D’Amiens-nord à Blanquefort, délivrons les ouvriers, fermons les usines !

J’étais l’autre jour chez mon copain Chris. Un vrai métalleux aux cheveux longs, T.shirt
noir et jeans troués. Un ado de 44 ans mais sans la moité de ses dents à cause de la
chimio. À la radio, le journal s’ouvrait sur les très bons résultats de ventes de voitures :
+ 7% en mars, + 5% en 2016 – hourra. Depuis son cancer, Chris répète à l’envi « Qu’est-
ce qu’on en a à talquer ? » Certes, pas plus que des résultats de la bourse. Mais peut-
être que la bagnole l’a tué, lui. La bagnole et le reste.
Tous les cinq ans, la classe ouvrière s’invite dans les débats électoraux. C’était les aciéristes de Florange en 2012, les fabricants de machines à laver Whirlpool cette année. Ce qui n’est jamais débattu en ces occasions, c’est l’utilité même de ces activités industrielles, ni même leurs conséquences sanitaires et écologiques. L’emploi n’a pas d’odeur et nos salaires valent plus que nos vies. Rappelons aux promoteurs de l’automobile, Philippe Poutou, François Ruffin, Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen – et à leurs électeurs – que la voiture est le moyen de transport le plus nocif, le plus coûteux et le plus lent que l’industrie ait produit à ce jour.
[…]
En 1975, l’écologiste Ivan Illich démontre l’irrationalité automobile dans Énergie et équité. Additionnant le temps passé au volant et au travail pour payer les traites, les péages, les parkings, les assurances et les contraventions, Illich comptait que sur « ses seize heures de veille chaque jour, [l’automobiliste] en donne quatre à sa voiture.» Sans compter le temps passé à l’hôpital, au tribunal ou au garage.
Continuons le raisonnement du Pr. Illich : L’Américain de 1973 passait 160 heures par an pour parcourir mille kilomètres. Tout compte fait, il roulait à la vitesse de… 6 kilomètres à l’heure. Que de temps perdu à l’usine et au bureau pour si peu, voire si rien. 80 % des trajets servent à aller de la maison au travail ou au supermarché, et non à rouler sur une route déserte de bord de mer en coupant les virages comme un pilote, comme dans la pub. Dans ses CARtoons, un strip en deux cases du dessinateur Andy Singer résume notre société automobile. Dans la première, l’automobiliste, en plein embouteillage, se rassure : « Je déteste conduire, mais il me faut bien une voiture pour aller bosser». Dans la seconde : « Je déteste mon boulot, mais je dois payer ma voiture ». C’est ainsi que se boucle notre imagination.
A 6 km/h, mieux vaut rouler à vélo et profiter des deux fabuleuses inventions de l’Humanité : la roue et le roulement à billes. Le rapport kilomètre parcouru à vélo / calories dépensées laisse loin derrière la bagnole. À vélo, «l’homme dépasse le rendement de toutes les machines et celui de tous les animaux », calcule Illich. Vu ainsi, le progrès réside dans la bicyclette.
Le progrès, mais aussi l’égalité sociale : « En une vie de luxueux voyages, une élite franchit des distances illimitées, tandis que la majorité perd son temps en trajets imposés […]. La minorité s’installe sur ses tapis volants pour atteindre des lieux éloignés que sa fugitive présence rend séduisants et désirables, tandis que la majorité est forcée de travailler plus loin, de s’y rendre plus vite et de passer plus de temps à préparer ce trajet ou à s’en reposer. »
Ruffin revient de loin, mais jusqu’où ira-t-il ?
François Ruffin, l’espiègle journaliste justicier de Merci Patron ! patron du journal Fakir, a remporté le César du meilleur documentaire en 2017 en détroussant Bernard Arnault. Lors de son discours à la remise des prix, il a énuméré sur un ton vindicatif les noms des entreprises fermées et/ou délocalisées depuis trente ans dans la Somme, Goodyear et Continental pour l’automobile, et d’autres dans la chimie ou la métallurgie. Il faut bien dire que vu leur inutilité sociale et leurs nuisances écologiques, pas une ne méritait d’exister. Mais pour Ruffin, nos emplois valent plus que nos vies. Pas un instant, lui et ses pareils n’acceptent d’envisager que nous puissions vivre et produire hors de ce mode industriel et technologique.
[…]
Hors-sol & Pièces et main d’œuvre
Juin 2017

via fermons_les_usines.pdf

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