Entretien entre Jean-Claude Michéa et les journalopes du torche-cul de Drahi
On pourra apprécier les quelques phrases bien envoyées de Michéa, mais on ne comprend plus Michéa. Il prétend faire une critique radicale et fait positivement référence à Podemos et au film Pride. Podemos, c’est de la fausse critique intégrale non dérangeante (même pas de sortie de l’UE ni de l’euro) genre Syriza version ibérique. Le film Pride semble une daube assez classique du cinéma « social » britannique, « basée sur une histoire vraie », …. du social à la sauce sociétale avec le mensonge intégral qui consisterait à laisser croire que les gays / lesbiennes seraient opprimées par le Système de la même manière que les « prolétaires ». Preuve du contraire : les mineurs britanniques de la fameuse grève de 1984 cassée par Thatcher ont bel et bien disparu avec leurs valeurs, emportés dans la mondialisation sauvage, je ne crois pas qu’il en soit de même pour les LGBT !
Un peu d’air frais
Le philosophe, dont le dernier livre «Notre ennemi le capital» est paru en janvier, revient sur le lien indissociable entre libéralisme économique et culturel, et sur la décence ordinaire de «ceux d’en bas». Entretien musclé (par courriel).
Grand critique du capitalisme, Jean-Claude Michéa sait comment donner de la valeur à ses interviews: en organisant leur rareté. Le philosophe est avare en entretiens dans la presse écrite. Après avoir lu son dernier livre, Notre ennemi, le capital (ed. Climats/Flammarion), et ses nombreuses piques anti-Libé, nous avons tenté notre chance et demandé un entretien.
Michéa a accepté, mais en posant ses conditions: pas de rencontre, les questions devaient être posées par courriel – sans possibilité, donc, pour les journalistes de rebondir sur ses réponses. Crainte de voir ses propos déformés? Attitude significative d’un refus du dialogue de la part de ces intellos «nouveaux conservateurs»? Sans doute, quand on voit le ton adopté par le philosophe pour répondre – par courriel, donc – à nos questions, évidemment critiques. Michéa consacre plus de lignes à aligner Libération, qu’à préciser sa pensée. Nous avons malgré tout décidé de publier cette interview dans son intégralité. Dommage, seulement, que celle-ci n’ait pas pu avoir lieu dans le cadre d’un vrai débat, face à face.
Pour vous, libéralisme économique et libéralisme culturel sont les deux faces d’une même pièce – une idée que vous résumez par la formule Hayek = Foucault. Sur quoi établissez-vous cette équivalence?
Il suffit de lire le dernier Foucault pour vérifier que lui-même tenait Hayek en haute estime (il trouvait même des vertus à la politique d’Helmut Schmidt!). Quant aux liens unissant libéralisme économique et libéralismes politique et culturel, ils sont assez clairs pour quiconque prend encore la peine de lire le Capital. Si le premier se réduit bien – comme le voulait Hayek – au droit pour chacun de «produire, vendre et acheter tout ce qui peut être produit ou vendu» on comprend en effet que la dynamique du capital ne puisse connaître, selon la formule de Marx, «aucune limite naturelle ou morale». Est-ce du reste un hasard si ces deux aspects du libéralisme avancent presque toujours du même pas?
Vous semblez considérer l’actuelle vigueur du discours réactionnaire comme un phénomène assez secondaire par rapport aux conquêtes du libéralisme économique et culturel. Le Front national n’est-il pour vous qu’une menace fantoche, dernier argument d’une gauche épuisée?
Vous avez visiblement mal compris ce que j’écris! Je n’ai jamais dit que la progression du FN constituait un «phénomène assez secondaire». Je soutiens, au contraire, qu’elle est la conséquence logique de l’abandon par la gauche moderne de toute critique cohérente du capital «compris dans sa totalité» (Debord). Et donc de son abandon non moins logique des classes populaires.
Vous défendez un Peuple sans couleur, sans sexe ni genre, mais porteur des valeurs de dignité et d’entraide, cette fameuse «common decency» que vous avez reprise d’Orwell. Ce peuple-là a-t-il jamais existé? Cette vision ne prend-elle pas le risque de la naïveté ou de la condescendance?
