Lundi.am et BHL : convergence des luttes ?

Nous relayons cet article du très gauchiste « Le Média » car il n’y a pas beaucoup de voix défendant la vérité sur la Syrie. Suit l’article de lundimatin.am qui est vraiment un concentré de propagande à conserver pour l’histoire.

Un peu d’air frais


Chers lecteurs de lundi.am,

Le Média a été gravement mis en cause dans un article paru sur le site lundi.am le 28 février dernier, sous le titre « Le Média sur la Syrie : naufrage du ‘journalisme alternatif’ » et portant la signature de Mme Sarah Kilani et M. Thomas Moreau. Si nous avons attendu avant de répondre aux contre-vérités et aux divagations qu’il contient, c’est que, tout d’abord, nous n’avons pas estimé qu’il s’agissait d’un travail sérieux.

Mais nous avons été ensuite surpris par l’intérêt suscité par un agglomérat aussi peu solide et des critiques aussi infondées. En quelques jours, grâce au pouvoir multiplicateur des réseaux sociaux et à l’hostilité que Le Média inspirait avant même d’avoir produit le moindre programme, le texte des contributeurs de lundi.am a été largement diffusé par toutes sortes « d’autorités » de la presse française, disposant de puissants relais, à l’image de l’improbable Bernard-Henri Lévy qui, dans Le Point, a repris leur argumentaire. Que cette publication de la gauche critique, lundi.am, se soit alignée sur la position des néo-conservateurs atlantistes nous a d’abord étonné. Mais le pouvoir de nuisance de ce texte ayant propagé des mensonges, il faut nous résoudre à devoir défaire méthodiquement ses raisonnements spécieux, bien que nous aurions préféré utiliser notre énergie pour participer à un débat utile sur la couverture des conflits contemporains, plutôt que de perdre notre temps à dissiper des sottises. Mais enfin, la bulle médiatique unanime nous étant tombé dessus avec les armes que lundi.am lui a fournies, nous devons bien aujourd’hui nous efforcer de montrer que les attaques de leurs contributeurs sont aberrantes.

Voici donc notre réponse à ce pamphlet bâclé qui a tant plu et tant servi à l’ordre médiatique dominant. Ordre dont lundi.am s’est fait, ironie de l’histoire pour des héritiers du situationnisme, le porte-flingue du moment.

L’article de lundi.am commence par une mise en cause des qualités professionnelles de notre correspondant à Beyrouth, Claude El Khal, en se fondant sur la présentation qu’il fait de lui-même sur son blog. Si leurs contributeurs avaient voulu faire preuve d’honnêteté avec vous, lecteurs, ils auraient souligné que ce n’est pas au titre de ces qualités qu’il intervient sur notre antenne, de la même manière que Mme Sarah Kilani n’intervient pas dans les pages de lundi.am au titre de son activité professionnelle de « médecin anesthésiste-réanimateur ». Mais admettons que semer la confusion dans l’esprit de leurs lecteurs était négligeable pour les auteurs de ce texte.

Sans même s’embarrasser de rappeler la mise en contexte de son analyse opérée par Claude El Khal dans la première moitié de son billet, l’article de leurs contributeurs déploie ensuite un raisonnement incohérent et infondé, sur le choix de ne pas diffuser, dans le cadre de son sujet, d’images provenant des quelques sources présentes à l’intérieur de La Ghouta orientale et qui étaient alors quotidiennement relayées par la presse internationale. Les auteurs du texte que lundi.am a publié estiment que cela « pourrait ressembler à de la négation de crimes de guerre », ce qui est non seulement insultant, mais également doublement stupide. Voici pourquoi.

D’abord, nulle part n’est-il fait mention des deux arguments avancés par Claude El Khal, pourtant élémentaires dans la pratique du journalisme, pour justifier son choix et qui méritaient, selon nous, d’être au moins débattus : d’une part, l’interrogation prudente des sources et, d’autre part, le refus de l’instrumentalisation de l’image de la violence à des fins spectaculaires ou « sensationnalistes » et, en fin de compte, politiques.

Nous, nous avons le respect de nos lecteurs.

D’abord, l’interrogation des sources et de leur situation concrète dans une zone de conflit de haute intensité comme La Ghouta orientale n’équivaut en rien à « la négation » de quoi que ce soit, bien sûr, sauf à dire que l’absence d’images postule l’absence de faits. Sans doute est-il bon de rappeler aux auteurs du texte publié par lundi.am que le réel n’a pas commencé à exister à l’invention de la photographie et de la télévision. Et de surcroît, qu’une image en soi ne « prouve » rien, comme l’ont abondamment montré les nombreux exemples de manipulation et d’interprétation erronée des images dans les guerres qui ont ensanglanté le XXe siècle ou l’essentiel des travaux de sémiologie des médias, par exemple, sans même parler de Guy Debord pour qui « les images existantes ne prouvent que les mensonges existants ». Mais ces questions sont tellement scolaires que nous ne pouvons que renvoyer leurs contributeurs aux abondants travaux universitaires de ces soixante dernières années, pour commencer.

Entre parenthèses – et ce serait burlesque si l’accusation n’était pas aussi grave –, leur usage du conditionnel est particulièrement malhonnête, dans la mesure où il ne fait qu’émettre l’hypothèse suivante : « Peut-être Le Média se rend-t-il coupable de négation de crimes de guerre ? » Peut-être… Ou peut-être pas. Pure insinuation qui, utilisée à l’encontre de la publication lundi.am, permettrait toutes sortes de flétrissures et d’amalgames injurieux dont nous nous abstiendrons, de manière à ne pas faire usage de procédés aussi pervers que ceux des auteurs du texte. Nous, nous avons le respect de nos lecteurs.

