Combien de millions de personnes ont-elles été tuées dans les guerres menées par les États-Unis après le 11 septembre ? – Première partie : L’Irak

Article en lien avec les 15 ans de l’attaque de l’Irak en 2003.

Vu la sensibilité du sujet, on prendra évidemment avec prudence ces chiffres, qui ont le mérite d’alimenter le débat.

Source : Nicolas J.S. Davies, Consortium News, 22-03-2018

Le nombre de victimes dues aux guerres menées par les États-Unis depuis le onze septembre 2001 est loin d’être établi alors que faire face à l’ampleur réelle des crimes commis reste un devoir pressant, d’un point de vue moral, politique et juridique.

Combien de personnes ont été tuées dans les guerres menées par les États-Unis après le onze septembre ? Je mène des recherches et j’écris à ce sujet depuis que les États-Unis ont déclenché ces guerres, qu’ils ont essayé de justifier en alléguant que c’était une réponse aux attentats terroristes qui ont fait 2996 victimes aux États-Unis, le 11 septembre 2011.

Pourtant aucun crime, aussi abominable soit-il, ne peut justifier qu’on fasse la guerre à des pays et à des gens qui ne sont pas responsables des crimes commis, comme le procureur du procès de Nuremberg Ben Ferencz l’avait infatigablement expliqué à l’époque.

The Iraq Death Toll 15 Years After the US Invasion [Le nombre de victimes iraniennes 15 ans après l’invasion par les États-Unis, NdT] , que j’ai écrit en collaboration avec Medea Benjamin, estime le nombre de victimes en Irak de la façon la plus précise et la plus honnête possible. Selon nous, environ 2 400 000 personnes ont été tuées en Irak suite à l’agression historique, en 2003, des États-Unis et du Royaume Uni. Dans cet article, je vais expliquer de manière plus détaillée comment nous en sommes arrivés à cette estimation et fournir le contexte historique. Dans la deuxième partie, je procéderai à une évaluation similaire du nombre de personnes tuées jusqu’à maintenant lors des autres guerres menées par les États-Unis après le onze septembre.

Les études du nombre de victimes par opposition aux compte rendus passifs.

J’ai étudié ces mêmes questions dans le chapitre 7 de mon ouvrage Blood On Our hands : the American Invasion and Destruction of Iraq [Du sang sur nos mains : l’invasion américaine en Irak et la destruction du pays, NdT] et dans des articles qui ont précédé, depuis Burying the Lancet Report… and the Children [L’enterrement du rapport du Lancet… et des enfants, NdT] en 2005 jusqu’à Playing Games With War Deaths [On sous-estime le nombre des victimes de guerre, NdT] en 2016.

Dans chacun de ces exposés, j’explique que les évaluations de victimes de guerre régulièrement publiées par les agences des Nations unies, par des groupes de contrôle et par les médias sont presque tous basés sur « un compte rendu passif » et fragmentaire, non sur des études exhaustives du nombre de victimes.

Des pays où les États-Unis et leurs alliés font la guerre depuis 2001, l’Irak est le seul où des épidémiologistes ont étudié le nombre de victimes en employant les meilleures méthodes, élaborées et expérimentées dans d’autres zones de guerre, comme l’Angola, la Bosnie, la République démocratique du Congo, le Guatemala, le Kosovo, le Ruanda, le Soudan et l’Ouganda. Dans tous ces pays, comme en Irak, les résultats de ces études épidémiologiques de grande ampleur ont révélé que le nombre de victimes était de 5 à 20 fois supérieur à celui qui avait été publié auparavant et qui était basé sur le compte rendu passif de faits.

Body Count : Casualty Figures After 10 Years of the “War on Terror” [Nombre de victimes après 10 ans de « guerre contre le terrorisme », NdT] , un rapport publié par Physicians for Social Responsability (PSR) ( les Médecins et la responsabilité sociale ) a conclu en 2015 que l’étude du Lancet était la plus complète et la plus fiable de toutes celles menées en Irak, ceci en se fondant sur le type de l’étude, l’expérience et l’indépendance de l’équipe de recherche, le peu de temps écoulé depuis les morts qu’elle recensait et sa cohérence avec d’autres chiffres sur les violences commises en Irak depuis l’occupation. Selon cette étude, environ 601 000 Irakiens ont été tués dans les 39 premiers mois de la guerre d’Irak et de l’occupation du pays, sans oublier que la guerre avait été aussi à l’origine de 54 000 morts non violentes.

