Aucune des histoires nucléaires les plus folles de ce mois-ci n’implique la Corée du Nord

Un essai d’explosion nucléaire effectué au Nevada le 18 avril 1953.

Source : Ted Snider, Consortium News, 29-03-2018

Alors que l’impasse nucléaire nord-coréenne fait toujours la une des journaux, d’autres histoires liées au nucléaire – y compris celles impliquant l’Arabie saoudite, Israël et la Syrie – sont passées largement inaperçues, explique Ted Snider.

La semaine dernière, deux folles histoires nucléaires. Et ni l’une ni l’autre n’impliquait la Corée du Nord.

Arabie Saoudite

La première concernait l’Arabie saoudite. Bien que cette histoire très importante soit restée presque ignorée par les médias, les responsables de la Maison-Blanche ont confirmé que les pourparlers entre le président Donald Trump et le prince héritier Mohammed ben Salmane « comprenaient des discussions importantes » sur les « aspirations nucléaires » de l’Arabie saoudite. Apparemment, les pourparlers entre le secrétaire à l’énergie Rick Perry et les Saoudiens se déroulent tranquillement depuis un certain temps.

Ce qui est fou, ce n’est pas que l’Arabie saoudite aspire à un programme nucléaire. L’article IV du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires garantit à chaque pays le droit à un programme nucléaire civil à des fins énergétiques et médicales. Ce qui est fou, ce n’est pas non plus l’insistance de l’Arabie saoudite pour qu’elle soit autorisée à enrichir son propre uranium : le même article garantit ce droit.

Ce qui est dingue, c’est que pendant que Trump continuait à « s’engager avec nos partenaires saoudiens sur leurs plans pour un programme nucléaire civil et un éventuel approvisionnement américain en équipement et matériel nucléaire », le prince héritier déclarait ouvertement la volonté de l’Arabie saoudite d’utiliser cette aide pour construire une bombe nucléaire. Mohammed ben Salmane, également connu sous le nom de MBS, a déclaré lors d’une interview à la CBC que « l’Arabie saoudite ne veut pas acquérir de bombe nucléaire, mais sans aucun doute, si l’Iran développait une bombe nucléaire, nous ferions de même dès que possible ».

Le gouvernement saoudien a récemment adopté un programme de politique nationale qui limite les activités nucléaires à des utilisations pacifiques. Cependant, la déclaration ouverte de MBS montre la fragilité et la flexibilité de cette promesse du cabinet.

Le danger de la déclaration de MBS n’est pas dans la façon dont elle est formulée. Elle est formulé sous forme de conditionnelle : si l’Iran construit une bombe nucléaire, l’Arabie Saoudite construira une bombe. Le conditionnel ne présente aucun danger parce que l’Iran ne construit pas de bombe, comme l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) l’a certifié à plusieurs reprises depuis l’entrée en vigueur de l’accord nucléaire du Plan d’action global conjoint.

Mais il y a un danger dans la déclaration. Premièrement, parce que l’Arabie saoudite revendique le droit de définir ses propres conditions de rupture du traité de non-prolifération nucléaire. La logique de MBS indique clairement que le programme nucléaire de l’Arabie saoudite pourrait passer du civil au militaire si elle se sent menacée par un ennemi de son choix. Peut-être que l’Iran ne construit pas une bombe. Mais que se passerait-il si l’Arabie saoudite identifiait le Pakistan ou Israël comme une menace ? Selon la logique du prince héritier, cela justifierait l’utilisation de « l’équipement et du matériel nucléaires » américains pour construire une bombe nucléaire.

Deuxièmement, le conditionnel profite d’une logique spéciale américano-israélienne-saoudienne différente de celle que l’on trouve dans les manuels scolaires. L’Iran n’a jamais eu à construire une bombe pour subir les sanctions et l’isolement de l’affirmation selon laquelle il construisait une bombe. La logique saoudienne n’est donc pas que si l’Iran construit une bombe, nous construirons une bombe ; l’Iran construit une bombe ; par conséquent, nous construirons une bombe. C’est plutôt la logique spéciale et dangereuse que si l’Iran construit une bombe, nous construirons une bombe ; nous prétendons que l’Iran construit une bombe ; par conséquent, nous construirons une bombe. En d’autres termes, le conditionnel justifie la percée des armes nucléaires à tout moment au choix de l’Arabie saoudite.

Et ce sont les conditions selon lesquelles Trump discute d’un programme nucléaire saoudien avec Mohammed bin Salman.

Israël et la Syrie

La deuxième folle histoire au sujet du nucléaire a été l’annonce par Israël que c’est Israël qui a bombardé le réacteur nucléaire syrien en septembre 2007.

