Attentat de Strasbourg : condamné 27 fois, le suspect aurait-il dû être en prison ?

FIGAROVOX/TRIBUNE – Chérif C., l’homme soupçonné d’avoir tiré dans la foule mardi soir, a déjà été condamné à 27 reprises et avait été signalé comme radicalisé lors d’un de ses passages en prison. D’après Guillaume Jeanson, beaucoup reste à faire face au nombre grandissant de détenus radicalisés.


Guillaume Jeanson est avocat au barreau de Paris, et porte-parole de l’Institut pour la Justice.


Une nouvelle fusillade est survenue mardi soir dans le centre historique de Strasbourg. Nos premières pensées vont évidemment aux victimes et à leurs familles endeuillées tragiquement à quelques semaines des festivités.

Passé le choc et l’horreur de ce nouveau drame, demeurent surtout la tristesse et cet autre sentiment, dont la récurrence ces trois dernières années, laisse comme un arrière-goût amer. Résilience ou résignation? On apprend en effet que Chérif C., 29 ans, était fiché S depuis 2016 pour des motifs de radicalisation, qu’il était surtout connu des services de police et de la justice pour des faits de droit commun, notamment de multiples braquages, en France et en Allemagne, qu’il avait déjà fait l’objet de près d’une trentaine de condamnations, qu’il était recherché le matin même pour tentative d’homicide dans le cadre d’un braquage qui avait mal tourné, que des grenades ont été découvertes chez lui…

Les attentats et leurs auteurs se ressemblent, la liste des victimes s’allonge et les mots pour le déplorer se répètent inlassablement.

Le projet de cette tuerie avait-il été mûrement réfléchi? Est-il le fait sordide d’un homme traqué, désireux d’habiller son opprobre de religiosité? A-t-il-agi seul? Relève-t-il d’une cellule à démanteler? A-t-il été piloté depuis l’étranger? Toutes ces questions trouveront, sans doute, leurs réponses dans les prochaines heures et les prochains jours. Mais une chose est sûre, ce périple meurtrier présente déjà furieusement les traits habituels d’un attentat djihadiste. La section anti-terroriste du parquet de Paris n’a d’ailleurs guère tardé à s’en saisir en ouvrant une enquête pour «assassinats et tentatives d’assassinats en relation avec une entreprise terroriste» et «association de malfaiteurs terroriste criminelle». Le plan Vigipirate a, lui aussi, été élevé au niveau maximum: celui «d’urgence attentat». Le Raid est mobilisé et l’autre côté du Rhin semble jouer la même partition.

Les attentats et leurs auteurs se ressemblent, la liste des victimes s’allonge et les mots pour le déplorer se répètent inlassablement. Le terrorisme est un moyen au service d’une fin. Ici, une vision fanatique d’un Islam conquérant. Pour se défendre face à ce phénomène, tout ne pourra donc évidemment pas se régler par la seule réponse judiciaire. Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris, interrogé au mois d’octobre dernier par Alexandre del Valle et Amaury Brelet pour Valeurs Actuelles , avertissait sur la montée de l’islam radical en France: «Il faut en finir avec la dérive islamiste radicale et communautariste, catastrophique pour le pays. Il va falloir se gendarmer un petit peu, être bien plus ferme avec les intégristes (…) pour éviter que ce danger ne prospère davantage, il faut agir avec fermeté car les islamistes se nourrissent de notre faiblesse». Fustigeant les politiques menées ces dernières années, il déclarait: «Nous assistons à l’échec de la politique générale menée depuis des années. L’Etat vous dira laïcité, mais cette laïcité “neutre” a bon dos car, ne pas intervenir, c’est aussi laisser faire et être complice. (…)». Évoquant la compromission du pouvoir avec les Frères Musulmans, il précisait «je rappelle aussi que c’est eux que l’État a sollicités quand il y a eu des émeutes urbaines à Clichy-sous-Bois, en décembre 2005, en leur demandant de faire une fatwa anticasseurs pour arrêter le chaos des banlieues. Cela a été l’erreur la plus monumentale que j’ai jamais vue. (…) Avoir laissé les jeunes et les banlieues complètement abandonnés à ces radicaux est absolument ahurissant!» L’heure est moins aux comptes d’apothicaires politiques, qu’à l’urgence d’en tirer enfin les leçons pour ne plus reproduire les graves erreurs du passé. Quelle politique courageuse et volontariste l’État est-il prêt à mener face aux dangers de l’Islam radical?

