» Évaluer la diversité sur les chaînes de TV russes, par Gilbert Doctorow

Source : Consortium News, le 26/02/2016

Le point de vue américain sur les médias russes est qu’il s’agit toujours de propagande pour garder le peuple russe dans le droit chemin, mais la réalité est qu’ils encouragent des opinions diverses et même hostiles, d’après Gilbert Doctorow.

Par Gilbert Doctorow

Quiconque regarde les programmes de télévision russes, à la fois sur les réseaux d’État ou sur les chaînes fédérales privées, ne peut ignorer la forte présence de talk-shows politiques. Ils bénéficient de temps de diffusion comparables à ceux des émissions classiques d’information. En fait, certains sont parsemés de bulletins d’information, et tous font usage d’audiovisuels tirés de la salle de presse pour animer les débats des intervenants.

Ce genre d’émission politique est une composante permanente de la télévision russe, au même titre que les feuilletons d’amour, policiers et d’aventures. Cela montre que les téléspectateurs russes, qu’ils soient jeunes ou âgés, hommes ou femmes, sont très politisés et aiment entendre des opinions politiques divergentes de ce que les présentateurs des programmes de la télévision d’État lisent sur leurs téléprompteurs. Si je devais trouver un intérêt pour la politique comparable dans un pays de l’Europe de l’Ouest, ce serait la France. Je soupçonne que les téléspectateurs américains suivent loin derrière.

Mais la télévision russe présente-t-elle les opinions de l’opposition aux téléspectateurs ? Le Kremlin contrôle-t-il étroitement le contenu politique de la télévision russe ? Les médias de masse russes sont-ils monolithiques ou pluralistes ? Ces talk-shows sont-ils du journalisme ou de la propagande d’État ?

Cette critique est basée sur ma propre participation à presque tous les talk-shows politiques sur les chaînes nationales russes de mai 2016 à ce mois [février 2017, NdT]. Je souligne l’importance de ma participation personnelle en raison de ce que j’ai appris sur la culture de ces émissions, sur les présentateurs et les producteurs en discutant avant l’émission ainsi que dans les salles de détente après les talk-shows, de même qu’en parlant à d’autres intervenants au cours des pauses. C’est quelque chose que vous ne pouvez pas saisir en regardant les émissions, qu’elles soient en direct ou sur les rediffusions Internet (presque tous les talk-shows sont repris sur les sites des chaines télé ou sur youtube.com). De plus, seul votre présence lors de la prise vous permet d’apprécier comment les débats sont coupés au montage avant leur diffusion dans le cas des émissions ne sortant pas « en direct » ou avant leur diffusion sur Internet.

Les émissions politiques auxquelles j’ai participées sont les suivantes (toutes les chaines ont leur siège à Moscou sauf celles où la ville est précisée) :

Rossiya-1 (publique): 60 Minutes; Le Dimanche Soir avec Vladimir Soloviev

Pervy Kanal (publique): Time Will Tell (L’avenir nous le dira)

NTV (privée): Meeting Place (Lieu de rencontre)

Zvezda (chaine fédérale des forces armées russes): Special Article (Article Spécial)

Pyaty Kanal (publique, la Cinq basée à Saint-Pétersbourg): Open Studio

Ordre hiérarchique

En termes de niveau intellectuel du discours, les programmes de Vladimir Soloviev sont les meilleurs de Russie. Ils ont différents formats en plus de celui mentionné plus haut. L’un des plus intéressants est celui appelé “Duels” entre opposants de deux positions adverses, avec des pauses qui leur permettent d’être coachés par leur équipe respective et des appels à voter pour comptabiliser qui a été le plus convaincant.

Bien que l’audience et la cote de popularité ne soient pas disponibles et pourraient en fait ne pas être supérieures à d’autres programmes de la même chaîne ou à celles des talk-shows sur Pervy Kanal, le nombre de vues sur Youtube.com le dimanche soir pour le show de Vladimir Soloviev arrive souvent à 250 000 dans les 12 heures après avoir été posté. Étant donné ce qu’exigent du public de tels shows en connaissances et en intérêt, c’est une remarquable performance.

