Le plan Macron pour l’emploi… ou pour les employeurs ?

C’est Le Parisien qui réalise le scoop du jour, qui a tout l’air d’une fuite organisée, afin de tester le marché. Vieille technique de la dominance qui lance une pierre au fond du puits afin de savoir quelle espèce de bruit va remonter.
Voici les 8 points clés du plan Macron de sa « réforme » du Travail. Certains sont prioritaires, d’autres non. Il s’agit en partie d’ordonnances, c’est-à-dire qu’elles ne souffriront pas de discussions à l’Assemblée. On imagine que les sujets les plus chauds feront l’objet d’une ordonnance, mais laissons sa chance au produit, comme dit Richard Anconina dans La Vérité si je mens

 

Ordonnance n°1 : négociation à la carte dans les entreprises

« Attribuer une place centrale […] à la négociation collective d’entreprise en élargissant ses champs de compétence ». Cette ordonnance est jugée prioritaire sur le contrat de travail, pas sur les autres points. (Le Parisien)

C’est la suite « logique » de la loi El Khomri (en vérité MEDEF-Badinter) sur la renégociation du contrat de travail par l’entreprise, et non plus la branche, ou le secteur économico-social dans son entièreté. Chaque entreprise pourra donc avoir sa propre loi, sans évidemment trop bousculer le code du Travail, ou ce qu’il en restera. Cette ordonnance porte sur le contrat de travail, la durée du travail, les salaires et les conditions d’entrée et de sortie de l’entreprise, soit l’embauche et le licenciement. Un point très, très, très chaud. Un accord d’entreprise particulier pourra donc faire bouger le curseur des 35h ou des heures sup de 10% ou plus… selon l’accord négocié.

 

Ordonnance n° 2 : le barème des prud’hommes

Ce que dit le texte : « Instaurer un référentiel pour le montant de l’indemnité octroyée par le conseil des prud’hommes en cas de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. » Cette ordonnance est jugée…« prioritaire ».

C’est une réclamation permanente des employeurs, qui estiment que la durée des contentieux et le montant des condamnations sont trop élevés, ce qui les empêcherait d’employer plus de gens en CDI. Les juges des prud’hommes seraient jugés trop proches des employés qui empochent en moyenne 24 000 euros pour un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Une proposition serpent de mer du MEDEF déjà retoquée par le Conseil constitutionnel et refourguée en douce dans la loi Khomri. Et qui avait déclenché une sacrée mobilisation.

 

L’ordonnance n°3 permet de contourner le blocage d’un accord d’entreprise par les syndicats majoritaires en organisant un référendum parmi les employés, qui ne sont évidemment pas tous encartés. Édouard Philippe et sa bande ont donc déjà anticipé le blocage syndical dans l’entreprise.

 

L’ordonnance n°4 permet de casser définitivement les accords de branche en réduisant le nombre de branches pour favoriser et imposer les accords d’entreprise. Les journalistes du Parisien ont lu : « C’est seulement à défaut d’accord d’entreprise que la branche interviendra. » On rappelle que les accords de branches établissent les normes sociales. Il n’en restera plus grand-chose, surtout si les grandes entreprises adoptent la formule à la carte…

Actuellement, il y a six thèmes de négociations obligatoires dans la branche sur lesquels les employeurs ne peuvent pas déroger dans un sens moins favorable aux salariés, par accord d’entreprise : égalité hommes-femmes, pénibilité, salaires, classifications, prévoyance et formation professionnelle. Selon l’avant-projet de loi, la branche n’aurait plus dans sa mallette que deux thèmes obligatoires (salaires minimums et l’égalité professionnelle). Les quatre autres sujets ne sont pas mentionnés et plusieurs pourraient être transférés vers la négociation d’entreprise.

Là aussi, un affaiblissement des syndicats (surtout de FO) est à craindre, ou à espérer, tout dépend de quel côté de la barrière sociale on se place…

 

L’ordonnance n°5 concerne les IRP ou institutions représentatives du personnel. Macron et ses boys proposent de fusionner le CE et les autres comités (hygiène et délégation du personnel) dans une unique instance. Mais rien ne serait obligatoire au sein de l’entreprise, qui pourra choisir son mode de fonctionnement à ce propos. Cette ordonnance affaiblirait la CFDT, selon Le Parisien. On voit que tout est calculé ! Les employés non encartés pourraient avoir leur mot à dire sur le plan social.
Ce qui apparaît comme un progrès de la démocratie d’entreprise peut signifier la réduction du pouvoir des syndicats. N’oublions pas que ces mesures sont destinées à développer l’emploi, pas à le protéger. On retrouve toujours ces deux écoles, celle inspirée par le grand patronat, l’autre inspirée par les syndicats de travailleurs. Le mot déréglementation n’apparaissant pas dans le texte analysé par Le Parisien. Les mots qui fâchent sont effacés, et remplacés par des euphémismes.