Ceci étant posé, il ne nous paraît donc pas nécessaire de répondre aux digressions suivantes des auteurs sur les vertus des outils technologiques d’analyse des images, sur l’existence ou non de « photos neutres » dans les guerres ou sur les opinions politiques des correspondants de guerre, en prenant de surcroît pour exemple l’immense photographe Robert Capa, dont on sait quel regard détaché et parfois ironique il posait sur la pratique de son métier au front. Sans doute serait-il d’ailleurs utile de rappeler aux contributeurs de lundi.am que le nom même de « Robert Capa » est celui d’un personnage fictif inventé par le facétieux et intrépide couple que le photographe André Friedmann formait avec Gerta Pohorylle, dite Gerda Taro, pour mieux « vendre » leurs images de la guerre d’Espagne à des journaux à fort tirage.

Par ailleurs, les digressions de leurs contributeurs ne répondent à aucune des questions que nous avons posées sur notre antenne. L’appel à la prudence formulé par Claude El Khal n’étant ni un amalgame de l’ensemble des images provenant des agences de presse dans un même ensemble définitivement disqualifié, ni une distinction absurde entre « images neutres » et « images partisanes », ni une discutaillerie sur l’état de conscience des reporters de terrain. Ni non plus, comme leurs contributeurs le répètent à l’envi tout le long de leur pamphlet, une défense et illustration du régime de Bachar al-Assad, de ses séides ou de ses donneurs d’ordre.

Qu’il nous soit donc permis de préciser son intention puisque, à l’évidence, les extrapolations de vos collaborateurs sont passées totalement à côté, au profit d’une très longue digression qui ne correspond absolument pas aux propos de Claude El Khal. Vous, lecteurs, en serez, nous l’espérons, plus instruits sur un débat qui nous paraît plus que nécessaire.

D’abord, l’interrogation des sources. Dans son billet, Claude El Khal ne prétendait pas théoriser le statut des informations provenant de zones de conflit en général. Au contraire, il se contentait de mettre en garde contre un usage imprudent et périlleux d’images en provenance de La Ghouta orientale, étant donné la situation concrète dans cette ville, les rapports de force internationaux actuels autour de la guerre en Syrie, étant donné aussi les acteurs d’un conflit qui ne sont pas que Syriens, et enfin aux nombreux cas problématiques d’influence des images sur le cours des guerres observés lors d’un passé récent, surtout s’agissant des conflits du Moyen et du Proche-Orient. Que l’on songe seulement à la somme de mensonges, d’intoxications, de fausses nouvelles et d’âneries plus ou moins volontaires diffusés avant, pendant et après les deux invasions de l’Irak en 1991 et 2003, le coup de force de l’OTAN au Kosovo en 1999 ou les opérations militaires étrangères en Libye en 2011… Cette énumération n’est pas exhaustive. Mais leurs contributeurs n’en font pas mention : cela mettrait en péril leur prétendue démonstration.

Dans son billet, Claude El Khal attirait donc l’attention sur le fait que le secteur soumis à l’offensive d’une extrême brutalité de l’armée de Damas et de ses supplétifs, appuyée par les forces armées russes, était encerclé. Et que les civils y sont piégés, non seulement par la présence tout autour de forces armées pro-gouvernementales qui se sont rendues coupables d’innombrables crimes dans toute la Syrie, mais aussi par leur instrumentalisation par les groupes armés insurgés qui s’y trouvent et qui ont unanimement, le 23 février dernier, dans une lettre ouverte au secrétaire général de l’ONU Antonio Gutteres, « rejeté catégoriquement toute initiative qui prévoit la sortie des habitants de leur maison et leur transfert vers n’importe quel autre endroit ». Comme vous le savez, les journalistes étant des civils, il ne nous paraît pas absurde de nous questionner sur les conditions concrètes de recueil et de diffusion d’informations depuis une enclave soumise d’un côté à un siège d’une violence extrême et, de l’autre, où des groupes armés interdisent toute sortie et qui, ainsi que l’a documenté Human Rights Watch fin 2015, ont eu recours à des pratiques barbares telles que l’encagement public de prisonniers et de leurs familles afin de « dissuader les attaques des forces gouvernementales ».

Nous disons que l’examen rationnel des conditions de production des images et, ensuite, de leur diffusion dans un programme comme notre journal quotidien, sous une forme très brève, nécessairement peu contextualisée, donc difficilement compréhensible pour le téléspectateur, est une démarche nécessaire. Le Média, et son correspondant Claude El Khal, ont choisi de répondre deux choses à ces questions : premièrement, étant donné la situation concrète du secteur et les nombreuses questions sans réponse que posent les documents provenant de la zone assiégée, que nous ne sommes pas en mesure actuellement de connaître avec certitude les conditions de tournage des images qui nous parviennent de La Ghouta orientale, même à travers des canaux traditionnels que sont les agences de presse internationales ; deuxièmement, que la diffusion de telles images à la signification vague, ou incomplète, dans le cadre d’un journal tel que celui que nous diffusons tous les jours à 20 heures, au milieu d’autres informations relayant d’autres images, ne nous a pas paru pas justifiée.

Ces questions, du reste, l’ensemble quasi unanime des médias français se les sont posées régulièrement dans le passé, après les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, après les tueries de Charlie-Hebdo et du supermarché Hypercacher, celles du Bataclan ou de la promenade des Anglais à Nice, par exemple. Le maniement des archives est un exercice simple aujourd’hui : aussi vos contributeurs auraient-ils pu se souvenir que le Conseil supérieur de l’audiovisuel avait d’ailleurs, en juin 2017, sanctionné France Télévisions pour la diffusion d’images « choquantes » après l’attentat terroriste de Nice et que plusieurs médias, comme Le Huffington Post par exemple, avait choisi en septembre 2015 de ne pas diffuser l’image terrible d’un petit enfant noyé sur une plage de la mer Egée et avaient publiquement expliqué pourquoi. Mais s’agissant d’images en provenance des zones de conflit, qu’elles proviennent d’Afrique ou du Moyen-Orient, il n’y aurait pas matière à débat ?

