« La charge virale dans l’air ne semble, selon nous, pas suffisante pour être infectante »
Unité Comète, BMPM (photo BMPM)
Comment contenir l’épidémie de Sars-CoV-2 grâce à une stratégie de prélèvement sur les eaux usées ? Retour d’expérience de l’unité COMETE * du Bataillon des marins-pompiers de Marseille doté d’un laboratoire mobile performant pour la recherche des germes pathogènes biologiques dans l’environnement, de personnels capables d’agir sous menace biologique et d’un pôle médical spécialisé dans la lutte bactériologique et chimique (NRBC).
Entretien avec le directeur du projet COMETE*, Alexandre Lacoste, chef de l’équipe opérationnelle spécialisée NRBCE** du Bataillon de marins-pompiers de Marseille et d’Eric R., chef de groupe du projet COMETE par le Dr Jean-Michel Wendling, consultant scientifique et technique de notre journal.
Jean-Michel Wendling (JMW)- Alexandre LACOSTE (AL) : vous êtes directeur du projet COMETE*. Comment travaille votre unité pour traquer la Covid-19 depuis plus de 6 mois ?
AL- L’unité COMETE* a été constituée à l’initiative du visionnaire contre-amiral Patrick Augier. Notre unité, constituée au départ d’une douzaine de marins-pompiers de l’unité NRBC** du BMPM*** s’est enrichie de compétences, de moyens matériels et de moyens humains complémentaires pour constituer une équipe de plus de 30 personnes à date. Cette unité d’élite est complètement dans son rôle qui est la protection des biens et des personnes. Les missions qui nous sont confiées actuellement à la demande de la Ville de Marseille est l’anticipation du risque collectif par des prélèvements des eaux usées, la prévention-action sur les cibles les plus fragiles, la levée de doute et la décontamination. A ce jour nous avons effectué plus de 8000 prélèvements de surfaces, d’air ou d’effluents. Notre base de données est énorme et nous souhaitons partager notre expérience avec d’autres métropoles.
JMW- Quid du suivi épidémique de la population de Marseille ?
AL- Actuellement, nous collectons les eaux usées sur 2 points de prélèvement. Nous savons que les selles contiennent le virus, que ce virus a été montré viable dans certaines études. Nos analyses quantitatives permettent de suivre sur le collecteur GEOLID, les taux d’excrétion représentatifs de 600.000 habitants d’un côté et sur un autre collecteur proche les 400.000 autres Marseillais. Notre seuil de détection correspond à l’équivalent de 0.4% : plus clairement, si 1.600 personnes sont excrétrices du virus, les voyants s’allument et nous avons un test positif. Ces prélèvements quotidiens permettent de tracer des courbes et sont prédictifs avec environ 6 jours d’avance de la reprise (augmentation des taux de l’ARN viral) ou de l’amélioration (réduction de taux de l’ARN viral) de la situation épidémique avec une bonne corrélation des cas, des hospitalisés etc. C’est un vrai thermomètre qui permet de voir tôt si le malade « Marseille » a de la fièvre avant même qu’il ne se retrouve dans un lit et également de voir si la fièvre tombe.
JMW – Ces analyses permettent-elles d’être plus précis sur des quartiers ou même des établissements ?
AL- Absolument, nous connaissons bien le réseau et des prélèvements peuvent se faire par quartier permettant de construire une vraie cartographie COVID de la ville. Nous avons ainsi constaté que, lors du départ des touristes de la ville, fin août, les taux ont significativement chuté, que certains quartiers sont plus « excréteurs » que d’autres. Au niveau des établissements, nous avons une stratégie qui nous permet même d’identifier la personne source, de l’isoler et de faire de la prévention primaire en évitant une diffusion massive au sein d’un établissement.
JMW- Eric, vous êtes chef de groupe du projet COMETE. Vous faites partie des hommes de terrain. Comment vous êtes arrivés à ces résultats impressionnants en termes de prévention-action ?
ER– Nous assurons actuellement le suivi de 80 EPAHD à une fréquence d’un prélèvement par semaine. Nous avons identifié les zones de puisage grâce à des traceurs fluorescents envoyés dans les toilettes. Nous prélevons un échantillon, l’analysons dans les heures qui suivent. Dernièrement, sur un test positif d’eaux usées d’une EPADH, nous sommes passés dans la foulée aux prélèvements surfaciques dans les locaux. Nous utilisons des écouvillons et passons en revue toutes les surfaces individuelles des résidents, des espaces réservés au personnel, des surfaces communes. Avec l’expérience acquise, nous savons où prélever : sur les robinets, les éviers, les lunettes de toilettes, les tables où mangent les résidents. Ces prélèvements surfaciques sont analysés dans la foulée. Ils nous ont ainsi permis d’identifier récemment « la source unique» confirmée par le biais des tests RT PCR sur les résidents, en l’occurrence un seul résident sur 70 qui a été isolé des autres : nous avons sans doute évité une catastrophe sanitaire dans cet établissement et protégé les 69 autres résidents et le personnel. Une belle réussite !