Il convient de mentionner que la qualité des programmes de Soloviev est directement liée au niveau des invités qu’il attire. Ce sont des présidents de comité de la Douma ou des Conseils Fédéraux, des présidents des partis de la Douma et les meilleurs cerveaux universitaires. La qualité peut aussi être attribuée à la liberté dont le modérateur jouit, à la fois grâce à ses capacités professionnelles et vis à vis de sa loyauté envers le Kremlin. Il semble être tout-à-fait indépendant et il interagit librement avec les intervenants. Tout ceci élève la valeur du spectacle autant que le contenu journalistique.

Je mettrai cela en contraste direct avec un autre talk-show leader quotidien sur la même chaîne Rossiya-1, 60 Minutes, où les présentateurs Yevgeny Popov et sa femme Olga Skabeyeva semblent ne travailler que sur prompteurs et sur instructions données par leurs directeurs-producteurs arrivant dans leurs oreillettes. Le résultat est une perte de spontanéité et d’authenticité.

En termes d’audience nationale, je placerais le show “Time Will Tell” de Pervy Kanal au même niveau ou au-dessus de 60 Minutes. Étant un programme de l’après-midi avec une audience de retraités, il n’attire pas des analystes ou politiciens de haut niveau, bien que des députés de base de la Douma soient de fréquents visiteurs. Sa caractéristique remarquable est la relative liberté d’action des modérateurs. Son inconvénient est le contrôle excessif de l’accès des intervenants au micro, ce qui provoque beaucoup de cris et de bruits. Mais ce contrôle peut être justifié car il est le premier programme à être diffusé en live dans le fuseau horaire de Moscou, portant donc plus de risques politiques que les shows de Rossiya-1 qui diffuse en live depuis l’extrême est de la Russie et qui sont progressivement rediffusés par fuseau horaire d’est en ouest depuis l’enregistrement jusqu’à la diffusion à Moscou huit heures plus tard.

La station commerciale NTV a opté pour un talk-show politique modelé sur le “Time Will Tell” de Pervy Kanal, reprenant certains membres de l’équipe, dupliquant virtuellement le studio et aussi diffusant pendant le même créneau d’après-midi. On dit que son audimat est substantiellement à la traîne dans la compétition, bien que le présentateur principal ait une grande expérience en ce domaine.

Le talk-show de la chaîne fédérale Five, Open Studio, opère avec des plateaux multiples depuis deux villes, deux à Moscou, et quatre à St Pétersbourg, mais son audience locale se trouve sûrement dans la capitale la plus au nord. La conduite des modérateurs est ce qu’on peut appeler des entretiens séquentiels avec chaque participant, et il y a très peu de discussions croisées. Une particularité de ce show est que le public pose des questions.

La chaîne du ministère de la défense Zvevda a le seul talk-show qui ne soit pas diffusé en live. De ma propre expérience, il y avait autant de cris sur le plateau que dans n’importe quel show bruyant des chaînes principales, mais cela a presque été entièrement effacé au montage, pour obtenir un débat fluide avec le public. Les intervenants sont choisis dans des milieux différents de ceux des chaînes principales, ce qui peut être qualifié d’avantage, comme j’en discuterai ci-dessous.

Un genre qui évolue sans cesse

Le programme de la télévision russe suit l’audimat parce que toutes les chaines comptent sur les revenus publicitaires qui peuvent durer 12 minutes ou plus sur une heure d’antenne. La concurrence la plus forte est entre les chaines publiques de référence que sont Pervy Kanal et Rossiya-1. Elles se sont battues bec et ongles pour attirer les téléspectateurs vers leur émission du Nouvel An 2017. Elles se concurrencent quotidiennement sur les émissions de débat et l’audimat fait des va-et-vient selon l’heure de la journée, la teneur du sujet du jour, la notoriété ou le charisme des personnalités invitées.