Nulle part nous n’avons dit que nous prétendions contester à d’autres rédactions la liberté de faire d’autres choix (étant donné leurs formats différents, notamment), ni que nous prenions là une position de principe, qui vaudrait dans toutes les situations, à toutes les époques. Claude El Khal a répondu à des questions précises, posées par une situation précise et un contexte politique précis.

Encore une fois, les contributeurs de lundi.am tirent des conclusions générales d’un cas particulier, ce qui est un procédé qu’on appelle « l’induction », mais que nous pourrions tout aussi bien appeler « sophisme ». Ce n’est pas parce que, dans le cas de La Ghouta orientale, Claude El Khal exprime des réserves sur ce qui paraît peut-être des évidences à beaucoup de médias qu’il énonce une règle générale et indépassable du journalisme, qu’il engage la ligne éditoriale du Média pour tous les conflits du monde, ou même pour toutes les zones de conflit de Syrie. Il conduit un raisonnement, explique ses choix et propose des réponses à des questions. Lui faire dire autre chose est soit le signe d’un manque d’intelligence, soit le révélateur d’une évidente volonté de nuire. Ou les deux.

Que notre contribution à ce problème grave auquel les médias contemporains sont confrontés ait été interprétée par les contributeurs de lundi.am comme du « révisionnisme en temps réel bon teint », voire du « conspirationnisme avéré » ne démontre, par conséquent, qu’une série de choses, en réalité : les lacunes de leur outillage intellectuel, leur manque de culture sur les accusations qu’ils profèrent, leur préjugés malveillants à notre encontre, l’indigence de leur capacité de raisonnement, leur projet de désinformation de vos lecteurs et leur méconnaissance de l’état de la réflexion contemporaine sur la diffusion d’informations depuis les zones de conflit.

Lundi.am peut très bien faire le choix d’œuvrer à la victoire des groupes fondamentalistes armés qui combattent la dictature syrienne et leurs tuteurs internationaux : c’est sa liberté.

Plus complexe, donc plus difficile à appréhender par les deux contributeurs de lundi.am, l’autre question soulevée par Claude El Khal a, identiquement, été largement ignorée. Cette question était : quelle règle un média comme le nôtre entend-t-il respecter, face à l’utilisation récurrente d’images de violence, à notre époque, dans des campagnes de communication politique ? La réponse des deux contributeurs est : aucune, pourvu que les images proviennent du camp qu’ils soutiennent. Encore une fois, il appartient à lundi.am de soutenir la victoire d’un camp contre l’autre dans les conflits violents qui ensanglantent la planète. Lundi.am peut très bien faire le choix d’œuvrer à la victoire des groupes fondamentalistes armés qui combattent la dictature syrienne et leurs tuteurs internationaux : c’est sa liberté. Mais c’est là sans doute notre différence fondamentale. Car au-delà de l’appréciation que nous pourrions porter sur tel ou tel belligérant dans et autour de La Ghouta orientale, nous n’entendons pas faire du Média un instrument de mobilisation des belligérants défigurant le monde selon nos préférences politiques, mais avant tout un instrument de compréhension des événements contemporains. Loin de plonger les téléspectateurs dans « les eaux glacées du relativisme total et une reprise sans filtre de la rhétorique justement développée depuis le début de la révolution par Bachar el-Assad » comme l’affirment les contributeurs de lundi.am, notre volonté est de prendre du recul par rapport à un événement d’une puissante charge émotionnelle et de réfléchir aux conséquences de ce qui nous apparaît comme de fausses évidences dans la pratique du journalisme. Il est donc assez sidérant de voir qu’on reproche au Média de ne pas prendre parti, alors même que Le Média est accusé d’être de parti-pris !

Nous l’avons dit et répété. Notre manifeste fondateur est clair. Nous souhaitons être un média humaniste, soucieux de la dignité des victimes et plus sensibles aux initiatives de paix qu’aux appels à la guerre. Instruits par l’histoire, nous sommes solidaires du peuple syrien, qui est la première victime des tueurs qui font régner leur loi et des fanatiques qui ont piraté sa révolution. Nous mettons en garde contre l’instrumentalisation des médias et de leur puissance sur les affects par les partisans d’une intervention militaire occidentale en Syrie et nous mettons en garde contre les conséquences désastreuses d’une internationalisation plus large, plus grave, plus incontrôlable, de la guerre en Syrie.

En exprimant notre volonté de prudence dans notre usage des images et notre appréhension méfiante des efforts de propagande autour du conflit syrien, nous aurions donc « renvoyé dos à dos bourreaux et victimes », ce qui serait un « procédé rhétorique bien connu qui permet de relativiser les crimes de l’agresseur », affirment encore les contributeurs de lundi.am. Notre positionnement en faveur de la paix serait une manière de mettre « crosse en l’air » afin de « mieux laisser faire en Syrie les puissants, les forts, les dépositaires de la violence soi-disant légitime », disent-ils encore. C’est gravement déformer notre position, qui est de préférer à toute entreprise d’appel à la mobilisation belliqueuse les voies et moyens de cessation des violences, sans que cela ne préjuge en rien de nos sympathies ou nos vœux sur l’issue du conflit d’un pays qui, nous le rappelons à toutes fins utiles, n’appartiennent qu’aux Syriens, et rien qu’aux Syriens. En fait de « procédés rhétoriques », en voilà un bel échantillon : le même que l’ancien président des Etats-Unis George W. Bush avait utilisé en disant que « ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous ». Pire encore : c’est un procédé qui consiste à nous faire dire des choses que l’on ne dit pas, puis à s’offusquer qu’on les ait dites. Cela s’appelle vous enfermer, vous lecteurs, dans un cercle vicieux et vous mentir.