Pour les autres pays touchés par les guerres menées par les États-Unis depuis le 11 septembre, les seuls rapports au sujet du nombre de victimes sont ou bien compilés par les Nations unies et basés sur les enquêtes à propos de drames rapportés aux missions d’assistance des Nations unies, comme en Irak et en Afghanistan ou bien encore par des groupes de contrôle comme l’Observatoire syrien pour les droits de l’homme, l’Irak Body Count (IBC) et Airwars qui se fondent sur des compte- rendus passifs émanant des organisations gouvernementales, des antennes médicales ou des médias locaux ou étrangers.

Ces rapports passifs sont régulièrement présentés par les organes des Nations Unies, les agences gouvernementales, les médias et même par des militants comme des « estimations » du nombre de morts, mais ce ne sont pas des estimations. Par définition, aucune compilation de rapports fragmentaires ne peut réussir à se transformer en estimation réaliste de toutes les personnes tuées dans un pays ravagé par la guerre.

Au mieux, il est possible que les comptes rendus passifs de faits révèlent le nombre minimum de victimes de guerre. Cependant comme on ne trouve souvent dans ces rapports qu’une petite fraction du nombre effectif de victimes, il est on ne peut plus trompeur de présenter ce chiffre comme « une estimation » du nombre total des victimes. C’est la raison pour laquelle des épidémiologistes ont élaboré des méthodes d’échantillonnage scientifique qu’ils savent utiliser pour proposer des estimations exactes du nombre des victimes de guerre grâce à des études statistiquement fiables.

Les épidémiologistes ont retrouvé dans de nombreuses zones de guerre, au niveau mondial, des disparités énormes – de 5 à 1 et de 20 à 1 – entre les résultats des études du nombre de morts et les rapports passifs. Dans des pays où les gouvernements occidentaux ne sont pas responsables de la guerre en cours, il n’y a pas eu de controverse à propos de ce type de résultats qui sont cités régulièrement par les responsables occidentaux et les médias.

Cependant les hommes politiques et les médias occidentaux rejettent et marginalisent les résultats des études à propos du nombre de morts en Irak, et ce, pour des raisons politiques. Les États-Unis et le Royaume-Uni sont, en effet, responsables de la guerre d’Irak, par conséquent l’ampleur du massacre est une question très sérieuse de responsabilité politique et juridique pour les hauts responsables qui ont choisi de ne pas écouter les mises en garde juridiques, cette invasion de l’Irak étant légalement une « agression criminelle ».

En 2006, des responsables britanniques ont demandé l’avis de Sir Roy Anderson, le conseiller scientifique en chef du ministère de la Défense du Royaume Uni et ce dernier leur a déclaré que « l’étude du Lancet était solide et employait des méthodes considérées comme quasiment “les meilleures” dans ce domaine ».

La BBC a obtenu des copies des mails dans lesquels des responsables britanniques avouaient que l’étude était « probablement juste » et que « sa méthodologie ne pouvait pas être contestée, que c’était une façon éprouvée d’évaluer le nombre de morts dans des zones de conflit ». Cependant les mêmes responsables ont aussitôt lancé une campagne pour discréditer cette même étude. Le président George W Bush a déclaré publiquement : « Je ne considère pas ce rapport comme crédible » et les médias dominants états-uniens, dans leur servilité, ont vite dénié à cette étude toute importance.

Dans mon article Playing Games With War Deaths en 2016, je conclus : « Comme avec le changement climatique et d’autres problèmes, les responsables des Nations unies doivent s’affranchir des pressions politiques, se familiariser avec les bases scientifiques nécessaires et cesser de reléguer la grande majorité des victimes de nos guerres dans ce “trou de la mémoire” orwellien. »

Selon certains, il n’est pas important de savoir si nos guerres ont tué des dizaines de milliers de personnes ou des millions puisque toutes les victimes de guerre constituent des pertes tragiques et que nous devrions nous contenter de les pleurer au lieu de pinailler à propos de chiffres. Cependant, comme les auteurs de Body Count l’ont remarqué :

« Les seuls chiffres relayés par les médias devraient pourtant être déjà suffisamment terrifiants… Cependant on semble toujours les considérer comme tolérables et, en outre, faciles à expliquer, grâce à l’image de l’extrême violence d’origine religieuse qui règne dans la région. Le nombre de 655 000 morts dans les trois premières années de la guerre seulement, cependant, indique clairement que nous avons affaire à un crime contre l’humanité proche du génocide. »

Je suis d’accord avec les auteurs de Body Count, il est important de savoir si nos guerres tuent des millions de personnes ou seulement 10 000 comme, semble-t-il, d’après les sondages, la plupart des gens au Royaume-Uni et aux États-Unis le croient.