Quand je suis apparu dans l’émission “Time Will Tell” consacrée aux élections présidentielles américaines du 8 novembre sur Pervy Kanal, les présentateurs m’ont dit avec fierté que leur audimat avait bondi de 20%, bien au-delà des 15% habituels. Cela signifie qu’étant donné les heures de diffusion du milieu de l’après-midi (heure de Moscou), 20% de l’ensemble des postes russes retransmettaient l’émission. Par opposition, les chaines de référence avaient un audimat de 10% ou moins à cette heure.

En raison d’une lutte pour l’audimat et d’une compétition féroce, ce genre d’émission politique évolue sans cesse. La complexité technique des studios, la décision de retransmettre en direct (et pour quel fuseau horaire) ou de distribuer des vidéos montées et pré-enregistrées, présentées par un présentateur qui est habituellement un homme, contre une paire homme-femme, le niveau de contrôle des procédures devant caméras par les producteurs hors cadre, l’utilisation du prime-time du soir contre les heures d’après-midi où la plupart des spectateurs sont des personnes âgées et des femmes au foyer : toutes ces variables sont constamment en jeu dans la mesure où les émissions sont améliorées ou remplacées à chaque saison.

Matchs d’invectives

Il faut dire que les talk-shows politiques en Russie doivent être aussi bien distraction qu’information. Ils relèvent plus de la mêlée générale que du débat dans un décor d’Oxford Union. Cela reflète la culture russe des concours de différents sports de combat mélangés, ou du combat singulier “sans règles”. Il est également calibré pour l’heure et le public ciblé pour tel ou tel programme, comme Artyom Sheinin, le modérateur de Time Will Tell, me l’a expliqué quand je suis allé la première fois à son talk-show : l’émission d’après-midi attire un nombre disproportionné de retraités qui veulent “une décharge d’adrénaline” en milieu de journée. Les programmes du soir sur le même Pervy Kanal sont moins excités, afin de ne pas déranger la digestion de ceux qui viennent de rentrer du travail et sont assis dans leurs fauteuils et d’humeur à réfléchir.

Pourtant, même dans les créneaux du soir, la plupart des talk-shows des chaînes publiques et privées rebutent beaucoup d’intellectuels russes à cause de leur côté agité. L’agitation prédomine dans ce genre de programmes de qualité moyenne. Aux extrémités de ce milieu de gamme en termes de spécificités du public (Zvezda avec ses familles de militaires ou le canal 5 de Saint-Pétersbourg, plus scénique et traditionnel, où tous les intervenants ont des manières cultivées et portent costumes et cravates), soit le bruit d’ambiance est coupé au montage, comme dans le cas précédent, soit il n’y a pas de bruit du tout en raison de la culture dominante des intervenants.

Ensuite, il y a une autre exception très importante à ces “concours de cris”, ce sont les talk-shows de haute qualité, en particulier ceux animés par Vladimir Soloviev. Les politiciens et les commentateurs politiques très importants qu’il attire attendent et reçoivent un respect légitime et ne sont presque jamais interrompus.

Les sujets traités

Les talk-shows ou parties de talk-shows auxquels des intervenants étrangers et moi-même participons débattent exclusivement des relations internationales, ce qui est tout à fait logique. Si nous avons une valeur pour les téléspectateurs russes, c’est en tant qu’experts apportant de nouvelles perspectives et remettant en question ce qu’ils entendent par la voix de l’establishment russe. En ce qui concerne les problèmes intérieurs, nos interventions ne seraient pas assez informées et ne seraient pas bienvenues.

Le sujet des talk-shows suit de très près les sujets des nouvelles russes. Au cours de mon expérience de mai 2016 à aujourd’hui, les nouvelles ont été fortement influencées par les relations de la Russie avec l’Ukraine, le conflit militaire dans le Donbass, la mise en œuvre des accords de Minsk, les exercices militaires de l’OTAN près des frontières russes, les bataillons de l’OTAN arrivant dans les États Baltes, la guerre civile syrienne et en particulier la libération de Palmyre et d’Alep, la campagne présidentielle américaine, les résultats des élections du 8 novembre et ce que la nouvelle administration de Donald Trump pourrait apporter.

