité le point de départ d’un changement de cap total, un choix idéologique fort, entraînant un changement de paradigme dont les répercussions sont considérables.
L’indépendance que la loi confère à la Banque de France la met effectivement à l’abri des pressions populistes mais il est important de noter que, de cette manière, la politique monétaire échappe totalement au contrôle du parlement et n’est plus que dans la main d’experts non élus. Dans ces conditions comment est garantie son indépendance par rapport aux lobbies ?
Cette question se pose avec acuité lorsqu’on connaît le poids considérable des anciens membres du secteur bancaire et financier au sein des banques centrales françaises et européennes. Les crises subies entre 2000 et aujourd’hui ont très largement prouvé leurs permissivités et leurs soumissions :
par l’apparition des crises d’abord qui sont le fruit de politiques monétaires laxistes favorisant la spéculation et l’endettement pour le plus grand bonheur des banques ;
par les choix pris pour la résolution de ces crises ensuite.
Après la crise des subprimes un incroyable programme de rachats des créances douteuses des banques privées par les banques centrales, appelé quantitative easing, a été mis en place afin de blanchir leur bilan et leur permettre de repartir de plus belle. Ce sauvetage, pour le moins contestable, s’est fait en dehors de tout cadre démocratique pour le seul profit des banques et de leurs actionnaires. Ainsi la cécité des experts et politiciens concernant les conflits d’intérêt au sein de la gouvernance des banques centrales, disqualifie totalement le bien fondé de leur indépendance.
Enfin, concernant l’objectif de stabilité des prix et de lutte contre l’inflation dont la Banque de France est garante, il convient de se pencher sur l’outil de mesure pour juger de sa réussite.
En France, c’est l’INSEE qui a le monopole des chiffres officiels de l’inflation. Or lorsque l’on se penche sur la méthodologie, plusieurs choses interpellent.
Tout d’abord le manque de transparence de la recette exacte de calcul. Elle n’est pas disponible librement sur Internet. Pour l’obtenir il faut faire une demande écrite et justifier sa demande. Ensuite, sur les hypothèses retenues qui sont à notre disposition, les coefficients de pondération interrogent. Le plus flagrant concerne les dépenses de logement : pour l’INSEE elles ne représentent que 9 % de nos dépenses ! On comprend pourquoi l’explosion des prix de l’immobilier et donc des loyers en France est passé totalement hors radar des chiffres officiels de l’inflation.
Dès lors, il est légitime de s’interroger sur la véracité des chiffres communiqués et on comprend mieux l’écart qui s’est creusé avec le ressenti de la majorité des Français pour qui le pouvoir d’achat s’est effondré. Seules les manipulations statistiques permettent de valider la pertinence de la politique monétaire de la Banque de France.
Nous passerons la deuxième partie de l’article sur les Rothschild en Russie pour nous consacrer à la troisième, autrement plus intéressante, traitant du secteur bancaire français. Un bank run est-il possible ? Notre ami journaliste se veut rassurant : non ! Un, les sommes à retirer sont gigantesques ; et deux, l’Union bancaire nous protège.
Avant de répondre précisément à ces deux assertions, il faut se pencher sur le système des réserves fractionnaires qui régissent le fonctionnement des banques. Celles-ci peuvent faire jouer ce qu’on appelle l’effet de levier : pour 1 euro en banque, elles peuvent prêter en théorie 12,5 euros. Leurs capitaux propres doivent donc représenter au minimum 8 % de l’ensemble de leur encours. Ce seuil a été calculé par les experts du comité de Bâle et les banques sont censées s’y conformer.
En pratique les choses sont différentes. En effet, le régulateur a octroyé le privilège aux banques de développer leur propre modèle de calcul de risque. Et cela afin de mieux prendre en compte leurs « spécificités » et leur « complexité ». Et ces modèles classent les crédits selon le niveau de risque de l’emprunteur. Plus il élevé, plus le poids du crédit est important et inversement. Les banques ont donc intérêt à sous-évaluer ces profils de risque afin d’augmenter leur effet de levier, ce qui bien entendu accroît leur activité et donc leur bénéfice pour le plus grand bonheur des dirigeants et actionnaires. La BCE est censée valider la justesse et la pertinence de ces modèles. Dans les faits, elle en est incapable :
elle est dépendante des données que les banques veulent bien leur donner ;
elle est littéralement noyée sous la complexité des calculs, des concepts et la masse d’information à traiter.
En outre, des relations très malsaines existent entre les dirigeants des banques et les fonctionnaires en charge du contrôle. Tous ont le même parcours et sont habitués à un incessant va-et-vient entre le public et le privé.
Dans ces conditions, il n’est pas étonnant de constater que l’effet de levier réel des quatre banques françaises se situe en réalité entre 25 et 40 !
Concrètement : prenons le cas de BNP PARIBAS qui possède un encours de crédit de 2 200 milliards d’euros, soit plus que le PIB de la France, pour des capitaux propres s’élevant à 70 milliards. Imaginons que 4 % de ces emprunts soient ce qu’on appelle pudiquement « non performants » c’est-à-dire ayant une probabilité faible d’être remboursés. Dans ces conditions la banque est insolvable : ses pertes 88 mds (4 % de 2 200mds) dépassent ses capitaux propres (70 mds). Elle est virtuellement en faillite. Constat qui vaut pour toutes les grandes banques françaises : Société générale, BPCE et Crédit Agricole.
Voilà pourquoi ce scénario qui paraît plus que probable, s’il n’est pas déjà en train de se produire, réveille la nuit les hauts fonctionnaires de la BCE. N’étant pas en mesure de quantifier exactement le poids des prêts non performants dans le bilan des banques européennes, ils s’en inquiètent publiquement afin de sensibiliser les banques sur le risque que cela fait peser sur l’ensemble de l’économie.
Une fois que l’on a compris l’extrême fragilité des banques françaises, la question qu’on doit se poser n’est pas de savoir si un bank-run est possible mais comment se fait-il qu’il ne se soit pas encore produit ?
En effet, l’argent des dépôts n’existe pas en réalité puisqu’il a été consommé en totalité pour financer les crédits. Ce ne sont donc que des écritures comptables, en d’autres termes une abstraction qui ne repose que sur la confiance des déposants et épargnants envers leur banque. Cela revient à dire qu’ils sont solidaires, à leur insu, des risques encourus. En cas de faillite, ils perdent tout ! Les sommes en jeu sont gigantesques. Les dépôts des Français c’est plus de 2 200 milliards d’euro, 800 milliards rien que pour BNP PARIBAS…
Dès lors nous comprenons qu’un bank run, même minime, déstabiliserait facilement les banques françaises. Moins de 5 % des dépôts suffirait largement à les couler. Et dans l’éventualité d’un tel scénario cauchemar, seuls les États via une recapitalisation et les banques centrales par des rachats de créances pourraient les sauver. C’est très exactement ce qui s’est passé en 2008 suite à la crise des subprimes et en 2014 avec la crise grecque. Et cela, les opinions publiques européennes n’en veulent plus. D’où la création de l’Union bancaire qui avec son système européen de garantie des dépôts doit en principe remplir ce rôle de filet de sécurité. Le problème c’est que ce fond n’est pas encore opérationnel, il est prévu pour 2026 au mieux… Plus inquiétant, le montant total qu’il est prévu de prélever aux banques pour le financer n’est que de 60 milliards d’euros ! À peine 2 % des dépôts français. Une paille !
Dans ces conditions nous comprenons aisément que l’Union bancaire ne protège absolument pas les français qui ont objectivement toutes les raisons de s’inquiéter.
En complément, voir cette vidéo pédagogique sur la création monétaire :