La plupart des Américains diraient qu’il importe de savoir si le rôle de l’Allemagne lors de la Seconde Guerre mondiale a été à l’origine de millions de morts violentes ou de seulement dix mille. Suggérer le second terme de l’alternative est, en fait, un délit en Allemagne et dans plusieurs autres pays.

Ainsi les hommes politiques, les journalistes et les citoyens américains qui affirment ne pas se soucier de savoir combien d’Irakiens ont été tués ont-ils, consciemment ou non, ce qui est moralement insoutenable, deux poids, deux mesures au sujet des conséquences des guerres menées par notre pays ; précisément parce que c’est notre pays qui les mène.

Une guerre qui continue à tuer.

Des experts indépendants comme les auteurs du rapport du Body Count considèrent certes l’étude du Lancet de 2006 sur le nombre de morts dus à l’invasion de l’Irak comme l’estimation la plus précise et la plus fiable des victimes de guerre dans tous les conflits que nous avons déclenchés après le onze septembre, mais elle a été menée il y a presque 12 ans, après seulement 39 mois de guerre et d’occupation de l’Irak. Malheureusement on était encore bien loin des chiffres catastrophiques de victimes dues à l’agression historique par les États-Unis et le Royaume Uni.

L’étude du Lancet de 2006 met en évidence la flambée de violence qui n’a cessé de croître dans l’Irak occupé entre 2003 et 2006 et beaucoup d’autres paramètres indiquent que l’escalade de la violence a continué dans le pays au moins jusqu’à la fin de « l’augmentation des troupes » en 2007. Le déferlement de corps mutilés, victimes des escadrons de la mort, qui envahissaient les morgues de Bagdad n’a pas atteint son maximum avant la fin de 2006 avec 1 800 cadavres en juillet et 1 600 en octobre. Puis les bombardements aériens de l’Irak ont été multipliés par cinq en 2007 et janvier 2008 a été le mois où le bombardement de l’armée américaine a été le plus intense depuis l’invasion de 2003.

Ces éléments rendent crédibles le rapport, en juin 2007, un an après l’étude du Lancet, d’une société de sondages respectée, Opinion Research Business (ORB), rapport selon lequel 1 033 000 Irakiens avaient déjà été tués.

L’étude du Lancet estime que 328 000 ou plus des morts violentes avaient eu lieu entre mai 2005 et mai- juin 2006. Alors si l’estimation de l’ORB est exacte, cela signifierait qu’environ 430 000 Irakiens ont été tués l’année qui a suivi l’étude du Lancet.

Le chiffre d’un million de morts est certes choquant, mais l’augmentation constante du nombre des victimes révélée par le rapport de l’ORB cadre bien avec d’autres indicateurs de la violence de l’occupation, qui a continué à augmenter à la fin de 2006 et en 2007.

La violence en Irak a décru en 2008 et pendant les quelques années qui ont suivi. Cependant ont continué à faire régner la terreur parmi les Arabes sunnites du nord et de l’ouest du pays les escadrons de la mort de la police spéciale, qui ont été recrutés, entraînés et lâchés en Irak par le ministre irakien de l’Intérieur, les forces d’occupation des États-Unis et la CIA entre 2004 et 2006 (ces escadrons seront d’ailleurs rebaptisés police nationale après la révélation au monde de leur centre de torture Al-Jadinyah, avant de devenir police fédérale en 2009). Leurs exactions ont provoqué une reprise de la résistance armée et elles ont amené, en 2014, de grands pans du pays à se soumettre à l’autorité de l’EI, vu comme une alternative aux abus continuels du gouvernement irakien, corrompu et sectaire, et de ses escadrons de la mort.

Le Body Count d’Irak basé au Royaume Uni a compilé des compte rendus passifs à propos des morts de civils en Irak depuis l’invasion, mais il n’avait enregistré que 43 394 morts en juin 2006 alors que l’étude du Lancet avait estimé le nombre de morts violentes à 601 000, ce qui nous donne un ratio de 14 à 1. Just Foreign Police (JFP) aux États-Unis a créé le « Iraqi Death Estimator », un outil d’estimation des victimes irakiennes qui a mis à jour l’estimation de l’étude du Lancet en allant chercher les victimes rapportées par l’Iraq Body Count et a multiplié leur nombre par le ratio entre l’étude sur les victimes de guerre et le compte rendu passif de l’IBC de 2006.