Donc, que les choses soient claires une fois pour toutes. Claude El Khal a été explicite à ce sujet mais, malheureusement pour vous, lecteurs, les contributeurs de lundi.am ne reprennent ses propos que pour les mettre en doute. En Syrie, nous sommes bouleversés par les souffrances de la population prise dans les combats et nous en tirons les conséquences pour notre travail. Nous saluons le courage et l’application des reporters de guerre qui témoignent, avec leurs moyens, de la douleur et de l’épuisement des civils coincés dans une guerre monstrueuse. Nous soutenons, dans la bataille de La Ghouta orientale, les voix et les efforts de ceux qui appellent à faire cesser durablement le massacre, les voix et les efforts de ceux qui s’efforcent de faire cesser les tueries, lesquelles ne se résument d’ailleurs pas à cette ville, ou à Damas, ou à Afrine, ou à Alep ou à Mossoul.

Eh bien non, c’est maintenant clair, ce n’est pas Le Média qui prône l’intensification de la guerre et l’aggravation des violences contre les civils.

Les contributeurs de lundi.am mélangent par ailleurs, dans leur texte, le sujet présenté le 23 février par Claude El Khal dans le Journal du Média et l’interprétation qu’ils font de « posts » de blog anciens, voire de « tweets ». Pour notre part, nous ne pousserons pas la critique jusqu’à l’exploration édifiante des publications antérieures de Mme Kilani ou de M. Moreau sur les réseaux sociaux ou ailleurs : mais, si vous souhaitez connaître notre avis sur les publications de Claude El Khal, nous engageons simultanément lundi.am à faire toute la lumière, dans l’intérêt de ses lecteurs, sur les propos publics tenus sur les réseaux sociaux par ces deux procureurs improvisés.

Enfin, la conclusion de l’article des contributeurs de lundi.am est d’une indécence rare, qui ne peut pas rester sans réponse. Dans un court paragraphe honteux, ils avancent le nom de l’immonde Darquier de Pellepoix et les mensonges ignobles de Robert Faurisson pour prétendre que « la rhétorique » de Claude El Khal « se situe dans le registre du premier pas vers le négationnisme ». Non seulement les contributeurs de lundi.am imputent à Claude El Khal, et par extension au Média, la commission d’un crime puni par le code pénal, mais ils ajoutent une injure infâme à la diffamation caractérisée en sous-entendant que le travail de l’un de nos collaborateurs pourrait aboutir « un jour à une ignominie semblable sur La Ghouta ou Alep si l’on n’y prend pas garde ». Eh bien non, c’est maintenant clair, ce n’est pas Le Média qui prône l’intensification de la guerre et l’aggravation des violences contre les civils.

Au fond, chers lecteurs de lundi.am, vous le voyez : les contributeurs qui nous ont injurié ont pris leur désir pour des réalités et leurs préjugés pour des arguments. C’est pourquoi nous voulons faire connaître notre position, de manière à ne pas vous laisser être insultés par la médiocrité du travail fourni par ces personnages.

La Rédaction du Média

via Lundi.am et BHL : convergence des luttes ? | Le Média


L’article en question :


Le Média sur la Syrie : naufrage du « journalisme alternatif »

Par Sarah Kilani et Thomas Moreau

paru dans lundimatin#135, le 28 février 2018

Il est des documents dont on sait très rapidement qu’ils sont d’ores et déjà porteurs d’une certaine valeur historique tant ils font cas. Il en est ainsi d’un extrait du journal du média TV dans lequel sont agglomérées toutes les ficelles d’un révisionnisme en temps réel bon teint, voire d’un conspirationnisme avéré, malgré ses efforts pour se cacher sous le masque de la neutralité. Florilège.

Air grave, silence solennel. Claude el Khal, chroniqueur pour Le Média et qui se présente lui même comme « apprenti acteur et caricaturiste » ou encore « réalisateur, blogueur et dessinateur occasionnel », s’apprête à nous livrer son « expertise » sur les événements de la Ghouta. Le nouveau journal proche de la France Insoumise a pris une position se voulant courageuse, car minoritaire selon lui, et tente par la voix du blogueur libanais de nous l’expliquer.

Ne sachant pas situer Damas sur une carte — en témoigne son visuel sur lequel la capitale syrienne est positionnée à la place de Deraa —, l’équipe du Média tente cependant de se placer au-dessus du reste de la presse française et revendique une hauteur d’analyse sur le conflit syrien se traduisant par le choix — qu’on imagine difficile — de ne diffuser aucune des images de la Ghouta bombardée.

En effet, ces images ne seraient que propagande des deux camps ainsi renvoyés dos à dos. L’agence Sana du régime des Assad — 47 ans de bons et loyaux services — et les videos filmées par les civils bombardés : même traitement. Selon le chroniqueur, la « propagande » en provenance de la Ghouta serait abondamment relayée par les médias des puissances occidentales dans le but de « renouer avec la rhétorique du dictateur sanguinaire qui massacre son peuple, peut-être en vue d’une éventuelle action militaire contre lui ». Seulement voilà, viols, exécutions de masse, torture systématique des civils, bombardement des hôpitaux, usage des armes chimiques, siège, destruction de villes entières, déplacement de populations, tout ceci est abondamment documenté par les ONG, les journalistes de guerre, les chercheurs de terrain, les activistes et les dizaines de milliers de témoignages recueillis auprès des réfugiés syriens, faisant ainsi de ce conflit le plus documenté au monde. Il semblerait que le qualificatif de « dictateur sanguinaire qui massacre son peuple » soit plus qu’une vue rhétorique pour Bachar el Assad qui, nous le rappelons, est responsable, selon plusieurs organismes, de plus de 90% des morts civiles en Syrie depuis le début du conflit. [1] [2] Ce qui pourrait ressembler à de la négation de crimes de guerre est assumé dans l’économie d’un discours qui argue de l’éthique journalistique pour ne pas diffuser les images de la Ghouta. Périlleux en effet d’en appeler à cette éthique quand on n’est soi-même pas journaliste. Ce que M. el Khal oublie de dire — ou qu’il ignore — cependant, c’est que beaucoup de ces images nous proviennent de journalistes de guerre [3]. Lesquels exercent ce métier en se mettant en danger pour nous transmettre des images de terrain. Des journalistes, travaillant pour l’AFP — agence que visiblement notre expert ne connaît pas — comme le photographe Abdulmonam Eassa, risquent leur vie pour nous rapporter des nouvelles et des images de la Ghouta qui nous parviennent difficilement du fait du siège tenu par le régime, rappelons-le. Concernant la véracité des images, il suffit de recouper, d’analyser, d’user de logiciels dédiés, de faire un travail de journaliste en somme. Il existe des outils à la portée de tous pour cela. Google Image et le logiciel Tungstène. Nous sommes à la disposition de Le Media pour toute information complémentaire sur le sujet. Quoiqu’il en soit, contrairement à ce que Le Média avance, les « photos neutres » sur ce sujet n’existent pas et la partialité même de celui qui rapporte les images ne disqualifie pas d’emblée ces dernières. Sinon, comme le souligne l’historien Tal Bruttman, nous devrions immédiatement jeter aux orties les photographies du reporter de guerre hongrois pro-républicain et anti-nazi Robert Capa, sur la guerre d’Espagne et la deuxième guerre mondiale.