Durant les programmes de premier ordre de Vladimir Soloviev, les affaires internationales représentent près de 100 pour cent des sujets. Cependant, dans d’autres talk-shows politiques, les nouvelles intérieures peuvent représenter entre 30 et 50 pour cent de la programmation. Les sujets ont inclus le projet de loi sur la violence domestique, la loi “Yarovaya” sur la surveillance électronique et le stockage des données personnelles, la hausse des charges mensuelles des propriétaires d’appartements pour la maintenance, comment éviter les nombreux morts causés par les rodéos routiers de la jeunesse dorée russe.

Les débats abstraits sur les questions économiques ou les questions sociales ne sont pas dans la nature des talk-shows, qui sont tellement axés sur les nouvelles que les intervenants peuvent être changés, les horaires de diffusion peuvent même être retardés afin de donner à l’équipe de production le temps de préparer des visuels pour un talk-show dédié à des “nouvelles de dernière minute”.

La diversité des intervenants

Le fait exceptionnel, qui est certainement la plus grande faiblesse du genre, est que les groupes d’invités des principales chaînes se chevauchent excessivement. Chaque jour, vous pouvez regarder plusieurs de ces talk-shows sur différentes chaînes et trouver les mêmes invités.

Je n’ai pas d’explication solide pour ce phénomène. Un observateur occasionnel pourrait penser que certains des panélistes gagnent leur vie en multipliant les apparitions, mais il n’y a aucun moyen de savoir qui est payé pour apparaître. De mes conversations hors antenne, je comprends que la plupart des invités ne perçoivent que le remboursement de leurs frais de taxi s’ils sont résidents locaux, comme souvent, ou le remboursement des vols et des hôtels s’ils sont provinciaux. Les étrangers sont un cas particulier : il est largement admis que les « ennemis » sont rétribués pour leur dérangement, en particulier certains invités venant de Pologne et d’Ukraine.

Les facteurs que j’identifie pour expliquer que le contenu des différentes chaînes se base sur le même groupe d’invités sont la disponibilité, le succès de la concurrence et l’habileté oratoire des personnes. L’apparition dans un talk-show attire l’attention des jeunes « producteurs », c’est-à-dire les administrateurs, travaillant dans d’autres chaînes. Les perspectives d’emploi de ces gestionnaires augmentent lorsqu’ils apportent et entraînent de nouveaux talents. Dans le cas des étrangers, c’est la maîtrise du russe, qui doit être d’un niveau assez élevé, compte tenu de la pression du débat rapide et interrompu.

Comme je l’ai indiqué ci-dessus, certains des meilleurs panélistes locaux sont des législateurs russes des chambres inférieures ou supérieures de l’Assemblée fédérale. D’autres sont des journalistes, des spécialistes en sciences politiques, des spécialistes de la zone géographique, des experts militaires. La plupart ont une carrière professionnelle bien établie. Très peu sont de jeunes universitaires qui recherchent l’exposition publique pour obtenir des promotions.

Par nationalité, les étrangers invités dans les talk-shows proviennent de pays qui ont une actualité et qui ont des relations tendues avec la Russie : les Ukrainiens, les Polonais, les États baltes, le Royaume-Uni, les États-Unis. La plupart, mais pas tous comme ou pourrait le penser, sont des critiques sévères de la politique étrangère russe. À cet égard, la télévision russe destinée au public intérieur a des exigences et des objectifs totalement différents de celui de la chaîne dédiée au public étranger, Russia Today, où les invités étrangers sont souvent des “amis de la Russie”.

Parmi les étrangers les plus expérimentés ayant une maîtrise du russe proche de leur langue maternelle, apparaissant régulièrement sur le Pervy Kanal et Rossiya-1, il y a le journaliste et conférencier britannique Owen Matthews de Newsweek. Je l’ai rejoint lors d’une session sur 60 Minutes. Un autre journaliste de haut niveau avec qui je suis apparu sur Time Will Tell est David Filipov, chef du bureau de Moscou du Washington Post. Il est à noter que, à ma connaissance, ni eux ni les autres critiques occidentaux du président Poutine qui sont invités à des talk-shows russes ont écrit quoi que ce soit sur leurs expériences alors que leurs lecteurs sont amenés à croire par les publications pour lesquelles ils travaillent que les médias russes sont juste des canaux de communication de la propagande monolithique du Kremlin.