Puisque l’IBC se base principalement sur des articles de médias anglophones, il a peut-être sous-dénombré les victimes, et ce, encore plus après 2007, puisque les médias occidentaux se désintéressent peu à peu de l’Irak. D’autre part, comme les responsables gouvernementaux et les journalistes courent beaucoup moins de risques à se déplacer en Irak, il est possible que ces rapports soient devenus plus précis. Ou peut-être ces facteurs se sont-ils combinés à d’autres pour donner plus de précision à l’Iraqi Death Estimator du JFP. Il est probable cependant qu’au fil du temps, il ait perdu de sa précision et on l’a arrêté en septembre 2011. À ce moment, les victimes de la guerre d’Irak se chiffraient à 1 460 000.

En 2013, la revue médicale PLOS a publié une autre étude du nombre de victimes, qui allait jusqu’en 2011. L’auteur de l’éditorial a déclaré au National Geographic que son estimation de 500 000 morts en Irak était « probablement basse ». L’étude avait une marge d’erreur plus importante que celle du Lancet et les équipes d’enquêteurs ont décidé qu’il était trop dangereux de travailler dans deux des grappes qui avaient été choisies de façon aléatoire.

Le problème le plus sérieux avec l’étude PLOS est, semble-t-il, que tellement de maisons ont été détruites ou abandonnées et tellement de familles ont été exterminées ou sont simplement disparues qu’il ne restait personne pour rapporter le nombre de victimes de ces familles aux enquêteurs. Il est même arrivé qu’on considère qu’il n’y avait eu aucune victime dans des maisons ou des immeubles entiers où tout le monde avait été tué ou s’était enfui.

Après l’extrême violence qui a sévi en 2006 et 2007 et quelques années de plus de conflit moins brutal, l’effet de la destruction et du déplacement des populations sur l’étude de PLOS doit avoir été plus marqué qu’en 2006. Un famille sur six en Irak a été obligée de déménager au moins une fois entre 2005 et 2010. La UNHCR [l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, NdT] a enregistré 3 millions de réfugiés à l’intérieur ou hors du pays, mais elle a concédé qu’un bien plus grand nombre n’était pas enregistré. Les auteurs ont ajouté 55 000 morts à leur total pour tenir compte des 15% des 2 millions de réfugiés qui ont perdu, chacun, un membre de leur famille, mais ils ont reconnu que c’était là une estimation très prudente.

Les auteurs du Body Count ont calculé que, si seulement 1% des maisons prises en compte par les enquêteurs étaient vides ou détruites et que dans chacune de ces familles, il y avait une ou deux victimes, l’évaluation globale de l’étude de PLOS aurait augmenté de 50%. Que les deux grappes qui représentaient les parties les plus dévastées de l’Irak n’aient pas été prises en compte doit avoir eu un effet similaire. La méthode de l’enquête par échantillonnage repose sur l’étude d’un échantillon représentatif de différentes zones, aussi bien les plus touchées que celles qui ont été relativement épargnées et où il y peu ou pas de victimes. Les victimes qui sont mortes le plus violemment sont souvent concentrées dans un petit nombre de grappes, ce qui donne, pour l’exactitude de l’évaluation finale, une importance énorme à des grappes comme les deux qu’ont évitées les enquêteurs de PLOS.

Depuis 2011, le guerre est entrée dans une nouvelle phase. Il y a eu un printemps arabe en Irak en 2011, mais il a été réprimé brutalement, poussant Fallujah et d’autres villes à entrer en rébellion ouverte une fois de plus. Plusieurs villes importantes ont succombé à l’EI en 2014, elles ont été assiégées par les forces gouvernementales irakiennes avant d’être détruites par le bombardement aérien des États-Unis, l’artillerie et les roquettes des Irakiens et de leurs alliés. Le Iraqi Body Count et la mission d’assistance des Nations Unies à l’Irak ont collecté des rapports passifs sur des dizaines de milliers de civils tués lors de cette phase de la guerre.

L’ancien ministre des Affaires étrangères Hoshyar Zebari a déclaré à Patrick Cockburn du quotidien britannique The Independent que les rapports des services secrets kurdes irakiens avaient estimé qu’au moins 40 000 civils avaient été tués dans le seul bombardement de Mossoul. Selon Zebari, il y avait probablement beaucoup plus de victimes dans les décombres, ce qui implique que les rapports dont il a pris connaissance faisaient jusque là référence à des victimes dont on avait retrouvé le corps et qui avaient été enterrées.

