Maroc : jusqu’à 20 ans de prison pour les meneurs du Hirak, le mouvement de contestation rifain

Ils ont été arrêtés pour avoir pris part aux manifestations du Rif, cette région pauvre, depuis 2016. 53 prévenus ont été condamnés à de lourdes peines allant jusqu’à 20 ans de prison, un verdict qui a provoqué la consternation.

Les 53 meneurs du Hirak, le mouvement de contestation sociale qui a agité le Maroc en 2016 et 2017, ont été condamnés le 26 juin au soir à Casablanca à des peines allant jusqu’à 20 ans de prison – la sanction la plus dure ayant été notamment prononcée contre leur leader Nasser Zefzafi. Neuf mois de procès ont été nécessaires, mais la sévérité des peines prononcées par la chambre criminelle de la cour d’appel de Casablanca n’est pas de nature à apaiser la grogne qui agite le Rif depuis deux ans.

«Atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat», «tentatives de sabotage, de meurtre et de pillage», «réception de fonds, de donations et d’autres moyens matériels destinés à mener et à financer une activité de propagande à même d’attenter à l’unité et la souveraineté du Royaume» : les chefs d’inculpation ne rendent pas réellement compte des faits reprochés aux prévenus. Ceux-ci ont en effet été sommés de se justifier pour des publications sur leur page Facebook, notamment de photos sur lesquelles ils portaient des drapeaux rifains, ou pour avoir reçu des sommes d’argent de leurs proches à l’étranger.

Les verdicts ont donc été accueillis par des cris de désespoir des proches et des familles tandis que les prévenus avaient boycotté les audiences ces derniers jours. Le leader charismatique du mouvement Hirak, Nasser Zefzafi, et trois autres autres meneurs, Nabil Ahmjiq, Ouassim Boustati et Samir Ighid, ont écopé des plus lourdes peines, pour «complot visant à porter atteinte à la sécurité de l’Etat» – un chef d’accusation passible selon les textes de la peine de mort.

D’autres individus ont été condamnés à un an de prison et 5 000 dirhams (environ 450 euros) d’amende pour avoir participé aux manifestations ou avoir insulté des agents de police.

Le journaliste Hamid El Mahdaoui, directeur de publication du site Badil.info, sera jugé à part le 28 juin. Il est accusé d’avoir dissimulé des informations dangereuses portant atteinte à la sûreté de l’Etat – des faits qu’il conteste. La justice l’accuse de n’avoir pas averti les autorités après avoir reçu des appels téléphoniques de la part d’un homme qui lui aurait affirmé avoir l’intention d’acheter des armes et de les envoyer au Maroc pour déclencher une guerre dans le Rif. Son fils était présent lors du procès du 27 juin avec une pancarte, devant le tribunal.

Les avocats, qui ont refusé de plaider par solidarité avec la protestation des prévenus contre la «partialité de la justice», ont l’intention de faire appel après concertation avec leurs clients. Amnesty International avait appelé en novembre 2017 à la libération immédiate de tous les prévenus du Rif, sans résultat.

Nasser Zefzafi, le leader de la fronde

Le chef de file de la contestation dans le Rif, Nasser Zefzafi, était en 2016 un simple militant qui postait des vidéos sur YouTube, vite devenu leader du mouvement de contestation Hirak chaabi, «la mouvance populaire». Durant les protestations dans la ville d’Al-Hoceïma dont il s’était fait le porte-voix sur les réseaux sociaux, Nasser Zefzafi avait dénoncé sans relâche la «dictature», «la corruption» ou encore la «répression» de «l’Etat policier». Qualifiant les partis politiques de «pions», il fustigeait les «responsables envoyés de Rabat» qu’il trouvait «soit incompétents soit racistes». Mais il n’a jamais cessé d’affirmer la volonté pacifiste de son mouvement.

Se décrivant comme «un simple Rifain d’origine modeste, qui souffre de la politique d’abandon de l’Etat», il avait endossé le costume de meneur par la force des choses. Il n’avait jamais cessé ses diatribes contre le pouvoir, osant défier le souverain : «Le roi n’est pas sacré. On lui doit le respect mais il peut et doit être critiqué.» Le contestataire appelait le roi à prendre en considération le Rif, région pauvre frappée par un fort taux de chômage et laissée pour compte sur le plan économique. Accusé d’intransigeance par ses détracteurs, le militant avait toutefois réussi à gagner une certaine popularité, par son langage simple et ses accusations qui faisaient mouche.

L’homme clé du soulèvement s’est fait arrêter le 29 mai 2017 après avoir proféré des insultes envers un imam hostile à son mouvement dans une mosquée d’Al-Hoceïma. Des manifestations monstres s’en étaient suivies.

Alors qu’un dossier était instruit contre lui pour avoir organisé une fronde avec des séparatistes, il a fustigé lors des audiences «un procès politique», des «accusations vides» et des «falsifications de preuves». Son avocate a dénoncé ses conditions de détention, l’homme étant placé à l’isolement. Nasser Zefzafi a dit avoir été victime de tortures, des accusations aussitôt rejetées par le procureur.

Les réseaux sociaux blâment une dérive autoritaire du pouvoir

Sur Twitter, des militants des droits de l’homme, dont de nombreux Rifains, ont déploré la sévérité des verdicts et manifesté leur colère et leur tristesse. Certains critiquent un déni de démocratie et un infléchissement autoritaire du Royaume.

 

 

Le Rif, une région à l’histoire accidentée, une longue tradition de soulèvement

La mort d’un vendeur de poissons, broyé dans une benne à ordure en octobre 2016, avait déclenché le soulèvement populaire de cette région enclavée le long de la côte méditerranéenne. Les protestations avaient fait plus de 600 blessés parmi les forces de l’ordre et auraient engendré 7 millions de dirhams de dégâts matériels (environ 630 000 euros), selon les parties civiles.

L’éruption d’une protestation violente dans le Rif n’était pourtant pas une surprise au vu de son histoire. Au début des années 1920, la tension monte face à l’occupation espagnole à tel point qu’un meneur d’hommes, Abdelkrim El Khattabi, retourne 3 000 soldats rifains conte la puissance coloniale. 16 000 militaires espagnols sont tués et la victoire indépendantiste est consacrée en 1921, donnant lieu à la proclamation de la République confédérée des Tribus du Rif. Les troupes du maréchal Pétain reprennent progressivement le territoire jusqu’à la reddition en 1926.

La région se soulève de nouveau en 1958 contre l’enclavement et sa mise à l’écart des institutions. Le nouveau roi Hassan II réprime dans le sang cette révolte : 3 000 morts sont à déplorer. En 1984, la révolte des étudiants, face notamment aux hausses des prix, se solde par une mise au ban du Rif ordonnée par Hassan II : la région est exclue de tous les projets étatiques.

A partir de 1996, le roi du Maroc tente une réconciliation avec la région isolée, mais la situation économique y demeure extrêmement précaire. En effet, le taux de chômage, avoisinant les 14%, est largement supérieur à la moyenne du pays (autour de 9%) et les autorités marocaines affichent régulièrement une certaine indifférence teintée de mépris pour cette région. A titre d’exemple après le séisme de 2004, qui avait fait 600 morts et plus 15 000 sans abris, les secours étaient intervenus avec beaucoup de retard, ravivant encore davantage un sentiment de délaissement déjà exacerbé parmi la population.

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