Le « chèque syndical » est un titre de paiement émis par l’employeur à destination du salarié. Il ne peut l’utiliser que pour financer un syndicat dans son entreprise, sans obligation d’y adhérer. (Le point)

L’ordonnance n°6 concerne le chèque syndical, qui a été expérimenté chez Axa. La société d’assurances du puissant lobbyiste Henri de Castries devenue banque et mutuelle. Pour calmer les syndicats par définition récalcitrants, il est question de valoriser l’engagement syndical dans les carrières. On ne voit pas trop comment, mais ça ne peut pas faire de mal… Proposer de lutter contre la discrimination syndicale tout en limitant leur pouvoir, c’est toute la rouerie des hommes en place.

 

On passe sur l’ordonnance n°7 et la représentation des salariés dans les conseils d’administration. Car il ne faut pas rêver : un petit employé ne pourra jamais avoir le poids et les jetons de présence d’un gros actionnaire. Quant aux décisions stratégiques, elles ne seront probablement pas prises en sa présence ! CGT et CFDT réclament cette réforme, car aujourd’hui, seules les sociétés de plus de 1 000 employés ont un administrateur salarié. Le partage du pouvoir dans l’entreprise, c’est pas pour demain. De plus, tout dépend du statut de l’entreprise, car toutes ne disposent pas un conseil d’administration… Imaginez un ouvrier ouvrir sa gueule dans le CA d’une entreprise familiale revendue à des Américains…

 

Ordonnance n°8, la réforme de l’assurance chômage. Traduction : on va changer le mode d’indemnisation des chômeurs. Point crucial, et brûlantissime. Une ordonnance qui sent la rue en feu et la barricade.

Macron et Philippe proposent que l’État prenne en charge la chose, alors que c’est une prérogative des partenaires sociaux, c’est-à-dire syndicats et patronat. Nos nouveaux dirigeants veulent une assurance chômage universelle ouverte à tous (pas que les salariés, donc) et financée par l’impôt. On imagine le coût de la chose, les entrepreneurs, artisans et agriculteurs n’ayant droit à rien, ou pas grand-chose, en cas de perte d’emploi.

Un régime général qui pose question : c’est très généreux, donc méfiance. Mécaniquement, englober tout le monde dans l’AC (assurance chômage) c’est possible si et seulement si la durée et le montant de l’indemnisation du salarié moyen diminue. Drastiquement. Parce qu’avec la mortalité actuelle des entreprises, surtout des TPE, les planqués du salariat ont du souci à se faire. On parle de planqués non par ironie ou jalousie, mais parce qu’une concurrence est à craindre entre la France encore protégée par les lois du Travail et celle qui l’est moins, conflit dans lequel la protection sociale sera la seule perdante. Et l’évolution vers le modèle britannique, très dur avec les employés en recherche d’emploi, est à craindre. Si l’État prend en charge l’assurance chômage, alors les pauvres risquent de payer pour les pauvres ! Remarquez, ça n’est pas vraiment un changement. C’est comme le revenu universel d’Hamon (ou Zuckerberg) : une charge de plus pour la classe moyenne laborieuse…

On imagine bien que cette « générosité » gouvernementale a un sens, celui de séparer pour régner. Les deux France, celle qui est relativement protégée par les textes, et l’autre, sauront-elles s’entendre sur cette ordonnance ? Si cela reste une ordonnance…
Rappelons ici pour information ce qu’est une ordonnance, qui passe selon certains esprits retors pour un contournement du 49.3 :

Le Gouvernement peut demander au Parlement l’autorisation de prendre lui-même des mesures relevant normalement du domaine de la loi afin de mettre en œuvre son programme (art. 38 de la Constitution). L’autorisation lui est donnée par le vote d’une loi d’habilitation. Ces actes sont appelés des ordonnances. Elles ne sont pas inconnues de l’histoire constitutionnelle, car elles existaient déjà sous les IIIe et IVe Républiques sous le nom de décrets-lois.

 

Voilà pourquoi il est vital pour Macron et sa bande d’obtenir une majorité à la Chambre le 18 juin ! Le Parlement entérinera le processus, et la déconstruction du code du Travail pourra se faire, sous forme de l’adoption d’une partie des ordonnances pré-citées, peut-être même pendant les vacances. Une habitude française. Naturellement, nous n’avons pas poussé plus loin dans l’analyse de toutes ces données, tant elles comportent de ramifications. Nul doute que les syndicats, partenaires sociaux et autres filochards vont réagir dans les heures et les jours qui viennent. En attendant les grandes manifs de la rentrée… sauf si le peuple est « terrorisé » par ailleurs.

 

 

Français, Françaises, sentez-vous le museau de la Bête immonde – la vraie, pas la bébête immonde pour les nuls – ultralibérale pointer ?

via Le plan Macron pour l’emploi… ou pour les employeurs ? – Egalite et Réconciliation

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