Cet univers grouillant et « nauséabond » de Beaufs, Groseille et Bidochon…
Une fois la gauche définitivement recentrée sur sa seule fonction « avant-gardiste » (processus qui ne s’achèvera en France, qu’avec l’ère Mitterrand), plus rien ne pourra interdire aux intellectuels et aux artistes qui s’en réclament de se vivre, à présent, comme les représentants héroïques d’une « minorité éclairée » (ou d’un « parti de l’intelligence »), œuvrant par définition dans le « sens de l’histoire » (c’est-à-dire dans celui de la « mondialisation ») et profondément convaincus que les insupportables penchants « populistes » des classes inférieures – cet univers grouillant et « nauséabond » de Beaufs, Groseille et Bidochon – constituent le seul danger susceptible de menacer les équilibres délicats et subtils de la société ouverte (et, par là même occasion, les privilèges si légitimes de cette minorité éclairée). Comme George Orwell le constatait déjà en 1937 – dans Le Quai de Wigan – la plupart des intellectuels de gauche en sont désormais venus à penser que « la révolution n’est pas un mouvement des masses auquel ils souhaiteraient s’associer, mais un ensemble de réformes que nous, les gens intelligents, allons imposer aux classes populaires ».
Jean-Claude Michéa, Le complexe d’Orphée