En Serbie aussi, on manifeste le samedi

Il n’y a pas qu’en France qu’on manifeste tous les samedis. A Belgrade, dans une cinquantaine de villes de Serbie et même jusqu’au Kosovo, ce samedi 10 mars est l’acte 14 d’un mouvement de protestation lancé en décembre dernier. Contre la chape de plomb imposée sur le pays par le président autocrate Aleksandar Vucic, choyé par l’Occident.

De tous âges, milieux et opinions politiques, les dizaines de milliers de protestataires qui s’apprêtent à défiler dans toute la Serbie, ce samedi 10 mars à 18 heures, pour la 14e semaine consécutive, sont résolument pacifistes. Armés de simples sifflets, ils ne démolissent pas les abribus ni les devantures de banques, mais brandissent des slogans facétieux, tels des portraits du président Aleksandar Vucic en Pinocchio (version grand nez) et des auto-collants moqueurs dont ils « décorent » l’espace public. Ils ne s’en prennent pas non plus aux forces de l’ordre, lesquelles, il faut le souligner, se sont abstenues de toute violence ou provocation. Descendus dans les rues à la suite de la brutale agression, à coups de barre de fer, dont a été victime Borko Stefanovic, le chef de la Gauche de Serbie, le 23 novembre dernier, les manifestants protestent chaque samedi soir depuis le 8 décembre contre la chape de plomb tentaculaire mise en place sur le pays par le président Alexandar Vucic depuis son élection en avril 2017 au premier tour avec 56% des voix, et son parti progressiste serbe (SNS).

A Belgrade, les auto-collants noirs que les manifestants vont coller sur les devantures de cibles honnies – telle la Radio-télévision serbe (RTS), inféodée au pouvoir -, barrés de la mention « mensonge » en rouge, rappellent les promesses électorales non tenues du président Vucic : des promesses aussi diverses que « nous fabriquerons des pièces détachées pour Airbus et Boeing », « nous vous informerons d’ici deux semaines sur le meurtre d’Oliver Ivanovic » – un politicien serbe du Kosovo dont l’assassinat en janvier 2018 est à ce jour impuni -, « des livres scolaires moins chers » ou encore, «nous interdirons aux fonctionnaires d’utiliser à titre personnel leur voiture de fonction », sans oublier « nous retrouverons les meurtriers des journalistes assassinés ». Un autre slogan, «1 de 5 millions », omniprésent dans les cortèges, est devenu le hashtag des protestataires sur les réseaux sociaux. C’est le détournement d’une déclaration du président Vucic sur les manifestations, quand il promettait de ne « rien céder, quand bien même il y aurait 5 millions de personnes dans la rue ».

« Aleksandar Vučić a transformé l’État de droit en régime d’arbitraire personnel »

Média publics, ou semi-publics contrôlés par des proches du régime, sont désormais tout sauf indépendants. Un petit cercle autour du régime profite de sa proximité pour s’enrichir insolemment au détriment de la majorité, paupérisée, frappée par le chômage et contrainte à l’exil vers des cieux plus cléments. « Aleksandar Vučić a transformé l’État de droit en régime d’arbitraire personnel, le gouvernement en service d’écoute personnelle et le Parlement en une machine à voter chargée de légaliser son arbitraire », a ainsi résumé le professeur Čedomir Čupić, figure des mobilisations démocratiques serbes depuis l’hiver 1996, en s’adressant à foule le mois dernier.

Un homme du système puisqu’il fut ministre de Slobodan Milosevic en 1998, Vucic a évolué au gré de l’air du temps depuis l’extrême droite nationaliste et belliciste, pour se muer au cours de la dernière décennie en champion de l’intégration européenne. Ce qui explique, en dépit de son bilan calamiteux en matière de libertés publiques, le soutien que lui accordent les dirigeants de l’Union européenne, qui misent sur lui pour « régler » la question du Kosovo. Vucic, qui compte bien monnayer auprès des Occidentaux ses éventuelles concessions sur le Kosovo, cultive d’une autre main ses relations avec Moscou, qui a toujours appuyé son allié slave dans le besoin, et Pékin, un important partenaire commercial.

Bon enfant, rejetant aussi bien le parti du progrès au pouvoir que l’opposition, considérée comme également coupable, le mouvement de protestation s’étend chaque semaine dans de nouvelles municipalités, souvent au gré de problèmes locaux de gouvernance, corruption ou abus de pouvoir, jusqu’à plusieurs enclaves serbes au Kosovo. Reste à savoir si, face à l’indifférence affichée par le pouvoir, le mouvement va s’essouffler, faute d’une mutation en un mouvement politique organisé, ou si l’opposition parviendra à l’incarner. L’initiative d’un « accord avec le peuple », proposée par plusieurs partis d’opposition le 6 février, s’engageant à défendre la liberté de la presse et à organiser des élections libres, ne semble pas pour l’heure s’être imposée…

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