L’affaire Skripal vue par Nafeez Ahmed

Le gouvernement britannique est en train de fabriquer son affaire d’agent neurotoxique en vue d’une « action » contre la Russie. Par Nafeez Ahmed

Source : Insurge Intelligence, Nafeez Ahmed, 13/03/2018

Lundi, la Première ministre Theresa May a annoncé que l’ancien espion russe Sergey Skripal et sa fille Yulia ont été empoisonnés avec « un agent neurotoxique de qualité militaire d’un type développé par la Russie » connu sous le nom de « Novichok ».

L’agent chimique a été identifié par le Laboratoire des sciences et technologies de la défense à Porton Down. May a fait référence au fait que le gouvernement britannique « sait que la Russie a déjà produit cet agent et serait encore capable de le faire » comme une bonne raison de conclure que la culpabilité de la Russie dans l’attaque « est hautement probable ».

Pour ces raisons, elle a affirmé que seuls deux scénarios sont possibles :

« Soit c’était un agissement direct de l’État russe contre notre pays. Ou bien le gouvernement russe a perdu le contrôle de cet agent neurotoxique potentiellement catastrophique et l’a laissé atterrir entre les mains d’autres personnes ».

La ligne du gouvernement britannique a été reprise sans aucune critique par l’ensemble de la presse mondiale, avec peu d’attention à sa plausibilité.

Mais il y a un problème : loin d’offrir des preuves précises pour une piste menant aux laboratoires d’armes chimiques de Vladimir Poutine, l’utilisation du Novichok dans l’attaque au gaz neurotoxique sur le sol britannique indique un ensemble plus large de suspects potentiels, dont la Russie est en fait le moins probable.

La Russie a effectivement détruit ses capacités d’agents neurotoxiques selon l’OIAC [Organisation pour l’interdiction des armes chimiques, en anglais Organisation for the Prohibition of Chemical Weapons (OPCW), NdT]

Pourtant, un effort concerté est entrepris pour renverser les faits.

Un signe évident en est la déclaration de l’Ambassadeur Peter Wilson, Représentant permanent du Royaume-Uni auprès de l’OIAC, dans laquelle il affirme que la Russie a « omis pendant de nombreuses années » de divulguer pleinement son programme d’armes chimiques.

Wilson répétait comme un perroquet une allégation faite un an plus tôt par le Département d’État américain selon laquelle la Russie n’avait pas fait une déclaration complète de son stock d’armes chimiques : « Les États-Unis ne peuvent pas certifier que la Russie a rempli ses obligations conformément à la Convention. »

Pourtant, ces allégations sont contredites par l’OIAC elle-même, qui a déclaré en septembre 2017 que l’agence mondiale indépendante avait rigoureusement vérifié la destruction complète du programme d’armes chimiques de la Russie, y compris, bien sûr, ses capacités de production d’agents neurotoxiques.

Le directeur général de l’OIAC, Ahmet Üzümcü, a félicité la Russie en faisant l’annonce suivante :

« L’achèvement de la destruction vérifiée du programme d’armes chimiques de la Russie est une étape importante dans la réalisation des objectifs de la Convention sur les armes chimiques. Je félicite la Russie et je félicite tous les experts qui y ont participé pour leur professionnalisme et leur dévouement. J’exprime également ma gratitude aux États parties qui ont aidé la Fédération de Russie dans son programme de destruction et remercie le personnel de l’OIAC qui a vérifié la destruction. »

Le communiqué de presse de l’OIAC a confirmé que :

« Le reste de l’arsenal d’armes chimiques de la Russie a été détruit au centre de destruction des armes chimiques de Kizner dans la République d’Oudmourtie. Kizner était le dernier centre actif sur sept installations de destruction d’armes chimiques en Russie. Les six autres centres (Kambarka, Gorny, Maradykovsky, Leonidovka, Pochep et Shchuchye) ont terminé leurs travaux et ont été fermées entre 2005 et 2015. »

Les rapports de l’OIAC sur la Russie confirment que l’agence n’a trouvé aucune preuve de l’existence d’un programme Novichok actif.

Il convient de noter que le Docteur Robin M. Black, anciennement du Laboratoire des sciences et technologies de la défense de Porton Down – qui aurait confirmé l’utilisation de Novichok dans l’assassinat de Salisbury – siège au Conseil consultatif scientifique de l’OIAC. Pourtant, un examen scientifique par le Dr Black a également soulevé des doutes au sujet du Novichok, notant que ses propriétés et ses structures n’avaient pas été confirmées de façon indépendante.

