Levothyrox : la bataille continue et l’ANSM est accusée de conflit d’intérêts

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Levothyrox : la bataille continue et l’ANSM est accusée de conflit d’intérêts

Article du 10 mars 2018

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La bataille des patients « malades du Levothyrox nouvelle formule » — pour faire reconnaître la réalité de leurs troubles — continue. Elle se situe aussi désormais sur le nombre de personnes ayant abandonné le traitement depuis cet été, près d’un million de malades selon une association, 500 000 selon le ministère de la Santé. En parallèle, Aurore Gorius, journaliste pour le site d’information Les Jours révèle un conflit d’intérêt entre l’Agence nationale de sécurité du médicament et le laboratoire Merck.

Près d’un million de Français malades de la thyroïde, soit un tiers des patients, ont abandonné le médicament controversé Levothyrox, a affirmé jeudi l’association Vivre sans thyroïde, chiffre que son fabricant Merck juge très largement surestimé.

L’association et le groupe pharmaceutique sont d’accord sur un point : depuis que ce médicament a changé de formule courant 2017, sa part de marché a baissé.

Ce changement de formule a amené de nombreux patients à se plaindre, surtout depuis août, d’effets secondaires parfois très gênants (fatigue, maux de tête, insomnie, vertiges, douleurs articulaires et musculaires et chute de cheveux). La journaliste Aurore Goriu a révélé le 28 février dernier sur le site d’information Les Jours un conflit d’intérêts entre l’Agence nationale du médicament et des produits de santé (ANSM) et le laboratoire Merck (fabriquant le médicament pour soigner les troubles de la thyroïde, le Levothyrox).

Aurore Gorius est membre du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) e a pu se procurer le courrier envoyé en 2012 par l’ANSM au laboratoire Merck pour demander le changement de formule qui a rendu malade des milliers de patients. Ce courrier demandait au laboratoire de changer la formule du Levothyrox en remplaçant le lactose par du mannitol et de l’acide citrique afin de rendre le médicament plus stable dans le temps pour sa conservation.

Le problème que soulève cette demande est qu’elle était signée  du Professeur Philippe Lechat qui a travaillé pour le laboratoire Merck avant d’entrer à l’ANSM : le conflit d’intérêts semble donc avéré.

> Lire notre article : « Levothyrox : pourquoi la nouvelle formulation pose problème »

Combien d’entre eux se sont vu prescrire un traitement concurrent ? Les deux parties, qui s’affrontent devant les tribunaux, invoquent des chiffres différents. Pour aboutir à son estimation de près d’un million de personnes, l’association a dépouillé une vaste base statistique, publiée début février par l’Assurance maladie, sur les volumes de tous les médicaments remboursés. L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) et la Direction générale de la santé (DGS) estiment quant à elles depuis hier vendredi 9 mars 2018, « qu’après analyse des bases de données de l’assurance-maladie qu’environ 500 000 patients se sont tournés vers des alternatives à la nouvelle formule du Levothyrox ».

Les chiffres montrent, d’après Vivre sans thyroïde, que le Levothyrox a perdu près d’un tiers (31%) du marché au quatrième trimestre 2017. Or il y a en France quelque trois millions de malades traités. Ces chiffres sont « en contradiction complète avec les affirmations officielles des pouvoirs publics, qui assurent encore aujourd’hui que ce n’est pas une crise sanitaire« , dénonce l’association dans un communiqué. En septembre la ministre Agnès Buzin en effet que «  »le seul danger pour la santé des patients est d’arrêter leur traitement. » invitant les patients  « à trouver le bon dosage avec l’aide de leur médecin. »

> Lire notre article : « Levothyrox : des milliers de malades en souffrance et peu de solutions en vue »

« Nous démentons (…) Ces chiffres ne sont en aucun cas le reflet de la réalité« , a répondu Merck dans un communiqué transmis à l’AFP. « Les dernières données dont nous disposons font état, conformément à nos déclarations précédentes, d’une baisse comprise entre 10% et 12% tant pour le nombre de boîtes vendues [d’après les données de l’Assurance maladie] que pour la part de marché patients sous Levothyrox » (d’après le groupement d’intérêt économique de l’industrie pharmaceutique Gers), a affirmé le président biopharma de Merck France, Thierry Hulot.

Vivre sans thyroïde a détecté pour sa part une augmentation anormale fin 2017 des ventes totales de médicaments contre l’hypothyroïdie en France (+11% par rapport aux neuf premiers mois de l’année, à 108 millions de comprimés par mois). Elle suppose que des patients n’ont pas consommé des boîtes de Levothyrox qu’ils avaient achetées dès lors qu’ils ont réussi à se procurer un médicament concurrent. « Cela représente 33 millions de comprimés de Levothyrox nouvelle formule délivrés mais non consommés« , d’après l’association.

Les plaintes engagées en septembre 2017 par une cinquantaine de patients comportent un motif de « non assistance à personne en danger ». Cette non assistance correspond à la période d’au moins un mois, durant laquelle l’ANSM n’a pas souhaité prendre en compte sérieusement les difficultés de santé très importantes exprimées par les malades, indiquant que « les effets secondaires ne pouvaient pas être causés par la nouvelle formulation en tant que telle, que les patients devaient simplement refaire leurs dosages avec leur médecin, que ces désagréments étaient temporaires« .  A la suite de quoi la ministre de la Santé annonçait un retour temporaire de « l’ancienne formule » du Levothyrox : en réalité un accès à des médicaments équivalents au Levothyrox, dont des gouttes et des génériques.

> Lire notre article : « Levothyrox : la ministre de la Santé annonce le retour de l’ancienne formule »

Les affirmations de l’ANSM niant le problème,  à l’époque, liée aux récentes révélations de la journaliste Aurore Gorius sur des soupçons de conflit d’intérêts entre le laboratoire Merck et l’Agence du médicament laissent planer un doute de plus en plus important sur les raisons du changement de formule du médicament, sans information conséquente auprès du public.

La nouvelle formule du Levothyrox a été réclamée par l’ANSM au laboratoire allemand Merck en 2012 afin, selon elle, de rendre le produit plus stable dans le temps. Le changement ne porte pas sur le principe actif mais sur d’autres substances, les excipients.

Certains patients se sont rapidement plaints d’effets secondaires. Face à leur colère, les autorités de santé ont tâché de mettre à disposition d’autres traitements, alors que le Levothyrox était en situation de quasi-monopole. Des patients mécontents ont entamé plusieurs procédures en justice.

> Lire notre article : « Levothyrox : la justice s’en mêle mais les patients désespèrent »

Lundi, le volet pénal du dossier a franchi une nouvelle étape avec la désignation d’un juge d’instruction à Marseille pour enquêter sur 7.000 plaintes déposées. Une information judiciaire contre X avait été ouverte trois jours auparavant pour tromperie aggravée, blessure involontaire et mise en danger d’autrui.

Une autre plainte contre X pour « tromperie aggravée » au mois de septembre avait été déposée par un médecin : le docteur Nicolas Bouvier.

> Lire notre article : « Docteur Nicolas Bouvier : « Le Levothyrox est un scandale industriel et institutionnel »

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