JMW- Effectivement cette stratégie paraît hyper pertinente en termes de prévention sur une population particulièrement fragile. Vous avez sans aucun doute évité des hospitalisations. Des surfaces sont-elles particulièrement touchées ?
ER- Nous retrouvons effectivement par nos analyses surfaciques du Sars-coV-2 sur toutes les surfaces touchées avec une bio-persistance que l’on sait importante sur les plastiques et l’inox. Ainsi on trouve le virus sur les touches « marche arrêt » des ordinateurs, les souris de PC, les touches des ascenseurs, les barres de maintien des bus de la ville, les mains courantes… tout cela nous fait dire que la transmission par manu-portage est la priorité absolue en terme de prévention. Le lavage des mains doit être répété, surtout en sortant des toilettes avec un process de lavage séchage bien intégré, en ouvrant et fermant le robinet après avoir mis du savon sur les mains, en ouvrant la porte des toilettes pour sortir avec le papier, sinon c’est la recontamination immédiate des mains. Le fait d’avoir avec soi un petit contenant de gel hydro alcoolique nous parait encore plus important que le masque en environnement extérieur.
JMW – Avez-vous retrouvé du SARS CoV-2 dans l’air ? Autrement dit, la transmission aérosol est-elle source de risque significatif selon vous ?
AL– La situation, si elle a pu être confirmée dans certains travaux scientifiques, est exceptionnelle et la charge virale dans l’air ne semble, selon nous, pas suffisante pour être infectante sauf cas particulier en chambre de malades qui toussent chez lesquels on fait de l’aérosolthérapie. Les prélèvements surfaciques par exemple sur des filtres de CTA (centrale de traitement de l’air extrait des bâtiments) sont tous négatifs sur les ERP ou bâtiments sur lesquels nous avons investigué, ce qui est plutôt extrêmement rassurant.
JMW- S’agissant de la décontamination, qu’avez-vous appris des différents procédés que vous mettez en œuvre ?
AL – Nous avons testé la décontamination par UVC, par la chaleur et enfin par l’ozone. Le retour d’expérience est que l’ozone bien que délicat et dangereux à mettre en œuvre est le dispositif le plus efficace par sa diffusion. La chaleur est également intéressante mais nécessite une source de 32Kw permettant de monter une pièce à 65°C. Les UVC sont rapides (10 sec à 20 cm suffisent) mais pour passer partout, c’est compliqué. Au final, ces interventions techniques ne seraient pas nécessaires si les procédures de nettoyage des bonnes surfaces étaient bien conduites, à savoir bien passer sur les poignées de portes par exemple sur toute la circonférence sans oublier le dessous…
JMW- Alexandre LACOSTE, quelles sont les perspectives et quels sont vos projets ?
AL- Eh ! bien, nous nous intéressons aux environnements semi fermés, les maisons de retraite et résidence séniors en premier, mais aussi les collectivités ou les transports qui nous amènent possiblement des cas. Ainsi, certains croisiéristes comme la compagnie du PONANT (lien) sont, après avoir été formés par nos équipes, autonomes et en capacité d’analyser les eaux usées de leurs bateaux pendant la croisière, de faire des analyses des surfaces, voire même des tests auprès de leurs voyageurs pendant la croisière.
On pourrait également envisager que les eaux usées des avions ou éventuellement des bus longue distance soient testées afin de remonter à la source et identifier des cas – isoler. Au fond, nous sommes dans une logique de partager notre savoir et notre expérience, car nous sommes convaincus qu’elle pourrait servir à de nombreuses métropoles de France via leurs unités NRCB existantes. Il suffit d’une volonté politique et le transfert de compétence se mettra en place ! Nous sommes prêts !
Propos recueillis par le Dr Jean-Michel Wendling, spécialiste prévention santé au travail à Strasbourg, consultant infodujour.fr.
* Covid Marseille Environnemental Testing Expertise
** Risque Nucléaire – Radioactif –Biologique et Chimique
*** Bataillon des Marins Pompiers de Marseille
Notes
1 MasaakiKitajimaa SARS-CoV-2 in wastewater: State of the knowledge and research needs1 Science of The Total Environment
Volume 739, 15 October 2020, 139076 https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2020.139076
https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0048969720325936?via%3Dihub#t0005
2 Avis de l’Académie de Médecine 20 juillet 2020 : Covid-19 : surveillance de la circulation du SARS-Cov-2 dans les eaux usées, indicateur simple de suivi de la pandémie de Covid-19 : http://www.academie-medecine.fr/communique-de-lacademie-covid-19-surveillance-de-la-circulation-du-sars-cov-2-dans-les-eaux-usees-indicateur-simple-de-suivi-de-la-pandemie-de-covid-19/
Source : Marseille : l’unité COMETE ou l’efficacité contre la Covid par la prévention