L’ancien ministre de l’Intérieur et de l’Industrie Jean-Pierre Chevènement a répondu le 28 septembre 2017 aux questions du Figaro dans le cadre du Grand entretien. L’article étant reservé aux abonnés, nous en avons extrait quelques morceaux seulement. Mais des morceaux saignants,
Sur Alstom, Siemens et la politique industrielle française
« Il faut appeler un chat un chat : une absorption est une absorption. Qui détient la majorité du capital d’une entreprise détient le pouvoir. Le reste est pipeau. Les engagements pris à quatre ans sont des chiffons de papier que le premier coup de vent boursier fera s’envoler. Parlementaire du Territoire de Belfort de 1973 à 2014 et maire de Belfort, pendant plus de 20 ans, ville mère d’Alstom, j’aurai connu un véritable Trafalgar en 2014 avec la vente d’Alstom-Énergie à l’américain General Electric sous une présentation au demeurant falsifiée et aujourd’hui le Waterloo final avec le bradage d’Alstom-Transport à Siemens.
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Tout se passe comme si nos élites n’avaient plus de culture industrielle, mais seulement financière. Jadis la CGE (Compagnie générale d’électricité) devenue Alcatel-Alstom pesait aussi lourd que Siemens. Après la perte des turbines, celle des chantiers navals, des télécommunications et maintenant du ferroviaire, je ne crois plus ce désastre réparable pour notre tissu productif, dans des technologies pourtant pleines d’avenir. C’est le “plan Morgenthau” de pastoralisation de l’Allemagne conçu en 1944 qui s’applique aujourd’hui à la France ! »
Sur l’Europe et l’Union européenne (deux choses différentes)
« On nous parle de “souveraineté européenne” mais où est le “demos” européen ? Le président de la République, que je sache, n’a pas été élu par un peuple européen qui aux dires même du Tribunal constitutionnel de Karlsruhe n’existe pas, mais par le peuple français. »
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« Il ne s’agit pas de remettre en cause l’idée européenne. L’Europe est dans bien des domaines un espace pertinent et juste. À ceci près que pour construire cette Europe, il faut s’appuyer sur les nations. Dans les nations se trouve, en effet, la source de l’énergie démocratique. Il y a un sentiment d’appartenance qui existe dans les nations et qui n’existe pas en Europe et ne peut se créer que dans la longue durée. Or le sentiment d’appartenance est nécessaire à la démocratie. »
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« On ne connait même pas les frontières de l’Europe. Où s’arrêtent-elles véritablement ? Certains voudraient les reculer jusqu’à l’Ukraine. Et pourquoi pas jusqu’à la Russie dans un schéma de grande Europe qui irait de l’Atlantique au Pacifique ? »
Sur l’Allemagne
« La situation aujourd’hui n’est plus la même depuis l’effondrement du mur de Berlin, avec l’élargissement à l’Est de l’Union européenne. L’Allemagne retrouve une position centrale par la géopolitique et l’économie. Ses entreprises accèdent facilement aux économies à bas coût de travail qui la jouxtent. Par conséquent, elle peut délocaliser à proximité les composants à faible valeur ajoutée tout en gardant la maitrise de l’assemblage. A contrario la politique industrielle française est en crise profonde depuis que le ministère de l’Industrie a été dissout en 1986-87. On a l’impression que l’État stratège français n’a plus de mains. »
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« L’Allemagne dégage un excédent commercial qui est égal à 8,5% de son PIB. Si vous ajoutez l’excédent des services et des capitaux, il dépasse 10% du PIB. Même la Chine ne fait qu’un excédent extérieur de 3,5 %. C’est une situation tout à fait intenable à la longue car l’excédent des uns est forcément le déficit des autres. La politique qui a été imposée, certes par traité, est une politique déflationniste dont le résultat est un nombre anormal de chômeurs, singulièrement de jeunes chômeurs, dans beaucoup de pays dont le nôtre. Madame Merkel veut-elle devenir la chancelière qui aura ruiné le projet européen ou au contraire voudra-t-elle donner un contenu à l’idée d’une “Allemagne européenne” ? »
Sur les migrants (Le Figaro ne dit même plus les « réfugiés »)
« C’est un enjeu majeur qui n’a de solution, comme l’a dit le président de la République à juste titre, que dans le développement de l’Afrique. Il faut que l’Afrique arrive à se développer et à dominer sa démographie. Il faut avoir le courage de le dire. Il y a une limite à l’immigration : la capacité d’intégration de la société d’accueil. »
Par la suite, Chevènement se dit reconnaissant à « Macron d’avoir mis fin à une brouille absurde » avec Trump et Poutine, et d’avoir revu notre politique à l’égard de Bachar al-Assad. Il vise en cela la désastreuse politique étrangère de François Hollande. Pour lui, la formation d’un Kurdistan est un facteur de risques et reviendrait à « ouvrir un cycle de guerres ». Il rend hommage en passant à Chirac qui s’était opposé à la destruction de l’Irak en 2003.
Dernier thème, celui de l’Éducation nationale, dont Chevènement a été ministre. Quand Le Figaro lui pose la question du conflit opposant Blanquer à Lussault, voici sa réponse :
« Monsieur Lussault, il y a un an, s’était insurgé contre la possibilité d’enseigner le récit national, au risque disait-il de “désespérer Billancourt”, entendez les salles de professeurs dans les collèges et les lycées. J’avais eu alors l’occasion de lui faire observer que le récit national était nécessaire à la démocratie car il faut un “demos” pour que la République puisse vivre. Et ce “demos”, c’est le sentiment d’appartenance collective qui nous réunit en tant que citoyens français. Nous sommes une nation de citoyens, mais nous ne sommes pas décidés à perdre la mémoire de ce que nous avons fait ensemble et de ce qui nous a faits. La démission de Monsieur Lussault est donc plutôt une bonne nouvelle pour la République. »