Dans toute cette entreprise rhétorique, quand il s’agit de parler des forces en présence, M. El Khal nous plonge dans les eaux glacées du relativisme total et une reprise sans filtre de la rhétorique justement développée depuis le début de la révolution par Bachar el Assad. En effet, tout le long de son exposé, « l’expert » place au même niveau les bombardements du régime et ceux perpétrés par les combattants de la Ghouta, sans jamais préciser de quelles proportions il est question. Il fait état, sans aller plus loin, des « pires horreurs d’un côté comme de l’autre ». Il compare ainsi la somme des aviations russes, syriennes et iraniennes au matériel d’artillerie permettant de bombarder Damas dont disposent les combattants : des mortiers. Il compare les très épisodiques tirs sur Damas en provenance de la Ghouta assiégée depuis 5 ans à des bombardements aériens, l’usage de gaz sarin [4] [5] et chloré, aux bombes thermobariques [6], aux bombes phosphorées [7] et aux barils de TNT qui s’abattent quasi-quotidiennement sur la banlieue de Damas. Il met en équivalence les victimes civiles — aussi terribles soient-elles — dont sont responsables les combattants rebelles aux presque 20 000 personnes mortes dans la Ghouta [8] depuis le début du conflit. Il compare les pendaisons de masse dans les prisons du régime [9], la torture des enfants [10], le viol systématique des femmes [11], les bombardements des hôpitaux [12] et l’usage des armes chimiques avec les exactions de groupes armés formés par la contrainte et la nécessité en réponse à la répression inouïe du régime contre les manifestants civils de la révolution syrienne. Ne croirait-on pas entendre un commentateur de la Commune de Paris s’offusquer de l’exécution de l’archevêque de Paris quand les armées de Thiers massacraient entre 5 700 et 7 400 communards et en déportait 5000 autres en Nouvelle-Calédonie ?

M. el Khal ne précise pas non plus que la masse des victimes civiles damascènes depuis le début de la révolution est le fait de la répression de Bachar el Assad, qui n’a pas hésité à bombarder certains quartiers de la ville, que ce soit par la voie des airs ou par le biais de tirs de mortiers lancés du Mont Qasioun [13], où est positionnée la brigade d’artillerie de la 4e division commandée par Maher Al-Assad, le frère cadet de Bachar. Renvoyer dos à dos bourreaux et victimes est un procédé rhétorique bien connu qui permet de relativiser les crimes de l’agresseur. Et en l’occurrence, M. el Khal explique sans sourciller que pleurer les morts civils de la Ghouta sans parler des victimes de l’autre camp « est d’un cynisme sans nom ». Peut-être que le chroniqueur de Le Média devrait voir la poutre dans son oeil avant de voir la paille dans celle des journalistes « des puissances occidentales ». [14]

Plutôt que de « porter la plume dans la plaie » comme disait Albert Londres, Claude El Khal a décidé de la lever en l’air comme la crosse afin de mieux laisser faire en Syrie les puissants, les plus forts, les dépositaires de la violence soi-disant légitime. Ces derniers en usent ad nauseum car, contrairement à ce qu’il en dit, la violence est venue de l’Etat sur des manifestants non violents qui ont pris les armes par lassitude de voir les leurs tomber.

Paradoxal cet organe qu’est Le Média dont un de ses journalistes met à égalité la version de l’agence Sana — quand on sait à quel point tout ce qui se fait en Syrie en terme d’information est contrôlé par le régime — et les images fournies par l’opposition. Comment imaginer un trait d’équivalence entre des sources tenues quotidiennement par les habitants et une source passée sous les stylos et les fourches caudines du pouvoir en place qui ne veut pas être déstabilisé ? La naïveté n’excuse pas tout, surtout quand elle se veut moralisatrice et œuvre de facto pour réduire au silence ceux qui endurent des bombardements. Dans un autre contexte, avec un État fort qui voudrait s’imposer par la force, les citoyens que nous sommes (dont de nombreux Insoumis) auraient plus tendance à croire les images des reporters civils que celles publiées par ledit Etat. Et bien, pourquoi penser différemment en l’occurrence ?