Voici ce que le Dr Black de Porton Down a écrit à propos des agents Novichok dans une étude scientifique publiée en 2016 par la Royal Society of Chemistry :

Ces dernières années, on a beaucoup spéculé sur le fait qu’une quatrième génération d’agents neurotoxiques, les “Novichok” (nouveaux venus), a été mise au point en Russie à partir des années 1970 dans le cadre du programme “Foliant “, dans le but de trouver des agents qui compromettraient les contre-mesures défensives. Les informations sur ces composés ont été rares dans le domaine public, la plupart provenant d’un chimiste militaire russe dissident, Vil Mirzayanov. Aucune confirmation indépendante des structures ou des propriétés de ces composés n’a été publiée.

Sur la base de ce type d’analyse, le conseil scientifique de l’OIAC, qui comprenait le Dr Black de Porton Down en tant que représentant du Royaume-Uni, a conclu que :

« … on ne dispose pas d’informations suffisantes pour se prononcer sur l’existence ou les propriétés des ‘Novichok.’ »

Donc, en bref, l’OIAC n’est pas d’accord avec la vague affirmation des États-Unis et du Royaume-Uni selon laquelle la Russie n’a pas déclaré tous ses stocks et installations d’armes chimiques, et n’est pas d’accord avec l’affirmation selon laquelle des stocks ou des centres de production Novichok existent en Russie. Mais il semble que Son Excellence Peter Wilson non plus.

Dans une déclaration à l’OIAC en novembre 2017, l’ambassadeur Wilson a félicité l’OIAC pour avoir vérifié la destruction complète du programme d’armes chimiques de la Russie et a félicité son directeur, Ahmet Üzümcü. Wilson a énuméré les nombreuses réalisations de ce dernier, y compris :

« … l’achèvement de la destruction vérifiée du programme d’armes chimiques déclaré de la Russie. »

Oui, Wilson a précisé qu’il ne parlait que du programme « déclaré » de la Russie, mais il n’a pas dénoncé l’OIAC pour ne pas avoir traité un programme Novichok non déclaré. Donc, dans quelle mesure sa récente insinuation selon laquelle la position de l’OIAC est erronée est-elle crédible ?

Sans doute, pas très. Parce que l’affirmation, qui a pour origine le département d’État, selon laquelle la Russie n’a pas déclaré toutes ses armes chimiques, repose sur l’affirmation que sa capacité Novichok existe toujours. Mais le Dr Black de Porton Down et le Conseil consultatif scientifique de l’OIAC ont remis fondamentalement en question « l’existence » du Novichok.

Le manque de crédibilité de la remise en question anglo-américaine de la destruction par la Russie de ses armes chimiques a été invoqué dans un rapport détaillé du respecté Clingandael Institute of International Relations. Le rapport, cofinancé par l’Union européenne, critiquait les États-Unis pour avoir adopté une approche politisée inutile sur la question des armes chimiques en relation avec la Russie, tout en retardant hypocritement ses propres obligations de conformité, le tout d’une manière qui contournait les mécanismes de l’OIAC. Cela vaut la peine de reproduire l’intégralité du texte :

« … sur le plan politique, il y a eu quelques inconvénients. Il est particulièrement intéressant de noter que les États-Unis ont tendance à exprimer leurs inquiétudes quant au respect des obligations, alors que cet État est lui-même critiqué pour ses retards dans le désarmement. En 2005, les États-Unis se sont déclarés préoccupés par les programmes actifs de recherche et de développement (R&D) sur les armes chimiques offensives, ainsi que par les déclarations inexactes concernant les transferts passés d’armes chimiques et les installations d’armes chimiques non déclarées en Russie, en Chine, en Iran, en Libye et au Soudan. Les États-Unis ont décidé de répondre à ces préoccupations par des voies bilatérales, plutôt que d’engager directement les mécanismes formels de l’OIAC. Entre-temps, les États-Unis eux-mêmes ont été critiqués pour avoir exporté des armes classées comme “agents toxicologiques” (notamment des gaz lacrymogènes) vers de nombreux pays du Moyen-Orient (entre 2009 et 2013). Depuis le 11 septembre 2001, les États-Unis ont également intensifié leur R&D sur les agents chimiques non létaux, ainsi que de nouveaux moyens de distribution et de dispersion. La CAC [Convention sur les armes chimiques, NdT] (article II, paragraphe 2) couvre les composés chimiques ayant des effets incapacitants ou irritants…. Avec le retard pris dans la destruction des stocks américains d’armes chimiques, cela a porté atteinte à la position des États-Unis au sein de la CAC, sapant son rôle de “leader”. Comme ces problèmes de conformité ne sont toujours pas résolus, cela a également, ipso facto, affecté l’autorité de la CAC, et donc de l’OIAC ». [emphase ajoutée]

