En Syrie, Lafarge a versé des centaines de milliers d’euros aux terroristes

Le groupe a accepté de verser une rançon entre 2011 et 2014 à l’EI pour maintenir l’activité et la sécurité de son usine, selon les informations du Monde.

Les dernières révélations sur les agissements de Lafarge en Syrie accablent encore un peu plus le géant des matériaux de construction. Dans le cadre d’une enquête ouverte après une plainte de Bercy en octobre 2016, le groupe a admis en mars dernier avoir «indirectement» financé des groupes armés en Syrie. Les auditions dévoilent les mécanismes qui ont conduit le cimentier – fusionné en 2015 avec le suisse Holcim -à vouloir coûte que coûte maintenir l’activité de son usine en 2013 et 2014, en plein conflit syrien. Face aux enquêteurs, l’ancien directeur général adjoint opérationnel de Lafarge a notamment reconnu que le groupe s’est plié à une «économie de racket», selon les documents consultés par Le Monde.

La cimenterie en cause est située à Jalabiya, à 150 kilomètres au nord-est d’Alep. Elle avait été achetée en 2007 par le français Lafarge qui a ensuite mené trois ans de travaux pour un montant de 680 millions de dollars. Puis Lafarge a tout fait pour la maintenir en activité jusqu’en septembre 2014.

Pourtant, le 29 juin 2014, l’organisation terroriste Etat islamique (EI) proclame l’instauration du «califat» et prend ainsi le contrôle sur un vaste territoire où se situe notamment l’usine de Lafarge. Mais le cimentier s’entête à vouloir rester en Syrie, quels qu’en soient les coûts. Ce même 29 juin, un cadre de cette usine de Lafarge a, selon Le Monde, «informé par mail ses supérieurs qu’il a pris rendez-vous avec un “responsable de l’Etat islamique” pour négocier la sécurité des employés du site»…

L’aval des autorités françaises

Lafarge avait ainsi employé un intermédiaire pour obtenir de l’EI des laissez-passer pour ses employés aux checkpoints. Cet homme d’affaires – fils de l’ex-ministre de la Défense du président Bachar Al-Assad, ayant fait défection au régime – se voit remettre «entre 80.000 et 100.000 dollars par mois» pour monnayer des laisser-passer avec ces groupes, selon Le Monde. Au total, le cimentier a versé plusieurs centaines de milliers d’euros à divers groupes armés, dont 5 millions de livres syriennes (20.000 euros) par mois à l’EI, indique le quotidien. Bruno Pescheux, PDG de la filiale syrienne de l’entreprise jusqu’en juin 2014, affirme en effet aux enquêteurs avoir vu le nom de Daesh sur des documents internes à l’entreprise et à la question «Avez-vous une idée du montant prévu pour Daesh?», il répond: «De l’ordre de 20.000 dollars par mois.»

Toujours selon Le Monde, le groupe était en relation régulière entre 2011 et 2014 avec les autorités françaises qui avaient donné leur aval pour son maintien en Syrie. Selon Christian Herrault, ancien directeur général adjoint opérationnel du groupe, le Quai d’Orsay aurait même recommandé à Lafarge de «tenir, que ça va se régler. Et il faut voir qu’on ne peut pas faire des allers-retours, on est ancrés et, si on quitte, d’autres viendront à notre place…». Toutefois, les responsables de l’usine n’avaient pas informé les diplomates des rançons payées à l’Etat Islamique, souligne Le Monde.

Pour l’heure, seuls trois responsables ont avoué avoir eu connaissance de ces pratiques «il est tout à fait vraisemblable que d’autres protagonistes aient couvert ces agissements», dont l’ex-PDG du groupe, Bruno Lafont, le «directeur sûreté», Jean-Claude Veillard, et «certains actionnaires», selon les extraits de l’enquête.

La compromission de Lafarge dans le conflit syrien ne l’aura pas épargnée puisque l’organisation djihadiste avait fini par prendre le contrôle du site en septembre 2014.

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