D’autres invités américains du monde des think-tanks qui apparaissent régulièrement sur les principaux talk-shows de Rossiya-1 sont Ariel Cohen de l’Atlantic Council et Dimitri Simes, président du Center for the National Interest. Les deux bénéficient de 5 à 10 minutes de liaison satellite depuis Washington, D.C. Leurs déclarations, habituellement sur les développements politiques aux États-Unis d’un point de vue gouvernemental, sont commentées par les intervenants dans le studio. Cohen vient également occasionnellement au studio de Moscou en tant qu’invité. Les deux parlent couramment le russe.

Enfin, il y a le phénomène unique de tous les talk-shows russes au cours de la période considérée : le journaliste Michael Bohm, qui a passé une décennie en tant que rédacteur en chef de la tribune du Moscow Times et qui pimente maintenant la télévision russe en défendant énergiquement les points de vue des néoconservateurs et celui des invités libéraux dans leurs politiques anti-russes. C’est l’américain que beaucoup de russes aiment détester. Néanmoins, sa maîtrise des expressions folkloriques russes le rend sympathique même aux yeux de ses détracteurs les plus sévères.

Par l’affiliation à un parti, les politiciens russes apparaissant sur les talk-shows politiques appartiennent principalement, mais non exclusivement, aux partis de la Douma. Parmi les invités les plus fréquents sur les shows de Soloviev sont les membres éminents du parti au pouvoir Russie Unie, Vyacheslav Nikonov, président du Comité de l’Éducation ; Aleksey Pushkov, ancien président du Comité des Affaires internationales de la Duma ; et son prédécesseur à ce poste, Konstantin Kosachev, maintenant président du même comité au Conseil de la Fédération.

Quoique moins souvent, les autres partis de la Douma apparaissent certainement sur ces shows. Vladimir Soloviev invite fréquemment le président du parti Démocrate Libéral de la Russie Vladimir Zhirinovsky dont il partage évidemment les idées nationalistes. L’adjoint de la Douma du LDPR Leonid Slutsky, nouveau président du comité sur les Relations internationales, était sur les talk-shows peu après sa nomination. Gennady Zyuganov, le leader du Parti communiste de la Fédération de Russie, est invité beaucoup moins souvent dans les principaux talk-shows et l’invitation est d’habitude en relation avec la commémoration d’un événement ou d’une personnalité de l’ère soviétique.

Les talk-shows politiques invitent aussi régulièrement comme intervenant les membres de certains partis qui n’ont pu atteindre le seuil de 5 pour cent d’électeurs pour gagner des sièges dans la Douma. Sur Time Will Tell, par exemple, ils constituent environ 10 pour cent des intervenants. Les partis les plus généralement invités sont Yabloko et le Parti de la Croissance.

Quelle diversité ?

Donc, est-ce que la télévision russe présente les opinions de l’opposition ? Tout dépend des définitions. Que définissons-nous par “Opposition” ?

Pour de nombreux experts sur la Russie, la définition de “l’opposition” pré-détermine la réponse aux questions du pluralisme, du journalisme véritable et du reste sur la télévision russe. C’est parce que la notion d’opposition en Russie telle qu’elle est comprise aux États-Unis est attachée au “changement de régime”, et non pas à une politique électorale normale. Seuls ceux qui sont attachés à mettre à bas le “régime de Poutine” sont considérés comme faisant partie de “l’opposition”.

Dans cette optique, tous les partis de la Douma autres que Russie Unie – à savoir le Parti Communiste de la Fédération Russe, Russie Juste, et le Parti Libéral-Démocrate de Russie – ne comptent pas comme opposition.