En d’autres termes, les États-Unis n’ont pas fait part de leurs préoccupations concernant les Novichoks non déclarés de la Russie par le biais des mécanismes appropriés via l’OIAC, mais seulement bilatéralement. Pourquoi ?

Une explication possible est qu’en ne travaillant pas sur la question avec l’OIAC, les États-Unis ont effectivement contourné le processus de vérification international par lequel la question des Novichok, si elle était réelle, pourrait faire l’objet d’une enquête et d’une évaluation appropriées. Cela a opportunément permis aux États-Unis et à la Grande-Bretagne de prétendre, sans aucune preuve, que la Russie ne respecte pas la Convention sur les armes chimiques en insistant sur le fait que ses approvisionnements et capacités Novichok ne sont pas déclarés. Pourtant, c’est précisément le refus des États-Unis de divulguer la question et de la faire traiter par l’OIAC, qui signifie que l’affaire peut être considérée comme non résolue à jamais.

Le coeur du problème est le suivant : à ce stade, ni les États-Unis ni la Grande-Bretagne n’ont fourni de preuves concrètes sur les raisons pour lesquelles le processus de vérification de l’OIAC concernant le démantèlement par la Russie de sa capacité de production d’armes chimiques ne devrait pas être cru. Ils n’ont fourni aucune preuve que la Russie conserve des stocks Novichok.

L’OIAC est, bien entendu, la même agence sur laquelle l’Occident s’appuie pour déterminer la culpabilité des attaques majeures aux armes chimiques en Syrie. Pourquoi, alors, les conclusions de l’OIAC sur la Syrie seraient-elles considérées comme parole d’évangile, alors que ses conclusions sur la Russie sont rejetées ?

Non seulement la presse a complètement ignoré ces bizarreries dans la position du gouvernement britannique, mais elle a curieusement ignoré que les affirmations de Theresa May contredisent les déclarations publiques de Mirzayanov.

L’Agence France Presse, par exemple, a déclaré dans un paragraphe introductif à une interview de Mirzayanov, « Le chimiste russe qui a révélé l’existence des agents neurotoxiques ‘Novichok’ dit que seuls les Russes peuvent être derrière l’utilisation de l’arme en Grande-Bretagne contre un ancien espion et sa fille ». Et pourtant, l’article de l’AFP a continué à rapporter :

« La seule autre possibilité », dit-il, « serait que quelqu’un ait utilisé les formules de son livre pour fabriquer une telle arme. »

Le livre de Mirzayanov, publié en 2008, contient les formules qu’il prétend utilisables pour créer des Novichok. En 1995, il a expliqué que « les composants chimiques ou précurseurs du Novichok sont des organo-phosphates ordinaires qui peuvent être fabriqués dans les entreprises chimiques commerciales qui fabriquent des produits tels que les engrais et les pesticides ».

Si ses affirmations sont un tant soit peu exactes, cela signifie que les Novichok peuvent être fabriqués par quiconque lit le livre de Mirzayanov avec accès à un laboratoire digne de ce nom. Ce qui signifie que l’affirmation de Theresa May selon laquelle les Novichok ne mènent qu’en Russie n’est guère plus qu’une tromperie.

D’autres États ont des capacités Novichok, mais le gouvernement britannique ne veut pas enquêter à leur sujet.

Le verdict faisant autorité de l’OIAC sur les capacités de la Russie en matière d’armes chimiques aujourd’hui détruites devrait suffire à donner à quiconque le temps de réfléchir avant de se précipiter vers le jugement concernant la responsabilité de la Russie dans l’attaque au Novichok.

Au lieu de cela, le gouvernement britannique semble n’avoir aucun intérêt à enquêter sur le fait qu’il existe d’autres organismes d’État ayant d’importantes capacités en matière d’agents neurotoxiques. Comme son allié, les États-Unis.