Une opération récente qui a consisté à débarrasser les décombres et à chercher les corps dans un seul quartier de Mossoul a donné 3 353 victimes, 20 % étaient apparemment des combattants de l’EI et 80 % étaient des civils. En outre, dans cette même ville, 11 000 personnes sont toujours considérées comme disparues par leur famille.

IBC a maintenant mis à jour le nombre de victimes pour la période qui va jusqu’en juin 2006, réduisant ainsi le ratio vis-à-vis de l’étude du Lancet de 11,5 à 1. Si nous appliquons la méthode du Iraqi Death Estimator du JFP depuis 2007 jusqu’à maintenant en employant ce ratio mis à jour et l’ajoutons à l’estimation de l’ORB de 1 030 000 morts jusqu’en juillet 2007, nous pouvons arriver à une estimation actuelle du nombre total des victimes irakiennes depuis 2003. Cette opération ne peut bien sûr, pas être aussi précise qu’une nouvelle étude complète sur le nombre de victimes. Cependant, à mon avis, c’est l’estimation la plus précise que nous puissions faire en nous basant sur ce que nous savons vraiment.

Et ceci nous donne une estimation de 2 380 000 victimes irakiennes depuis 2003 par suite de l’invasion criminelle de l’Irak par les États-Unis et les Britanniques.

Fourchette haute et fourchette basse.

Nous sommes loin d’être certains que cette estimation soit tout à fait exacte et il est donc important de calculer un nombre minimum et un nombre maximum basés sur les variations possibles des chiffres impliqués.

Pour arriver au nombre maximum et au nombre minimum des victimes probables de la guerre d’Irak, nous pouvons commencer avec les nombres minimum et maximum des personnes mortes de mort violente qui ont été établis avec une probabilité de 97,5 % par l’étude du Lancet, soit respectivement 426 000 et 794 000. L’ORB, en 2007, a donné, avec un échantillon plus important, un écart plus étroit entre les deux chiffres, mais cette enquête n’a pas été considérée comme aussi rigoureuse que celle du Lancet, sur d’autres aspects. Si nous appliquons les mêmes marges que dans l’étude du Lancet à l’estimation principale de l’enquête de l’ORB, cela nous donne un minimum de 730 000 et un maximum de 1 360 000 victimes de 2003 à juillet 2007.

Pour mettre à jour ces chiffres de nombres maximum et minimum en utilisant une variation de la méthode du JFP, nous devons aussi tenir compte des changements de ratio entre le décompte des victimes par IBC et le nombre réel de victimes. Les ratios des nombres minimum et maximum de l’étude du Lancet avec le compte revu à la hausse d’IBC pour juin 2006 sont d’environ 8 à 1 et 15 à 1.

Ces ratios sont caractéristiques des ratios entre les études complètes du nombre de victimes et les rapports passifs qu’on trouve dans d’autres zones de guerre au niveau mondial et qui varient de 5 à 1 à 20 à 1, comme je l’ai déjà fait remarquer. Cependant peut-être que l’IBC compte plus ou moins des victimes effectives depuis 2006 qu’il ne l’a fait auparavant. Il doit, en effet, sûrement essayer constamment d’améliorer la portée de sa collecte de données. D’ autre part, dans la phase la plus récente de la guerre, il y a eu beaucoup de victimes tuées par les bombes et les obus dans des zones gouvernées par l’EI, où des gens étaient punis ou même exécutés pour avoir essayé de communiquer avec le monde extérieur. Ainsi les données de l’IBC pour cette période pourraient-elles être plus fragmentaires que jamais.

Pour arriver à des nombres minimum et maximum réalistes, nous devons tenir compte de ces deux possibilités. Le ratio de 8 à 1 du nombre minimum de victimes tuées jusqu’en 2006 se rapproche peut-être du ratio minimum historique de 5 à 1 ou son ratio de 15 à 1 par rapport au nombre de l’étude du Lancet en 2006 peut avoir augmenté et atteindre le maximum historique de 20 à 1. En employant un ratio de 6,5 à 1 pour arriver au nombre minimum de victimes et celui de 17,5 à 1 pour le nombre maximum, on tient compte d’un minimum plus bas et d’un maximum plus élevé qu’en 2006, sans égaler les ratios les plus extrêmes jamais rencontrés dans d’autres conflits. Tout cela nous donne donc un minimum de 760 000 victimes irakiennes depuis juillet 2007 et un maximum de 2 040 000.