Revenons sur l’idée avancée selon laquelle l’Occident chercherait à renouer avec un récit acculant Bachar el Assad dans le but de préparer une intervention militaire. Monsieur el Khal peut-il nous donner son avis d’expert sur cette question : si la diffusion de ces images sert à préparer les esprits en vue d’une attaque, pourquoi l’Occident n’est-il pas intervenu militairement quand il en a eu l’occasion, à l’été 2013, lorsque le régime syrien a bombardé la population de la Ghouta au gaz sarin ? Pourquoi les USA, les Anglais et les Français n’ont-ils pas saisi l’opportunité en or de cette intervention offerte par le régime ayant dépassé la ligne rouge fixée par Barack Obama — intervention qui se serait faite avec l’approbation de toute l’opinion internationale à ce moment ? Pourquoi encore, alors qu’il y a un an les médias français tenaient le même discours sur Bachar el Assad qui dévastait Alep, la France n’est-elle donc pas intervenue ? Cela fait-il 7 longues années que « les puissances occidentales  » nous préparent psychologiquement à une intervention en Syrie qui ne vient toujours pas ? Car pour l’instant les puissances occidentales brillent surtout par leur abandon total de la cause du peuple syrien. Un silence tacite, complice et du coup coupable de la communauté internationale. Notons que la position de M. el Khal a aussi l’avantage de discréditer par avance toute éventuelle intervention de la France en Syrie.

Il y a quelque chose du casse du siècle dans les premières minutes de l’intervention du « spécialiste » paré de la légitimité de l’arabophone. Et pourtant tout est encore sur la table de jeu, rien ne va plus.

Que se passe-t-il dans la Ghouta ? Ecoutons les explications de l’expert du Moyen-Orient de Le Média qui, en 2014 déjà, livrait sur son blog son analyse de haut-vol selon laquelle l’Etat islamique était une création de toutes pièces d’Israël [15]. Cette conviction lui avait d’ailleurs fait diffuser sur les réseaux sociaux un visuel sur lequel était simplement écrit ISISRAEL.

Charmant.

Le chroniqueur, son objectivité portée en bandoulière, explique donc que les civils syriens seraient pris entre, d’un côté, les feux du régime, et de l’autre, ceux « des combattants appartenant à des groupes salafistes tels que Jaysh al Islam ou djihadistes comme le Jabhat al Nusra comme l’a rapporté le journaliste britannique et spécialiste du Moyen-Orient Robert Fisk  ». Nous passerons sur le fait que les propos sur le conflit syrien de Robert Fisk – ne connaissant qu’un seul ennemi : l’Occident — ont été dénoncés non seulement par des confrères journalistes [16], mais aussi par les chercheurs et experts de la révolution syrienne. Nous nous concentrerons sur le fait que Claude el Khal semble ne pas connaître la répartition des groupes de combattants présents dans la Ghouta. Si le groupe salafiste Jaysh al Islam est bel et bien présent et représente environ 60% des forces sur place, 30% sont constitués par le groupe Faylaq al Rahman — affilié à l’armée syrienne libre — et non par le Jabhat al Nusra [17] [18] [19]. Celui-ci qui d’ailleurs – nous l’annonçons à M. el Khal — n’existe plus depuis juillet 2016, depuis qu’il a rompu avec al Qaida [20], contrairement ce que le chroniqueur avance, probablement dans le but de fourrer tous les combattants de la Ghouta dans le même infâme panier. Non que les djihadistes de l’ex Front al Nusra ne soient pas toujours bien présents en Syrie et toujours aussi dangereux, mais quand on se revendique d’une certaine hauteur journalistique, il est bon d’être précis dans les termes, surtout quand il s’agit d’un cas aussi épineux que la révolution syrienne, où l’on a vite fait de chercher à salir une opposition en lui attribuant des qualificatifs honteux dans le but de racheter une virginité à Bachar el Assad. Pour rétablir donc les faits, nous préciserons que le Jabhat al Nusra, qui s’est nommé suite à sa rupture avec al Qaida « Front Fatah al Cham », est dissout depuis janvier 2017 « date de sa fusion avec quatre groupes rebelles islamistes pour former un nouveau mouvement : Hayat Tahrir al-Cham » comme l’explique la page Wikipédia du groupe djihadiste disponible sur internet (tout comme google image et Tungstène). Or il s’avère que Hayat Tahrir al-Cham est un groupe minoritaire en nombre [21] parmi les combattants de la Ghouta, ses effectifs étant actuellement majoritairement réunis dans la région d’Idleb [22]. Hayat Tahrir al Cham est d’ailleurs en très mauvais terme avec Faylaq al Rahman, le 2e groupe le plus puissant de la Ghouta, et dont il qualifie les membres de « laïcs » et « d’apostats » [23]. Il est tout à fait significatif que M. el Khal ait préféré nous parler de l’ex-Jabhat al Nusra plutôt que de Faylaq al Rahman dont il ne dit pas un mot. Il est aussi significatif que dans sa démonstration, il n’explique pas que c’est la répression du régime contre son peuple qui a permis l’implantation de groupes takfiristes dans le pays ou encore que Bachar el Assad a lui même libéré 250 djihadistes de la prison de Saidnaya [24] en 2011, dans le but de favoriser l’émergence de groupes radicaux qui pourraient servir d’épouvantails pour l’Occident. Un oubli, sans doute ; une méconnaissance, peut-être ? Si l’on argue du second, alors le procès en incompétence de notre « journaliste » est achevé, et le verdict définitif. Si l’on plaide le premier et que l’oubli est inconscient, alors c’est une incrimination de négligence que l’on peut adresser à l’« expert » ; si par contre l’oubli est intentionnel, alors, dans toute cette manoeuvre de Claude el Khal, il s’agit de réduire le tout à certaines de ses parties, qu’elles soient présentes de façon significative dans la Ghouta ou non. Ou de reprendre les éléments de langage dont le président syrien use et qui consistent à affubler systématiquement des qualificatifs de « djihadistes » et « de salafistes » toutes celles et ceux qui se rebellent contre son régime.