Sous Boris Eltsine, qui a remporté les élections russes grâce à l’ingérence secrète de l’Occident, le gouvernement russe avait déclaré qu’il ne stockait pas de Novichok. C’est pourquoi Eltsine n’a pas signalé l’existence du Novichok en vertu des conventions sur les armes chimiques de l’époque – parce que la position officielle de la Russie était que les stocks n’existaient plus.

Il s’avère que les Américains eux-mêmes ont été associés au démantèlement des capacités Novichok restantes de la Russie.

En août 1999, comme l’a rapporté la BBC, des experts américains de la défense sont arrivés en Ouzbékistan pour « démanteler et décontaminer l’une des plus grandes installations d’essais d’armes chimiques de l’ex-Union soviétique ». L’installation était considérée comme « un site de recherche majeur pour une nouvelle génération d’armes chimiques secrètes et hautement létales, connues sous le nom de Novichok », et a donné aux États-Unis l’occasion d’en apprendre davantage sur cet agent neurotoxique et de le reproduire à des fins d’essai et de défense.

Mais il n’y a pas que les États-Unis. Selon Craig Murray – ancien ambassadeur des États-Unis en Ouzbékistan et, avant cela, diplomate de longue date au Foreign Office du Royaume-Uni, qui a travaillé en Afrique, en Europe de l’Est et en Asie centrale – le gouvernement britannique lui-même dispose de capacités avancées en Novichok :

« Le groupe ‘novochok’ d’agents neurotoxiques – un terme très vague pour désigner simplement une série de nouveaux agents neurotoxiques que l’Union soviétique développait il y a cinquante ans – aura presque certainement été analysé et reproduit à Porton Down. C’est seulement pour cela que Porton Down existe. Il fabriquait des produits chimiques et biologiques comme armes, et aujourd’hui encore, il les fabrique en petites quantités afin de faire des recherches sur les défenses et les antidotes. Après la chute de l’Union soviétique, les chimistes russes ont mis à disposition un grand nombre d’informations sur ces agents neurotoxiques. Et un pays qui a toujours fabriqué des agents neurotoxiques persistants très similaires est Israël. »

Mais le gouvernement britannique ne veut pas enquêter sur Porton Down, pas même pour exclure la possibilité qu’il ait « perdu le contrôle » de certains de ses stocks de Novichok.

Porton Down : fier d’expérimenter les gaz neurotoxiques sur le public britannique des années 1950 à 1989.

Le gouvernement s’inquiète peut-être de ce qu’il pourrait découvrir s’il pose trop de questions sur Porton Down lui-même.

L’installation a une histoire quelque peu mouvementée en ce qui concerne l’utilisation abusive des programmes d’armes chimiques et biologiques qui a été largement oubliée. Cette histoire montre que le gouvernement britannique n’est pas du tout opposé à l’utilisation d’armes chimiques et biologiques sur sa propre population, juste pour voir ce qui se passe.

Il y a deux ans, The Independent a rendu compte d’une nouvelle recherche historique qui a révélé que pendant la Guerre froide, le gouvernement britannique « a utilisé le grand public à son insu comme cobayes de guerre biologique et chimique à une échelle beaucoup plus grande qu’on ne le pensait auparavant ».

Plus de 750 opérations secrètes avaient été menées sur « des centaines de milliers de Britanniques ordinaires », impliquant « des attaques de guerre biologique et chimique lancées à partir d’avions, de navires et de véhicules routiers ».

« Des avions militaires britanniques ont lâché des milliers de kilos d’un produit chimique au potentiel toxique largement inconnu sur les populations civiles britanniques dans et autour de Salisbury dans le Wiltshire, Cardington dans le Bedfordshire, et Norwich dans le Norfolk… Des quantités substantielles ont également été disséminées dans certaines parties de la Manche et de la mer du Nord. On ne sait pas dans quelle mesure les villes côtières d’Angleterre et de France ont été touchées…. les usagers du métro londonien ont également été utilisés comme cobayes à une échelle beaucoup plus grande qu’on ne le pensait auparavant. Les nouvelles recherches ont permis de découvrir qu’un essai de guerre biologique sur le terrain, jusqu’alors inconnu, a été effectué dans le réseau du métro de la capitale en mai 1964. L’opération secrète – menée par des scientifiques du centre de recherche sur la guerre chimique et biologique du gouvernement à Porton Down, Wiltshire – impliquait la libération de grandes quantités de bactéries appelées Bacillus globigii… »

La nouvelle étude montre également que bon nombre des scientifiques britanniques impliqués « avaient de sérieuses appréhensions au sujet des essais sur le terrain… certains ont longtemps estimé qu’il n’était pas politiquement souhaitable de mener des essais à grande échelle en Grande-Bretagne avec des agents bactériens vivants ». De telles réserves n’ont pas empêché le gouvernement d’autoriser ces expériences dangereuses.