Vivant entouré de paysans et de petits éleveurs dans une zone particulièrement défavorisée de la «diagonale du vide» – là où les transports en commun sont presque inexistants, où la couverture téléphonique est aléatoire et où les commerces de proximité ne seront bientôt plus qu’un lointain souvenir – je pense avoir une connaissance des conditions de vie réelles des milieux populaires un peu moins abstraite que celle de la plupart des journalistes de Libération! Et je n’ai bien sûr jamais écrit que le «Peuple» – vous confondez ici le «peuple» comme sujet politique à construire et le «peuple» comme réalité sociale hétérogène – était «sans couleurs, sans sexe, ni genre». Et encore moins qu’il était sociologiquement indifférencié (dans les Mystères de la gauche, j’invitais même à définir un nouveau langage commun «susceptible d’être compris aussi bien par des travailleurs salariés que par des travailleurs indépendants, par des salariés de la fonction publique que par des salariés du secteur privé, et par des travailleurs indigènes que par des travailleurs immigrés»).
Quant à ces valeurs d’entraide populaires dont vous vous demandez naïvement, et de façon très parisienne, si elles ont jamais existé, il serait bon que vous vous posiez au moins une fois la question suivante : par quel miracle, en effet, les gens ordinaires – dont la plus grande partie ne gagne même pas 2 000 € par mois – pourraient-ils faire face aux inévitables aléas de la vie quotidienne – perte d’emploi ou chute dans la précarité, dégât des eaux, déménagement imposé, cambriolage, problème de santé, etc. – sans cette pratique traditionnelle de l’entraide et du «coup de main» entre parents, voisins, amis ou collègues, qui constitue justement le principe de toute common decency? J’ai chaque jour, quant à moi, la réponse concrète sous les yeux.
Votre critique du capitalisme ne s’appuie pas sur une analyse sociologique de «ceux d’en bas», ni sur un décryptage des mécanismes des dominations économiques contemporaines (néomanagement, précarisation et parcellisation du travail…). Vous ignorez ou critiquez les luttes antiracistes, antisexistes, ou même la récente mobilisation contre la loi travail. Votre critique n’est-elle pas avant tout celle de la société du siècle passé?
Je me demande si vous avez ouvert un seul de mes livres! Ils contiennent en effet d’innombrables analyses sur tous les sujets que vous venez d’évoquer. Il est vrai que ces analyses sont assez souvent inspirées par Marx et Debord, ce qui ne peut évidemment que choquer ces sociologues mandarinaux auquel votre journal accorde régulièrement ses faveurs. Quant à ma prétendue «ignorance» des luttes dites minoritaires, il ne vous a quand même pas échappé que si j’ai consacré, dans mon dernier livre, une place aussi centrale à Pride de Matthew Warchus, c’est bien parce que ce film admirable offrait l’exemple d’une articulation dialectique particulièrement réussie entre la lutte anticapitaliste et une lutte «sociétale». Quant à l’idée, enfin, selon laquelle une critique radicale du capitalisme – c’est-à-dire, écrivait Debord, une critique qui voit dans le Spectacle «à la fois le résultat et le projet du mode de production existant» – serait aujourd’hui «périmée», je crains qu’elle ne nous en apprenne beaucoup plus sur l’idéologie de Libération que sur le monde où sont tenus de vivre les gens ordinaires.
Vers quel débouché politique les lecteurs convaincus par vos analyses pourraient-ils se tourner? Comprenez-vous que le Front national puisse apparaître comme tel, tant ce parti pose lui aussi la question des limites face aux grands mouvements du libéralisme – migrations humaines, fluidité des identités, capitalisme globalisé…?
Il me semblait pourtant aller de soi que tout mon livre devait être lu comme un soutien à la révolution culturelle accomplie par Podemos et aux combats des partisans de la décroissance ! Mais sans doute estimez-vous qu’il s’agit là de deux mouvements particulièrement «réactionnaires». Cela expliquerait bien des choses.