Il y a deux parties absurdes concernant l’annonce israélienne. La première est que tout le monde a toujours su que c’est Israël qui a bombardé le réacteur nucléaire. L’article de Seymour Hersh de 2008, qui est arrivé rapidement dans le sillage des frappes, a commencé par ces mots : « Peu après minuit le 6 septembre 2007, au moins quatre chasseurs de l’armée de l’air israélienne ont traversé l’espace aérien syrien et ont effectué une mission secrète de bombardement ».

Deuxièmement, il est presque certain qu’il ne s’agissait pas d’un réacteur nucléaire.

Si la Syrie était en train de construire un réacteur nucléaire, la CIA de Michael Hayden n’en savait rien. Et c’est ce qu’il a dit au président Bush. Il n’est pas impossible de croire que la CIA a raté un programme nucléaire secret ou même que cela relève du jamais vu. Ce qui est plus incroyable, c’est qu’ils l’ont raté alors que c’était en plein air, que leurs satellites très sophistiqués ont raté ce qu’un satellite commercial pouvait facilement repérer.

Un certain nombre d’éléments non techniques ne cadraient pas avec l’histoire israélienne. Seymour Hersh l’a remarqué dans son premier reportage d’investigation sur les frappes, A Strike in the Dark [une frappe dans l’obscurité, NdT]. Un ancien expert du renseignement du département d’État a dit à Hersh que beaucoup de ce que l’on pourrait voir autour d’un réacteur nucléaire manquait sur le site. Il n’y avait même pas de sécurité autour. L’ambassadeur de Syrie aux États-Unis à l’époque, Imad Moustapha s’est émerveillé de la même chose en se demandant :

« Un site prétendument stratégique en Syrie sans un seul point de contrôle militaire autour, sans fil barbelé, sans missiles antiaériens autour, sans aucune sorte de sécurité, jeté au milieu du désert sans électricité, projette de produire de l’électricité pour ça, sans grands plans d’approvisionnement autour ? Et maintenant c’est supposé être une installation stratégique ? Et les gens n’y pensent même pas. Hier, dans la déclaration présidentielle de la Maison-Blanche, il a été déclaré littéralement qu’il s’agissait d’un lieu secret. Et pourtant, tous les services commerciaux par satellite disponibles sur terre ont été en mesure de fournir des photos et des images de ce soi-disant site secret syrien depuis cinq, six ans. »

D’autres faits ne cadraient pas non plus avec le récit israélien. La Corée du Nord aurait joué un rôle clé dans la construction du réacteur secret. Les Israéliens ont dit qu’un navire nord-coréen, le Al Hamed, avait livré de l’équipement nucléaire pour le réacteur. Mais l’enquête de Hersh a révélé que ni les renseignements maritimes ni le transpondeur du navire n’indiquaient que le Al Hamad avait récemment accosté en Corée du Nord.

Mais ce qui est peut-être le plus révélateur, ce n’est pas que la CIA ait manqué ce que les satellites commerciaux pouvaient détecter à l’air libre, pas qu’ils n’avaient « aucune preuve de la présence d’un réacteur – pas de signalement de la part des services de renseignement humains ou par satellite », comme un ancien haut responsable du renseignement américain qui avait accès aux renseignements actuels l’a dit à Hersh. Ce qui est peut-être plus révélateur, c’est que lorsqu’on leur a fourni les renseignements, malgré leur adhésion au récit israélien, ils n’ont en fait évalué que la « faible confiance » en ce que le site ciblé faisait partie d’un programme d’armes nucléaires syrien. Et ils n’étaient pas les seuls. Mohamed El Baradei, alors directeur général de l’AIEA, a déclaré que « les experts qui ont soigneusement analysé l’imagerie satellitaire disent qu’il est peu probable que ce bâtiment ait été une installation nucléaire ».

Le problème était que les questions techniques étaient encore plus importantes que ces questions non techniques. Il y avait trois points sur des questions techniques.

Le premier concernait les photos fournies par le Mossad d’Israël. Il y avait deux problèmes avec la preuve par photographie. La première est que Hayden n’a jamais demandé aux Israéliens comment ils ont obtenu les photographies, même si le directeur de la CIA savait qu’au moins une des photos avait été prise pour rendre l’affaire plus convaincante, comme l’a rapporté le journaliste d’investigation Gareth Porter. La seconde est que la CIA a reçu un paquet de photographies de l’intérieur d’un réacteur nucléaire potentiel et un paquet de photographies de l’extérieur du bâtiment visé en Syrie, mais « rien qui relie les deux », comme l’ancien inspecteur en désarmement de l’ONU Scott Ritter l’a souligné.

