Un peu d'air frais

La condition des femmes au Maroc aujourd’hui

Inégalité dans l’héritage, discrimination sociale et pression familiale sont le lot des femmes marocaines. Le coup de gueule d’une chroniqueuse pour dénoncer cet état de fait largement conforté par le pouvoir politique.

Le 21 septembre 2017, à Genève, le Maroc a rejeté 53 des 244 recommandations du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, dont 4 à souligner au feutre rouge : l’abolition de la peine de mort, la décriminalisation de l’homosexualité, l’égalité entre hommes et femmes dans l’héritage et l’abolition de la criminalisation des mères célibataires ainsi que la reconnaissance complète de leurs enfants sans autre différenciation juridique.

À mon tour, je rejette cette politique et cette position d’un Maroc qui n’est pas le mien. Ce pays est celui de la tolérance et de l’intolérance, des doux progrès et des extrémismes violents. Chaque nation a ses contradictions et chacun choisit son camp. Je choisis celui de l’autre Maroc, celui de la vie, de l’amour, de la femme, de la mère et de l’enfant. Les hommes n’ont que faire de mes applaudissements, ils ont pour eux le pouvoir, c’est bien assez.

Ma dignité bafouée

Cette politique qui nous saigne à blanc, je la rejette par conviction, avec vigueur et constance. Je la rejette comme elle me rejette quand son non est aussi catégorique et agressif. Je lui réponds avec un non tout aussi tranché. Je le crie, je le murmure, je le passe comme un témoin et je l’écris. Oui, j’écris pour ma dignité bafouée. J’écris parce que sinon je coulerai avalée par l’océan, la mer et le désert qui nous encerclent, effaçant nos histoires et nos peines. J’écris parce qu’autrement je disparaîtrai happée par un trou noir, celui de la médiocrité offensive qui nous oppresse.

Chacune de ces causes mérite des essais, des romans, des films, des lecteurs et des publics, des vies engagées à les défendre. Pour ma part, je suis complètement bouleversée par celles qui touchent aux femmes, pour des raisons personnelles évidentes. Elles me donnent à penser que le problème n’est pas d’être une femme libre, émancipée, mère et célibataire, femme qui travaille ou femme photographe, femme qui aime, femme seule, femme engagée ou lunatique. En réalité, le problème au Maroc se résume en deux mots : être femme.

La taxe de la honte

La répartition inégale de l’héritage est symptomatique de la place qui lui est octroyée. Une fille hérite de la moitié de ce que reçoit son frère, une fille unique de la moitié de la fortune de ses parents quand le fils unique prend tout. L’épouse vaut un huitième quand l’époux vaut un quart. Pour une culture qui sacralise tant la famille et le modèle marital, il est étrange de voir le traitement réservé à l’épouse, qui une fois veuve ne relève plus que de l’anecdote. Elle devient patrimoine. Au fils de prendre soin d’elle, comme il le ferait de la maison de plage. La fille dont les parents ont exigé autant d’esprit et encore plus d’honneur que de son frère n’est plus qu’une moitié d’homme. À son mari de la prendre en charge. Paierait-elle la moitié de la TVA ou de la taxe sur les revenus ? Monde cynique.

Plusieurs moyens légaux de contourner cette loi existent. Il est possible de mettre un bien au nom de ses enfants ou de faire des donations tout en jouissant de l’usufruit jusqu’à la mort du dernier parent. Cela demande un simple passage chez le notaire et le règlement d’une taxe. J’appelle cette taxe la taxe de la honte. Ajouter à l’angoisse de la mort celle de devoir réparer une loi discriminatoire est une honte. Faire payer à des parents une taxe pour avoir donné naissance à une fille est une obscénité.

C’est aussi là un sujet intéressant à étudier, si l’on met de côté les histoires réelles et dramatiques qui en découlent. Car oui, nous avons tous en tête ces récits de pères trop jeunes pour mourir, n’ayant fait aucune de ces démarches, et de charognards réclamant leur dû à la veuve et aux orphelines. Ces appartements réquisitionnés et ces biens jamais partagés car il fut impossible de réunir toute la famille et de trouver un compromis. Nous les avons vus et entendus et nous avons fermé les yeux, bouché nos oreilles et cousu notre bouche.

L’éducation des femmes

L’explication devant l’ONU était toute trouvée : ce serait religieux. Je la réfute. Si la raison échappe à une décision et que seule la religion l’appuie, je suppose alors que ce n’est là que prétexte pour justifier l’injustifiable. D’autres expliquent que cette même loi apporta en son temps une correction à une inégalité qui était totale. Je dis à tous ceux-là : soyez-en à la hauteur et terminez ce qui a été commencé, c’est-à-dire la reconnaissance de l’égalité complète des hommes et des femmes.

Nous sommes avec nos mères, les premières d’une lignée de femmes éduquées et c’est comme cela qu’une révolution lente et silencieuse a lieu, au Maroc et ailleurs au Maghreb et au Moyen-Orient. Les talibans ne s’y trompent pas en attaquant les écoles, frappant Malala [Malala Yousafzai, militante pakistanaise des droits des femmes, prix Nobel de la paix 2014] d’une balle dans la tête, car l’éducation des femmes est ce point de rupture qui consent au basculement de l’histoire. L’arbre de la connaissance est dorénavant secoué tous les jours et les pommes qui en tombent sont mangées goulûment. Nous sommes assoiffées de lecture et d’écriture. Nous avons faim de mathématiques, de physique, de biologie, de médecine, de psychologie et de droit. Notre raison s’aiguise et nos désirs s’affichent. Un nouveau monde émerge et prend racine sur celui des hommes qui sans être rejeté sera transformé.

De fait, si cette loi et toutes les autres ne sont pas abrogées aujourd’hui, sachez qu’elles le seront demain car nous veillerons à ce que nos filles et nos petites-filles aient notre parole gravée dans le marbre et tissée sur la toile, comme ces hiéroglyphes que ni le temps ni les défilés civilisationnels ne surent effacer.

Créer une réalité nouvelle

En 2017, 52 % des admis marocains au baccalauréat étaient des filles. Elles ont aussi dominé le classement des meilleurs résultats, malgré tous les indicateurs qui démontrent un accès à l’éducation plus difficile pour les filles que pour les garçons. Nos adolescentes font preuve d’abnégation et de détermination et gratifient leurs parents d’une grande fierté par leur réussite et leur intelligence. Ne méritent-elles pas mieux qu’un non catégorique à leurs droits devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU ? Ne méritent-elles que cette humiliation publique sur la scène internationale ?

À ma grand-mère paternelle qui avait tant regretté de n’être pas allée à l’école, à ma grand-mère maternelle qui reprocha toute sa vie à ses parents de l’avoir envoyée en ville loin des siens lorsqu’elle avait 5 ans, à cette même grand-mère qui retira son niqab, fière et libre, à l’âge de 35 ans, à ma mère et à mes tantes qui prirent le train de la modernité pour créer une réalité nouvelle dont nous jouissons aujourd’hui, aux hommes de ma famille qui veillèrent à corriger toutes ces inégalités indues, je dédie ce texte.

Enfin, à ma fille, à ma petite-fille, à mon fils et à mon petit-fils qui n’êtes pas encore de ce monde, je vous fais les héritiers de ce combat car, comme dit Chateaubriand, la vie est un “funeste présent”. J’y ajoute que s’en montrer digne en est le fatal revers.

Hajar El-Hanafi

via Le problème au Maroc se résume en deux mots : être femme | Courrier international

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