Porton Down a également effectué de nombreux tests d’agents neurotoxiques sur des soldats britanniques durant cette période.

Moins connu, cependant, est le fait que des membres des forces armées britanniques « ont été soumis à des expériences avec le Sarin, le gaz neurotoxique mortel, aussi tard qu’en 1983 au centre de recherche de défense du gouvernement à Porton Dow », selon des documents du ministère de la Défense obtenus par The Telegraph. L’opération Antler, comme on appelait l’enquête policière sur les expériences, a révélé que les essais sur les agents neurotoxiques s’étaient déroulés aussi tard qu’en 1989.

Une unité de renseignement britannique secrète organise activement des opérations de propagande sous forme de « coups montés » pour incriminer les « adversaires ».

Il y a donc de bonnes raisons de ne pas se laisser entraîner servilement dans le sillage de l’empressement du gouvernement britannique à porter un jugement sur la Russie.

Mais c’est particulièrement le cas étant donné ce que nous savons maintenant de l’intention et des capacités de désinformation des services de renseignement britanniques lorsqu’ils traitent avec des « adversaires ».

Les documents de l’Agence de sécurité nationale divulgués par le lanceur d’alerte Edward Snowden ont révélé qu’une unité de renseignements britannique secrète, le Joint Threat Research and Intelligence Group (JTRIG), utilise une série de « sales tours » contre des « nations, pirates, groupes terroristes, criminels présumés et trafiquants d’armes qui incluent la libération de virus informatiques, l’espionnage de journalistes et de diplomates, le brouillage de téléphones et d’ordinateurs, et l’utilisation du sexe pour attirer des cibles dans des guet-apens », selon une enquête de NBC News.

Bien qu’une grande partie de ces opérations soit axée sur l’Internet, elles ont également pour objectif « d’avoir un impact dans le monde réel » et « d’utiliser des techniques en ligne pour déclencher quelque chose dans le monde réel ou en ligne ». Le modus operandi est de « détruire, dénier, dégrader [et] perturber » les ennemis en les « discréditant » et en introduisant des informations erronées destinées à donner l’impression que des actions ont été commises par eux.

Les campagnes de propagande peuvent utiliser la tromperie, la messagerie de masse et la « propagation d’histoires » via Twitter, Flickr, Facebook et YouTube. Une section du document explique que de telles opérations d’influence peuvent impliquer des efforts directs pour manipuler le comportement des gens afin de les amener à des situations compromettantes :

« ‘Piège à miel’ ; une bonne option. Très réussi quand ça marche.

– Demandez à quelqu’un d’aller quelque part sur Internet, ou dans un lieu physique où il sera accueilli par un ‘visage amical’.

– Le JTRIG a la capacité de “façonner” l’environnement à l’occasion. »

De telles capacités et opérations de tromperie au cœur de l’État britannique soulèvent des questions tout à fait raisonnables quant à savoir si les services de renseignement britanniques cherchent délibérément à accuser la Russie pour des raisons géopolitiques – ou peut-être même à détourner l’attention d’alliés qui pourraient être des suspects légitimes.

Selon l’ancien diplomate britannique Craig Murray, par exemple, il est plus raisonnable de jeter le voile de suspicion sur Israël pour bon nombre des mêmes raisons que celles invoquées par le gouvernement britannique.

« Israël possède les agents neurotoxiques. Israël a le Mossad qui est extrêmement doué pour les assassinats à l’étranger. Theresa May a invoqué la propension de la Russie à assassiner à l’étranger comme une raison spécifique de croire que la Russie l’a fait. Le Mossad a une propension encore plus grande à assassiner à l’étranger. Et alors que j’ai du mal à voir un motif russe pour nuire si gravement à sa propre réputation internationale, Israël a une motivation claire pour nuire aussi gravement à la réputation russe. L’action russe en Syrie a fondamentalement sapé la position israélienne en Syrie et au Liban, et Israël a toutes les raisons de porter atteinte à la position internationale de la Russie par une attaque visant à rejeter la faute sur la Russie. »

Murray souligne en outre qu’il est peu probable que les Russes « aient attendu huit ans pour le faire, ils auraient pu attendre après leur Coupe du Monde ». De même, il est peu logique d’assassiner soudainement un « espion échangé » qui avait déjà purgé sa peine et vivait en toute liberté depuis des années au Royaume-Uni.