La deuxième série de problèmes techniques concerne le bâtiment lui-même. Le premier était que le bâtiment n’était pas de la bonne taille. Les Israéliens et la CIA ont affirmé que le réacteur nucléaire syrien était calqué sur le réacteur nord-coréen de Yongbyon. Il s’agit d’un type de réacteur connu sous le nom de réacteur modéré au graphite refroidi au gaz (GCGM). Mais le réacteur syrien ne correspondait pas au plan. Hersh a signalé cette incohérence très tôt. Il dit que l’expert en non-prolifération Jeffrey Lewis lui a dit que « même si la largeur et la longueur du bâtiment étaient similaires au site coréen, sa hauteur n’était tout simplement pas suffisante pour contenir un réacteur de la taille d’un Yongbyon ».

L’enquête ultérieure de Gareth Porter a confirmé la contradiction. Porter s’est appuyé sur Yousry Abushady, le meilleur spécialiste de l’AIEA sur les réacteurs nord-coréens. Abushady connaissait les réacteurs GCGM mieux que quiconque à l’AIEA, et « les preuves qu’il a vues dans la vidéo l’ont convaincu », rapporte Porter, « qu’aucun réacteur de ce type n’aurait pu être en construction » en Syrie. Et la première raison, encore une fois, selon Abushady, était « que le bâtiment était trop court pour contenir un réacteur comme celui de Yongbyon, en Corée du Nord ». Selon Abushady, le bâtiment bombardé en Syrie ne faisait « qu’un peu plus d’un tiers de la hauteur » du prototype nord-coréen supposé.

Mais il y avait d’autres problèmes. Le réacteur nord-coréen nécessitait au moins 20 bâtiments de soutien, mais le site syrien n’en possédait pas, même si les services de renseignement israéliens ont insisté sur le fait qu’il ne restait que quelques mois avant d’être prêt à fonctionner. Le réacteur était censé être un réacteur refroidi au gaz, mais il n’y avait rien en place pour refroidir le gaz.

Porter rapporte que l’ancien inspecteur principal de l’AIEA, Robert Kelley, a également souligné l’absence d’installations de traitement de l’eau sur les vues présentées. Il n’y avait pas non plus de bâtiment pour un bassin pour le combustible usé. Cependant, Abushady dit que chaque réacteur GCGM jamais construit possède un bâtiment séparé pour abriter le bassin de combustible usé. Il n’y a pas de tels bâtiments en construction sur l’imagerie, mais le réacteur nucléaire était censé être sur le point d’être opérationnel.

L’ensemble de problèmes les plus graves est le troisième : les incohérences environnementales. Il y avait deux incohérences environnementales accablantes – la première concerne l’uranium et la seconde le graphite.

Si le bâtiment syrien bombardé était un réacteur nucléaire, il aurait dû y avoir de l’uranium dans les échantillons environnementaux prélevés par l’AIEA. Mohamed ElBaradei a dit que « jusqu’à présent, nous n’avons trouvé aucune indication de matières nucléaires ». Tous les échantillons prélevés au sol dans la zone du bâtiment syrien se sont révélés négatifs pour l’uranium et le plutonium. C’est un problème pour le récit israélien.

Mais ce n’était même pas le plus gros problème. La plus grande incohérence environnementale ne provenait pas des analyses pour l’uranium, mais pour le graphite. Après tout, le site syrien était censé être un réacteur modéré au graphite refroidi au gaz. Si c’était le cas, alors quand le bâtiment a explosé, il aurait dû laisser du graphite partout, selon Scott Ritter.

Ritter dit qu’il y aurait déjà eu des milliers de livres de graphite dans l’installation. Mais, dit-il, « il n’y en a aucune preuve dans les ruines… S’il avait été bombardé et qu’on y avait introduit du graphite, vous auriez une signature sur toute la surface des blocs de graphite détruits. Il y aurait du graphite qui traînerait dans les environs, etc. Ce n’était pas le cas. »

Selon Porter, c’est cette incohérence qui a le plus dérangé Abushady. Il dit que le bombardement du réacteur « aurait répandu des particules de graphite de qualité nucléaire sur tout le site ». Mais aucun des échantillons prélevés par l’AIEA ne montrait même une trace de graphite : du graphite qui aurait dû être là et qui « aurait été impossible à nettoyer », comme l’expert nucléaire Behrd Nakhai l’a dit à Porter. Abushady dit que « ces résultats sont la base pour confirmer… que le site ne peut pas [avoir été] réellement un réacteur nucléaire ».

Ainsi, la Corée du Nord ne figurait même pas dans les histoires nucléaires les plus folles de ces derniers jours. Les histoires les plus folles mettaient en vedette l’Arabie saoudite et des États-Unis, Israël et la Syrie : le programme d’armes nucléaires que les Saoudiens pourraient avoir et celui que les Syriens n’ont jamais eu.

Ted Snider est titulaire d’un diplôme d’études supérieures en philosophie et écrit sur l’analyse des tendances de la politique étrangère et de l’histoire des États-Unis.

Source : Ted Snider, Consortium News, 29-03-2018

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.*

 

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