Ce que tout révolutionnaire doit savoir de la répression de Victor Serge

Entre les deux parties de ce texte dont le thème est la répression, l’écart est si large que leur signature par un auteur unique a quelque chose d’improbable – à moins que la notion même d’auteur soit ici sujette à particulière caution.
     La première partie (chapitres 1, 2 et 3), la plus longue, est publiée en novembre 1921 dans trois livraisons de l’hebdomadaire Le Bulletin communiste, tout juste fondé par Boris Souvarine, alors membre du comité exécutif de la IIIe Internationale. Victor Serge les a envoyées de Moscou, où il travaille au commissariat des Affaires étrangères.
     Le départ est une longue description du fonctionnement de la police secrète tsariste, l’Okhrana. Ses archives désormais ouvertes révèlent, outre des techniques qu’on pourrait dire classiques – filatures, écoutes téléphoniques, interceptions de courrier, procédés anthropométriques  -, une utilisation extraordinaire de l’infiltration et de la provocation : « La provocation, en atteignant une telle ampleur, devint par elle-même un danger pour le régime qui s’en servait et surtout pour les hommes de ce régime. On sait par exemple que l’un des plus hauts fonctionnaires du ministère de l’Intérieur, le policier Ratchkovski, connut et sanctionna les projets d’exécution de Plevhe et du grand-duc Serge. Stolypine, bien au courant de ces choses, se faisait accompagner dans ses sorties par le chef de la police Guerassimov dont la présence lui paraissait une garantie contre les attentats commis à l’instigation des provocateurs. Stolypine fut d’ailleurs tué par l’anarchiste Bogrov qui appartenait à la police. » A cette belle illustration de la dialectique policière, Victor Serge ajoute : « La provocation, malgré tout, prospérait encore au moment où éclata la révolution. Des agents provocateurs touchèrent leurs dernières mensualités dans les derniers jours de février 1917 – une semaine avant l’écroulement de l’autocratie. »
     C’est sur cette étude de l’Okhrana que se fondent les conseils de Serge aux révolutionnaires internationaux, en cette année où l’Allemagne l’Italie et même la France sont secouées par l’exemple russe : « La science des luttes d’un demi-siècle d’efforts et de sacrifices, les militants des pays où l’action se développe aujourd’hui vont devoir, dans les conditions créées par la guerre, par les victoires du prolétariat russe et les défaites du prolétariat international […], se l’assimiler en un laps de temps beaucoup plus court ; elle leur devient nécessaire dès aujourd’hui. » On doit cesser de respecter la légalité bourgeoise (« Le fétichisme de la légalité fut et reste un des traits les plus marquants du socialisme acquis à la collaboration des classes ») et se préparer à l’existence illégale/clandestine pour ne pas être pris de court et détruit par une mise hors la loi. Et les conseils pratiques que Serge détaillait il y a près d’un siècle prennent aujourd’hui comme un air d’actualité : se considérer en permanence comme filé, écrire le moins possible (« ne pas écrire est mieux »), se défier des téléphones, savoir se taire, ne répondre à aucun interrogatoire sans être assisté d’un défenseur, « ne pas céder au penchant, inculqué par l’éducation idéaliste bourgeoise, d’établir ou de rétablir ‘la vérité’ « , se garder de la manie de la conspiration : « La plus grande vertu du révolutionnaire, c’est la simplicité, le dédain de toute pose même… révolutionnaire. »

Préface d’Éric Hazan
Ce que tout révolutionnaire doit savoir de la répression, Victor Serge
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