Nous avons ajouté ces chiffres au minimum et au maximum que nous avions calculés pour la période qui se terminait en juin 2007, ce qui nous donne des chiffres complets minimum et maximum depuis l’invasion de l’Irak par les États-Unis et le Royaume Uni. Nous pouvons estimer que le nombre d’Irakiens tués par suite de cette invasion illégale de leur pays doit se situer quelque part entre 1 500 000 et 3 400 000. Comme c’est généralement le cas avec ce genre d’amplitude statistique, le nombre réel de victimes se rapproche probablement davantage de notre estimation principale de 2 360 000 que des nombres minimum et maximum.

Appel en faveur d’une nouvelle enquête sur les victimes de guerre en Irak.

Il est très important que le secteur de la santé publique fournisse à la communauté mondiale des études actualisées sur le nombre de victimes en Irak et dans les autres pays où les États-unis ont mené des guerres après le onze septembre.

Une nouvelle enquête sur les victimes irakiennes doit trouver un moyen d’étudier même les zones les plus dangereuses et elle doit finir par trouver des procédures réalistes pour estimer le nombre de victimes quand des familles entières ont été tuées ou quand des maisons ou des appartements ont été détruits ou abandonnés. On considère que ce problème peut mener à des résultats erronés dans toutes les études au sujet des victimes irakiennes depuis 2004 et son importance ne cesse de croître à mesure que le temps passe. C’est là quelque chose qu’on ne peut pas ignorer et on ne doit pas non plus compenser ce manque d’informations par des conjectures.

Les équipes d’enquêteurs compilent des dossiers à propos de maisons vides et détruites dans les grappes qu’ils étudient et ils pourraient poser des questions aux voisins sur ces maisons où un grand nombre d’habitants ou des familles entières ont peut-être été tués. Ils doivent aussi enquêter sur les réfugiés et les personnes déplacées à l’intérieur du pays pour estimer le nombre de victimes dans ces populations.

Les épidémiologistes ont affronté des dangers très graves et de très sérieuses difficultés pour trouver des techniques qui mesurent avec exactitude le coût humain des guerres. Ils doivent continuer à travailler dans ce sens et à perfectionner leurs méthodes. Ils doivent s’affranchir des puissantes pressions politiques, y compris de la part de ceux qui sont coupables du carnage et les empêcher de politiser et discréditer leur travail incroyablement difficile mais d’une grande noblesse et d’une importance cruciale.

Lors du 15ème anniversaire de l’invasion illégale de l’Irak, le Center for Constitutional Rights [le Centre pour le respect des droits constitutionnels, NdT] des États-Unis a demandé de nouveau aux États-Unis de payer des dommages de guerre au peuple irakien. C’est une façon dont les pays qui sont coupables d’agression et d’autres crimes de guerre s’acquittent traditionnellement de leur responsabilité collective pour les morts qu’ils ont provoquées et les destructions qu’ils ont causées.

Dans Blood on Our Hands, je conclus mon exposé sur la guerre des États-Unis en Irak en lançant, de la même manière, un appel en faveur de l’allocation de dommages de guerre et pour des poursuites pénales contre les hauts responsables états-uniens et britanniques tant civils que militaires pour le « crime international suprême » d’agression et d’autres crimes de guerre systémiques en Irak.

Faire face à l’ampleur réelle des crimes commis demeure un devoir pressant, du point de vue moral, politique et juridique pour le peuple d’Irak, les États-Unis, le Royaume Uni et pour le monde entier. L’opinion mondiale ne demandera jamais aux plus haut placés des criminels de guerre de répondre de leurs crimes tant que les citoyens ne comprendront pas la réelle ampleur de l’horreur de ce que ces gens ont fait. Et le monde ne connaîtra pas la paix tant que les agresseurs les plus puissants pourront compter sur l’impunité dont ils jouissent pour « ce crime international suprême ».

Nicolas J.S. Davies est l’auteur de Blood On Our Hands: the American Invasion and Destruction of Iraq. Il a écrit aussi le chapitre sur Obama en guerre dans Grading the 44th President : a Report Card on Barack Obama’s First Term as a Progressive Leader.

Source : Nicolas J.S. Davies, Consortium News, 22-03-2018

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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