En dépit des dires de la presse, le « franc-tireur » McCain a un long et remarquable dossier rempli d’horreurs, par Mehdi Hasan

Source : The Intercept, Mehdi Hasan, 27-07-2017

Quelle sorte de personne interrompt un traitement contre le cancer financé par les contribuables et fait un vol de plus de 3000 kilomètres pour un vote qui pourrait entraîner la perte de l’assurance santé pour 22 millions de personnes, et la perte de la vie pour des dizaines de milliers d’entre elles, puis fait un grand discours sur le fait que le processus est complètement tordu ?

Peut-être le même type de personne qui a agi sans relâche en faveur d’une invasion et d’une occupation de l’Irak qui ont causé la mort de centaines de milliers d’Irakiens et ont amené des millions d’autres à quitter leurs foyers ?

Ou peut-être le même type de personne qui a fait passer ses intérêts particuliers et ceux de son parti avant l’intérêt national quand il a choisi comme colistière en 2008 l’ignare démagogue d’extrême droite Sarah Palin, l’antéTrump ?

Faites la connaissance de John Sidney McCain III : éternel sénateur républicain de l’Arizona et ancien candidat à la présidence du Parti républicain, ayant subi des tortures et des abus horribles entre les mains du VietCong entre 1967 et 1973, tragiquement diagnostiqué d’un cancer du cerveau la semaine dernière – et qui a été également une personne détestable pendant la plus grande partie des huit décennies qu’il a passées sur cette planète.

McCain, dont le surnom au lycée était McMauvais (NdT: littéralement « McNasty »), a depuis longtemps, c’est bien connu, l’habitude de piquer des crises de colère et de se livrer à des intimidations violentes. Les victimes de ses tirades grossières vont de ses adversaires démocrates et de leurs enfants – « Savez-vous pourquoi Chelsea Clinton est si moche ? Parce que Janet Reno [ministre de la Justice de Bill Clinton au physique jugé ingrat] est son père », a-t-il plaisanté lors d’une collecte de fonds du Parti républicain en 1998 – à des manifestants pacifistes (« de la racaille de bas niveau ») et à des collègues sénateurs républicains : Charles Grassley (« putain d’abruti ») et Peter Domenici (« connard ») .

Il a déjà comparé le Président de l’Iran à un singe et il persiste à appeler « faces de citron » ses anciens geôliers vietnamiens (le fait qu’ils l’aient sauvagement torturé n’excuse pas l’utilisation répétée de cette épithète raciale grossière). Ensuite, il y a sa pauvre femme. Comme le journaliste Cliff Schecter le raconte dans son livre de 2008 « Le vrai McCain » :

Son épouse Cindy, l’assistant de campagne Doug Cole et le consultant Wes Gullett avaient pris part à sa caravane de campagne pour les élections sénatoriales de 1992. À un moment donné, Cindy a joué malicieusement avec les cheveux de McCain et a dit : « Tu deviens un peu léger par ici ». Le visage de McCain est devenu écarlate et il a répondu : « Au moins, je ne me colle pas du maquillage comme une traînée, espèce de pétasse. »

Mais rien de tout cela ne semble avoir d’importance pour sa légion de fans et d’admirateurs de la presse. « Il est tout simplement impossible de surestimer l’amour, confinant à l’adoration, que les journalistes à Washington ont depuis longtemps pour McCain », a écrit Paul Waldman dans le Washington Post de mardi, « et dans une grande mesure, ils en sont toujours au même point. »

C’est grâce à la sympathie de ces journalistes — « ma base », comme McCain les surnomme — que le sénateur de l’Arizona a pu cultiver son image d’indépendant, de rebelle, de franc-tireur. Pourtant, la vérité est que McCain a toujours été un conservateur encarté.

L’ancien candidat à la présidence du Parti républicain, qui se déclare fièrement pro-vie et « Républicain à la Reagan », a passé ses dix premières années au Congrès à voter pour des réductions d’impôt et à tenter de bloquer la création de la Journée Martin Luther King Jr. Il y a gagné une cote de 81,6% de l’Union conservatrice américaine et, selon une étude de FiveThirtyEight, il a voté en faveur du président Donald Trump — un dirigeant avec lequel il prétend être en désaccord — 90,7 pour cent du temps. (« Jamais Trump ? » Eh bien, je suppose que c’est les 9,3% qui restent.)

McCain, pour citer Harry Enten de FiveThirtyEight, est un « FTSN… ou un Franc-Tireur Seulement de Nom ». Il est peut-être, avant tout, un hypocrite éhonté. Voici un faucon républicain qui suggère d’un ton moralisateur que le soutien aux droits de l’homme « doit être une partie essentielle de notre politique étrangère » tout en donnant son appui, guerre après guerre, à la violation de ces mêmes droits. Voici un héros des néoconservateur qui émet des vœux pieux sur l’importance de la promotion de la démocratie et des élections libres, tout en copinant avec certains des pires dictateurs du monde.