Cynique donc, Claude el Khal avance que « l’écrasante majorité des médias arabes » serait favorable à Bachar el Assad. A moins que le Qatar (dont la chaine al Jazeera est extrêmement populaire au Moyen-Orient), l’Arabie saoudite, la Jordanie et la Turquie (même si cette dernière n’est pas arabe, elle est couramment incluse dans ce que l’on appelle aujourd’hui « le monde arabe »), ne fassent plus partie du monde arabe, nous pouvons aisément avancer que notre expert du Moyen-Orient pour Le Média se trompe. Le chroniqueur crée donc une opposition qui n’existe pas entre les médias dits occidentaux et les médias arabes. Quant à la comparaison avec la presse russe, si les médias occidentaux sont souvent contraints éditorialement par les grands magnats de la presse et si les processus sociaux de reproduction des idées vont bon train, on ne saurait décemment comparer cela à la mainmise du Kremlin sur les médias russes et ses offensives sur l’extérieur via Sputnik et Russia Today. Quoiqu’il en soit, M. el Khal semble ne lire que très peu la presse occidentale qu’il accuse — à tort — de ne jamais mentionner la présence de l’ex-Front al Nusra en Syrie. A croire que l’expert de Le Média cherche à instiller la théorie du complot médiatique.

Puisque l’on parle de complot, M. el Khal reprend à son compte le vieux mantra de l’extrême-droite selon lequel l’Observatoire syrien des droits de l’Homme, basé à Londres, ne serait de ce fait qu’un suppôt de l’Occident et falsifierait ses chiffres au bénéfice de l’opposition. Mais l’OSDH est une source qui a été éprouvée par les années et si les journalistes continuent de s’en servir, c’est que les ONG ont systématiquement confirmé par la suite les chiffres fournis par l’OSDH. En effet, celui-ci dispose d’un vaste réseau d’informateurs sur place et centralise les chiffres collectés par les bureaux de collecte des données créés par les citoyens dans les zones rebelles. N’en déplaise au blogueur libanais, les combattants ne sont pas la source principale de l’OSDH et puisqu’il prétend que les chiffres proviennent en dernier recours des civils, nous lui rappelons que les casques blancs ne sont pas des combattants, contrairement à ce qu’il semble sous-entendre, mais sont bien des volontaires civils, « des professeurs, des boulangers, des ingénieurs, des étudiants, des coiffeurs, des ouvriers ou des commerçants » — comme le rappelle leur nom officiel « La défense civile syrienne ». L’OSDH et la Défense civile syrienne ont été depuis le début la cible de toutes les attaques et calomnies de l’extrême droite et des pro-Bachar. Il y a des éléments de langage et des litanies bien connus de ceux qui suivent de près la révolution syrienne, des rhétoriques qui ne mentent pas sur ceux qui en usent. D’ailleurs, dans son entreprise de relativisme des crimes de Bachar el Assad, à l’exception du très polémique Robert Fisk, on ne sait pas sur quelles sources M. el Khal appuie les affirmations qu’il assène.

Derrière le vernis du recul journalistique se cache ainsi en réalité une méconnaissance crasse de ce qu’est la guerre syrienne et de ses modalités pratiques. En témoigne le passage surréaliste dans lequel Claude el Khal trouve cela « incroyable » que « les images que nous recevons ne montrent jamais aucun homme armé et surtout pas les djihadistes d’al Nosra ». Comme nous l’avons expliqué, l’absence de combattants de l’ex front al Nosra sur les images s’explique tout simplement parce que ce groupe armé n’est présent actuellement que de façon anecdotique dans la Ghouta. Mais de plus, s’étonner de ne pas voir d’hommes armés sur les images filmées par les civils révèle une ignorance des modalités de la guérilla urbaine. N’en déplaise à Claude el Khal, lors d’une offensive, les combattants ne flânent pas parmi les civils en panique sous le déluge des bombes. Ils se situent là où leur présence a une chance de servir à quelque chose militairement et donc là où l’artillerie du régime est positionnée et sur des points de passage stratégiques pour ne pas laisser l’opportunité aux forces loyalistes de progresser.

Dans son entreprise révisionniste, le chroniqueur ne manque jamais de dépolitiser les civils de la Ghouta. Loin d’être pris entre deux feux, les habitants de ce qui fut jadis le verger de Damas sont directement pris pour cible par les bombardements et les victimes ne sont pas des dommages collatéraux. Car le tort de ces Syriens est d’avoir manifesté contre le régime et d’avoir voulu vivre dans la dignité. La constitution de groupes armés n’est que le fruit de la répression du régime et s’est vite révélée être une condition de survie pour les citoyens de la Ghouta qui n’ont plus guère d’autres options que la lutte armée, l’exil ou la mort.

Le blogueur n’oublie cependant pas de désamorcer toute critique en jouant le rôle de Casimir dans l’île aux enfants, tout cela après avoir tu toutes les conditions objectives qui ont provoqué un tel massacre dans le passé et à l’heure actuelle.

Alors que Claude el Khal nous assène sa rhétorique sur le ton de l’évidence, nous sommes amenés à nous demander quel peut bien être le but de cette manoeuvre éditoriale mal justifiée de la part de Le Média. Et finalement, il ne reste que deux possibilités à envisager : la méconnaissance la plus totale de ce qui se déroule en Syrie depuis 7 ans ou un parti pris pour le boucher de Damas que l’on tente de cacher derrière un bien piètre vernis de neutralité journalistique. Le fait que le conflit syrien soit le plus documenté de toute l’histoire et la proximité de Le Média avec la France Insoumise laisse peu de doute quant à l’hypothèse à privilégier. Rappelons que, pour Jean-Luc Melenchon, la situation en Syrie n’est qu’une « guerre de gazoducs et de pipelines » [25] et que la révolution syrienne n’est que le résultat de financements en provenance de l’Occident ; rappelons également que pour le porte-parole pour les affaires internationales de la France Insoumise Djordje Kuzmanovic, il fut de bon aloi d’ironiser il y a un peu plus d’un an sur le bombardement des hôpitaux d’Alep ou, à l’instar de M. el Khal, d’affirmer que « la couverture médiatique des événements en Syrie est orwellienne » [26].