Certes, presque tous les partis de la Douma se rallient à la politique étrangère de Vladimir Poutine, quoique plusieurs soient des nationalistes plus acharnés que le parti gouvernant Russie Unie. Cependant, concernant la politique intérieure, les partis de la Douma ont leurs propres politiques et critiquent fortement le parti dirigeant, cherchant à modifier ses initiatives législatives et présenter leurs propres projets de loi. Leur refuser le statut d’Opposition c’est comme considérer les Démocrates et les Républicains aux États-Unis comme une masse indifférenciée parce qu’ils partagent largement une politique étrangère bipartisane (du moins jusqu’à l’apparition de Donald Trump). Ce point est d’autant plus pertinent si nous considérons qu’une portion variable mais toujours substantielle de la plupart des programmes de talk-shows est consacrée à la politique intérieure par opposition aux questions de politique étrangère.

Jusqu’à sa mort en 2015, Boris Nemtsov et son mouvement Parnas étaient L’OPPOSITION aux yeux des experts américains. Nemtsov, Milov et Kasyanov luttaient contre la corruption sur laquelle, disait-on, le régime de Poutine comptait pour rester au pouvoir, contre ses méthodes autoritaires sinon dictatoriales, et militait pour un accord avec l’Ouest, ce qu’ils considéraient possible seulement si la Russie rejetait les habitudes agressives et fermes du régime de Poutine.

Depuis la mort de Nemtsov, le nouveau chevalier blanc de la politique russe a été pour les observateurs américains le blogueur Alexei Navalny, qui a montré son potentiel politique durant les dernières élections municipales à Moscou. Peu importe que Navalny n’ait que peu de support électoral hors de la capitale ou que ses idées politiques soient ultra-nationalistes. Il est déterminé à renverser le régime et cela suffit.

D’après mes observations pour la période retenue, ni les représentants de Parnas, ni Navalny ou d’autres représentants du même genre, auto décrits comme “opposition non-systémique” ne furent jamais admis à aucun show télévisé, quelle que soit la chaîne, précisément à cause de leurs intentions séditieuses.

Mais avant que nos experts américains s’exclament “Vous voyez bien !”, je voudrais leur demander s’ils peuvent citer une seule apparition d’un leader d’Occupy Wall Street sur Meet The Press, disons en 2009 ou n’importe quand depuis. L’équivalent américain de “l’opposition non-systémique” est précisément ce genre de personnes. Aucun gouvernement, y compris des gouvernements démocratiques, ne donnerait le micro à de tels opposants, pour fomenter une insurrection à la télé nationale, en plus pendant un prime time.

Pour cette raison, j’insiste sur la question du pluralisme et de la mission journalistique d’informer le public et les amener à considérer que des idées alternatives doivent être présentées plus largement sans référence à des personnes en particulier, ou des partis/mouvements à qui on donne le micro.

Avec les positions bien connues des leaders du parti Yabloko qui apparaissent dans les talk-shows parmi les 10 pour cent réservés aux défenseurs de l’accord avec l’Ouest de la période Eltsine, on doit mentionner Sergei Stankevich, qui représente depuis 2016 le Parti de la Croissance, un autre parti non représenté à la Douma. Un allié de la première heure de Eltsine qui plus tard est tombé en disgrâce, a passé plusieurs années comme exilé politique en Pologne et plus tard fut pardonné, Stankevich questionne régulièrement sur les ondes la logique entière des actions de la Russie en Crimée et dans le Donbass en Ukraine.

Et si nous regardons avec une large vision la diffusion des idées qui défient la ligne officielle du parti du Kremlin pour les affaires internationales, les invités étrangers qui ont toujours été conviés en tant que participants parlent en quelque sorte pour l’opposition anti-Kremlin, y compris l’opposition non-systémique.

Au minimum les talk-shows auxquels j’ai participé étaient destinés à présenter une discussion d’experts bien informés représentant divers points de vue sur le sujet des relations internationales. En ce sens, ils démontrent du pluralisme, opposés à la propagande du Kremlin. Ils sont guidés par un intérêt journalistique pour montrer et exposer des évènements actuels et leurs différentes interprétations.

Gilbert Doctorow est un analyste politique basé à Bruxelles.

Source : Consortium News, le 26/02/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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