Comme toujours, ses relais dans les médias assurent sa couverture. Dans un panégyrique obséquieux, voire bizarre, de l’ancien candidat à la présidence du Parti républicain samedi dernier — intitulé « Ce que nous pouvons tous apprendre de John McCain » — le comité de rédaction du Washington Post a déclaré que « dans le monde entier, M. McCain est associé à la liberté et à la démocratie ». Et il a prétendu que le sénateur avait « défendu les droits de l’homme avec verve et sans relâche — s’exprimant contre la répression et l’autoritarisme, en invitant à la fois les Républicains et les Démocrates à témoigner avec lui lors de voyages à l’étranger ».

C’est purement fantasmagorique. De quoi McCain a-t-il témoigné en 2009, lorsqu’il a proposé de vendre des armes au colonel Kadhafi lors d’un entretien privé avec le dictateur libyen et son fils Muatassim ? Selon un câble du département d’État publié par WikiLeaks, « McCain a assuré Muatassim que les États-Unis voulaient fournir à la Libye l’équipement dont elle avait besoin pour sa sécurité ». McCain appuierait plus tard le changement de régime en Libye, mais le câble de 2009 ne fait aucune mention qu’il ait soulevé la question des droits de l’homme avec Kadhafi en personne — avec ou sans « verve ».

De quoi McCain a-t-il témoigné durant tous ces voyages amicaux au royaume d’Arabie saoudite, où il a salué avec effusion la famille royale ? Et en quoi a-t-il été le champion des droits de l’homme quand, le mois dernier, il a aidé à bloquer une tentative bipartite au Sénat de restreindre la vente d’armes à l’Arabie saoudite, restriction qui visait à réduire le nombre de victimes civiles dans le Yémen déchiré par la guerre ? Oh, et était-ce l’association de McCain avec « la liberté et la démocratie » qui a incité les Saoudiens à faire don d’un million de dollars à l’Institut McCain de l’Université d’État de l’Arizona ?

L’éditorial du Post a également fait l’éloge de McCain pour avoir soutenu les « victimes de la répression » et leur avoir offert « secours et encouragement dans la lutte contre la tyrannie ». Cela a dû être une surprise pour les Palestiniens, victimes de l’occupation militaire la plus longue au monde. L’ancien candidat du Parti républicain à la présidentielle est un grand défenseur d’Israël, proche de Benjamin Netanyahou. En 2014, il a défendu l’attaque israélienne meurtrière sur Gaza et, en 2015, il a déclaré que le gouvernement américain « ne devait pas envisager » de soutenir une candidature palestinienne à l’indépendance, avertissant que, dans l’éventualité où les Nations Unies reconnaîtraient l’État de Palestine, le Congrès des États-Unis devrait examiner notre financement pour les Nations Unies. « Des Palestiniens réprimés ? Qu’ils aillent se faire voir. »

Comme l’a observé Adam Johnson, l’analyste média de FAIR.org, on nous a servi « un récit puéril sur McCain, courageux défenseur de la vérité, plutôt que partisan prévisible de la guerre et de l’empire qui, occasionnellement, fait des références inoffensives aux droits de l’homme pour protéger son image. »

La « protection de l’image » est à l’ordre du jour ces temps-ci, tout comme les tentatives répétées d’étouffer toute critique du terrible dossier politique du sénateur de l’Arizona. Pourtant, ceux d’entre nous qui ont entendu McCain appeler les troupes américaines à occuper l’Irak pour « 100 ans » ; qui l’avons regardé rire et chanter « bombardez, bombardez, bombardez, bombardez » l’Iran ; qui l’avons écouté appeler à une escalade de la guerre ingagnable en Afghanistan, ne peuvent pas – et ne doivent pas – rester silencieux parce qu’on lui a diagnostiqué un cancer la semaine dernière, ou en raison de sa bravoure indéniable au Vietnam il y a cinquante ans.

Nous pouvons souhaiter à McCain un prompt rétablissement, tout en reconnaissant qu’il est néanmoins, pour citer Jimmy Carter, un « belliciste » impénitent. Il a sur les mains le sang de dizaines de milliers d’innocents, dans des pays comme l’Irak, l’Afghanistan, le Yémen et la Libye. Et avec son vote au Sénat cette semaine en faveur du projet républicain sur les soins de santé, il pourrait bientôt avoir aussi sur ses mains le sang de dizaines de milliers d’Américains.

Photo du haut : le sénateur John McCain arrive au Capitole pour un briefing avec le leader de la majorité du Sénat, Mitch McConnell, sénateur républicain du Kentucky, qui annonce le projet de loi sur les soins de santé des Républicains le 22 juin 2017 à Washington.

Source : The Intercept, Mehdi Hasan, 27-07-2017

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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