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Le journal Le Parisien précise que Chérif C. avait été signalé par la DGSI lors d’un passage en prison où il s’était fait remarquer tant pour ses violences que son prosélytisme religieux. Pour Laurent Nuñez, qui dirigeait cette institution avant d’être nommé secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur, «c’est à ce titre uniquement qu’il était suivi, de manière assez sérieuse, par les services de renseignement mais comme beaucoup d’autres individus qui ont pu manifester une pratique radicale religieuse en détention». Oui, l’Islam radical sévit en prison. Personne ne l’ignore mais la situation continue quand même, lentement mais sûrement, de pourrir. Jusqu’à quand? Jusqu’à quel autre drame? Dans son livre Les Revenants couronné du prix Albert Londres, le journaliste David Thomson, qui fait autorité sur la question des djihadistes, narre cette scène surréaliste qui en dit plus long que n’importe quel rapport parlementaire sur ce qui se passe derrière les murs: «Poussés à fond, derrière les barreaux, les hauts-parleurs diffusent dans toute la cour et aux bâtiments alentour les anashid les plus connus de l’État islamique, ces fameux chants de guerre a cappella. “ Ah! Ah! Ah! Tu l’entends résonner dans toute la prison. Même les détenus qui sont là pour drogue ou braquage, tu les entends crier «Allahou Akbar! ”, s’esclaffe ce détenu emprisonné pour une affaire de jihad très médiatisée. C’est une ambiance superbe, franchement. Des fois dans les anashid, ça tire, y a des explosions, t’as l’impression que c’est la guerre ici! Les gardiens, ils sont trop cons pour comprendre le sens des anashid. Ils comprennent pas ce que c’est, mais les musulmans eux, ils savent.» De même, nous apprend le journaliste, «il n’est pas rare de voir, sur Twitter ou Facebook des échanges publics entre un jihadiste français actif en Syrie ou en Irak et un jihadiste détenu en France. (…) Incarcérés, certains vont même jusqu’à donner des cours de religion aux sympathisants à l’extérieur sur Facebook ou sur des chaînes Telegram privées qu’ils animent, là encore, de leur cellule. Le téléphone permet aussi à certains détenus de contracter des mariages religieux avec des femmes également détenues pour des faits de terrorisme ou partagent leur idéologie, à l’extérieur.»

Avec 27 condamnations à même pas trente ans, dont certaines pour crimes, la place de Chérif C. le jour de cet attentat était plutôt derrière les barreaux.

Face à cette situation invraisemblable, la ministre de la Justice promet d’installer prochainement des téléphones dans chaque cellule. Si la sauvegarde des liens familiaux est certes importante pour les détenus, la voie choisie ici est-elle vraiment la plus judicieuse? Plus grave encore, malgré les 15 000 détenus en surnombre et les 15 000 places supplémentaires promises sur le quinquennat, seules 3 110 places devraient voir le jour sur cette même période, selon la journaliste Paule Gonzalès du Figaro . Comment espérer, dans de telles conditions, établir un semblant d’étanchéité entre les radicalisés et les autres détenus? Certaines voix s’empresseront probablement d’assurer qu’il suffit de vider les prisons pour résoudre le problème. Mais d’autres estimeront au contraire que, avec 27 condamnations à même pas trente ans, dont certaines pour crimes, la place de Chérif C. le jour de cet attentat était plutôt derrière les barreaux. «N’oublions pas, quand la philanthropie excite notre pitié pour un malheureux isolé, de réserver un peu de nos sympathies pour un intérêt plus grand encore, celui de la société tout entière ; défions-nous de ces vues étroites et mesquines qui n’aperçoivent que l’individu, et jamais la masse des hommes, et rappelons-nous éternellement cette pensée d’un grand philosophe: que c’est une grande cruauté envers les bons que la pitié envers les méchants» écrivaient en leur temps Tocqueville et Beaumont.

Autre sujet sensible que pose la radicalisation en prison, celui du personnel pénitentiaire. Face au défi qu’elle constitue, il faut opposer des compétences, des moyens et du professionnalisme pour un métier qui est pourtant de plus en plus choisi par dépit et dont le niveau de recrutement s’effondre drastiquement. Cette année, moins de 20 % des inscrits au concours se sont présentés à l’examen et des gens ont été pris avec 3/20 de moyenne. Comment s’en étonner alors que le nombre d’agressions des personnels pénitentiaires – près de 5 000 l’année dernière – ne cesse de s’envoler?

Ne pas relever efficacement chacun de ces défis, alors que 450 détenus radicalisés sortiront de prison en 2019, c’est s’assurer – pour longtemps encore – du sang et des larmes.

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