Nous irons encore plus loin pour Claude el Khal qui ne fait ni plus ni moins qu’adhérer à la théorie du complot américano-sioniste pour la partition du Moyen-Orient. En témoigne son article de blog de juillet 2014, dans lequel il insinue plus que lourdement que l’implantation de l’Etat islamique ne serait pas le fruit du chaos engendré par la répression du dictateur contre son peuple ou même une union de djihadistes et d’anciens baathistes avec la bénédiction du régime — comme l’expliquent tous les experts de la question — mais une création pure et simple de l’Etat d’Israel dans le but de « mettre en œuvre l’ancien pas si secret plan israélien, consistant à diviser la région en entités sectaires ». Sur la création de l’Etat islamique, nous conseillons à Claude el Khal les excellents ouvrages de Nicolas Hénin Djihad academy, de Jean-Pierre Filiu Généraux, gangsters et jihadistes et de Pierre-Jean Luizard Le piège Daech. Le chroniqueur y trouvera les réponses à toutes les questions qu’il se pose, notamment « comment se fait-il que Daech ait réussi en trois ans à réaliser ce qu’Al-Qaïda n’a pas réussi à faire en presque vingt ans ? » ou encore « Comment se fait-il que Daesh n’ait jamais utilisé le slogan ’Libération de la Palestine’ comme le font la plupart des organisations djihadistes, même pour le spectacle ? ».  [27]

Face aux tentatives révisionnistes enrobées de concessions ou qui avancent sous couvert de hauteur et d’objectivité, il est compliqué, extrêmement chronophage et énergivore pour l’observateur attentif des évènements en Syrie de lutter. Sur ce sujet nous ne ferons que citer longuement Catherine Coquio, professeure de littérature à l’université Paris-Diderot et membre du comité Syrie-Europe qui, sur l’idée de « parts égales » dans le conflit syrien, écrit sur les réseaux sociaux : « Ces mots sont eux-mêmes empoisonnés. Quelque chose se joue en ce moment parallèlement au crime en train de se dérouler. Le noeud du négationnisme est en train de se resserrer, et de s’installer pour longtemps dans la violence verbale en cherchant des appuis et relais institutionnels. (…) Une grosse machine s’est mise en marche et on ne va pas s’en sortir de si tôt. Préservons nos forces. Le négationnisme c’est la demande de preuve à l’infini et sa disqualification immédiate, la discussion infinie sur les chiffres et les sources sous condition d’un désintérêt absolu pour la réalité des faits. Un pur jeu de discours où s’embourbe celui qui croit qu’il suffira de prouver et de témoigner de bonne foi. Cette demande de preuve est perverse, comme son énergie folle, il ne faut pas engouffrer nos forces là dedans ni ratiociner avec eux. Faisons tout pour que d’un côté le travail juridique et une véritable enquête aient lieu un jour, ce qui suppose certes de garder trace, et de l’autre et surtout, que la destruction effective soit inscrite quelque part dans les mots, dans les âmes, que sa signification trouve une place pour se dire et que le monde en prenne pleinement acte. Et surtout, que le sens d’une révolution initiale à laquelle avaient travaillé des gens et des esprits magnifiques, héritage qui reste et restera d’un grand prix pour nous tous, ne soit pas effacé. Le discours qui dit ’équilibre des torts’ et ’balance des crimes’ quand un crime de masse est perpétré contre une population civile, ne fait rien d’autre que prolonger le crime et exterminer les survivants dans l’âme, ce qui suppose de débarrasser le monde de ce lourd fardeau d’un réel trop embarrassant pour poursuivre le cours de l’histoire.(…) Amis syriens, ne répondez pas aux demandes de preuve qui sont une machine à rendre l’autre fou. Ce n’est pas aux victimes de prouver qu’on les extermine. Battons-nous politiquement ensemble et protégeons nos âmes à chacun. Arrêtons de crier notre honte ou de la nier. Nous ne sommes pas les criminels. (…) Et on vient nous parler de ’conflit syrien’, de ’belligérants’ renvoyés dos à dos, comme aux plus beaux jours du négationnisme sur la Bosnie et le Rwanda. Ceux qui disent ’douter’ devant les films de maisons bombardées et d’enfants hurlant, devant les photos d’enfants écrasés par des bombes barils, devant les témoignages hallucinants de médecins qui arrivent chaque jour, aggravent les effets de la négation, sans parfois s’en rendre bien compte. Ceux qui orchestrent la négation comptent bien que notre doute, notre dégoût et notre effroi retourné en refus de voir, viendront grossir les effets de leur discours. Ceux qui parlent de parts égales ont perdu conscience ou leur conscience, lorsqu’ils ne sont pas des trolls payés par qui de droit, car tout un petit monde travaille de par le monde et en toutes langues à effacer le crime détruire les faits et à néantiser leur sens. Il y aura des chaires universitaires achetées, des diffamations publiques, des provocations, des organes de publication spécialisés, etc. Et si une vérité s’impose, ce ne sera jamais gagné, comme on le voit en Pologne. Lire ’ Vérité et politique’ de Hannah Arendt. Aucun régime politique n’est capable de produire ni abriter une vérité de fait, y compris la démocratie. Cela ne fait que commencer. Cherchons la vérité mais surtout défendons nos âmes. »

L’ancien commissaire Darquier de Pellepoix osait avancer qu’à Auschwitz on n’a gazé que des poux, chevauchant l’hyper-criticisme de Robert Faurisson qu’a si justement déconstruit Pierre Vidal-Naquet dans Les Assassins de la mémoire. La rhétorique de M. el Khal, qui se situe dans le registre du premier pas vers le négationnisme – équivalence entre victimes et bourreaux – aboutira un jour à une ignominie semblable sur la Ghouta ou Alep si l’on n’y prend pas garde.

Les auteurs remercient tous les invisibles qui ont relu, corrigé, commenté et amélioré ce texte.

[14Notons que sur le site de Le Média, la directrice Sophia Chikirou s’est fendue d’un « post » pour soutenir les allégations de M. El Khal : https://www.lemediatv.fr/articles/syrie-claude-el-khal-raison

 

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