Murray n’est pas un Russophile aveugle, et son analyse critique ne peut donc pas être rejetée pour des raisons de partisanerie. Il se décrit lui-même comme « quelqu’un qui croit que des agents de l’État russe ont assassiné Litvinenko, et que les services de sécurité russes ont effectué au moins certains des attentats à la bombe dans des appartements qui ont servi de prétexte à l’assaut brutal contre la Tchétchénie. Je crois que l’occupation russe de la Crimée et de certaines parties de la Géorgie est illégale ».

Mais il avertit que, vu le manque de preuves crédibles sur cette affaire, il « s’inquiète des efforts frénétiques des entreprises de la sécurité, de l’espionnage et de l’armement pour attiser la russophobie et réchauffer la nouvelle guerre froide ».

En effet, INSURGE vient de rendre compte d’une vaste étude de l’armée américaine publiée l’année dernière, qui non seulement affirmait sans équivoque que l’expansionnisme de l’OTAN est le principal moteur de la belligérance russe, mais que l’intérêt principal de l’OTAN a toujours été de faire reculer l’influence régionale de la Russie afin que l’Occident puisse dominer les ressources naturelles et les routes des oléoducs d’Asie centrale.

Le document préconisait qu’en 2018, les États-Unis envisagent de mener une campagne « d’information » secrète et concertée pour saper Poutine.

Est-ce que c’est ce que nous voyons à l’heure actuelle alors que Theresa May se précipite pour sanctionner Poutine ?

Cela nous ramène à ce qui suit. L’histoire réelle du Novichok montre que, parmi les pays dont il est question ici, la Russie est le seul État à avoir été certifié par l’OIAC comme ayant détruit son programme d’armes chimiques, y compris ses capacités en matière d’agents neurotoxiques. L’OIAC n’a trouvé aucune preuve indiquant que la Russie conserve une capacité Novichok active. Il n’en va pas de même pour les États-Unis, la Grande-Bretagne et Israël.

Il n’y a aucune raison légitime pour les autorités britanniques d’exclure que l’un ou l’autre de ces États puisse avoir au moins « perdu le contrôle » de ses stocks d’agents neurotoxiques. Le fait que le gouvernement ait plutôt choisi de fermer toutes les pistes d’enquête autres que l’affirmation fausse que la « seule possibilité » est que toutes les pistes mènent à la Russie, démontre que nous sommes presque certainement au milieu d’une opération de propagande étatique concertée.

Il se peut que la Russie ait effectivement mené l’attaque au Novichok. Mais à l’heure actuelle, l’État britannique n’a aucune base réelle pour présumer cela. Ce qui implique que l’État a déjà décidé qu’il veut fabriquer un plan pour intensifier les hostilités avec la Russie, quelles que soient les preuves. Et cela n’augure rien de bon.

Nafeez Ahmed est le rédacteur en chef fondateur d’INSURGE Intelligence. Nafeez est un journaliste d’investigation depuis 16 ans, anciennement du Guardian où il a fait des articles sur la géopolitique des crises sociales, économiques et environnementales. Nafeez écrit sur le’changement de système global’ pour Motherboard de VICE, et sur la géopolitique régionale pour Middle East Eye. Il publie des articles dans The Independent on Sunday, The Independent, The Scotsman, Sydney Morning Herald, The Age, Foreign Policy, The Atlantic, Quartz, New York Observer, The New Statesman, Prospect, Le Monde diplomatique, entre autres publications. Il a remporté à deux reprises le Project Censored Award pour ses reportages d’investigation ; deux fois dans la liste des 1 000 personnes les plus influentes du Evening Standard ; et a remporté le prix Naples, le prix littéraire italien le plus prestigieux créé par le Président de la République. Nafeez est également un universitaire interdisciplinaire, largement publié et cité, qui applique l’analyse de systèmes complexes à la violence écologique et politique.

Source : Insurge Intelligence, Nafeez Ahmed, 13/03/2018

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

via » L’affaire Skripal vue par Nafeez Ahmed

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