Réponse de Peter Dale Scott à l’article de Marianne sur le concept « d’Etat profond »

J’ai été récemment dénigré sur Marianne, et les accusations portent gravement atteinte à mon honneur ainsi qu’à ma réputation. Je suis donc tenu d’exercer mon droit de réponse. En effet, selon Marianne, « le concept [d’État profond] séduit aussi les conspirationnistes et plus particulièrement l’auteur canadien Peter Dale Scott » – une affirmation qui ne peut que me discréditer. M’assimilant à tort à l’extrême droite, votre magazine rappelle ensuite qu’un ancien conseiller de Marine Le Pen avait évoqué mes travaux lors d’une interview. Homme de gauche et défenseur de la non-violence, j’ai œuvré pendant des décennies pour diffuser les idées humanistes de Jürgen Habermas, d’Hannah Arendt, de Mario Savio ou de Czesław Miłosz. Au demeurant, je peine à comprendre comment l’on peut me reprocher le fait qu’un géopoliticien – qui a depuis rompu avec le FN et que je ne connais pas personnellement –, ait apprécié mes écrits.

Marianne m’attribue ensuite une définition de l’État profond qui n’est pas la mienne, expliquant que je porterais « la vision, beaucoup plus complotiste, “d’un État dans l’État” », une notion que je critique pourtant dans mon dernier livre. J’ai donc demandé à mon éditeur de publier le second chapitre de cet ouvrage paru en 2015. J’espère que cette démarche contribuera à enrichir le débat sur cette question, et qu’elle prouvera à vos lecteurs que j’écris non pas des divagations complotistes, mais des analyses rigoureuses et solidement documentées. D’ailleurs, puisque ma crédibilité est mise en cause, je me dois de rappeler que de nombreux experts ont mis en avant la qualité de mes recherches.

En effet, mon livre La Route vers le nouveau désordre mondial a été vivement recommandé par le général d’armée Bernard Norlain, qui l’a recensé en 2011 alors qu’il dirigeait la prestigieuse Revue Défense Nationale. Au vu de sa carrière, nul ne peut soupçonner ce général 5 étoiles d’être un « conspirationniste », bien au contraire. À la suite de cette recension, mon ouvrage a été conseillé par le général Alain Lamballe (Le Milieu des Empires), et par l’École militaire spéciale de Saint-Cyr. Ce livre est également disponible à la bibliothèque de Sciences Po Paris, un institut où j’ai étudié en 1950, et il a été recommandé par le géopoliticien Jean-Marie Collin – qui vient d’ailleurs de remporter un prix Nobel de la paix à titre collectif pour son travail au sein du réseau ICAN. Ce livre a aussi été recensé positivement dans le magazine Diplomatie, et il a fait l’objet d’une critique élogieuse de la part de Jean-Loup Feltz dans la revue Afrique contemporaine, qui dépend de l’Agence Française de Développement. Ayant recommandé mes travaux, ces experts sont-ils, eux aussi, des « conspirationnistes » ? On peut légitimement en douter.

Intitulé La Machine de guerre américaine et publié en 2012, mon second ouvrage traduit en français a connu le même succès chez les spécialistes. En effet, le général Norlain l’a vivement conseillé dans la Revue Défense Nationale, puis le lieutenant-colonel et historien Rémy Porte l’a recensé positivement. Ce livre fut également recommandé par Daniel Ellsberg – le précurseur des lanceurs d’alerte actuels –, et L’Humanité l’a chroniqué favorablement, à l’instar du magazine Diplomatie qui l’a mis en avant à l’occasion d’une nouvelle interview. Comme le précédent et le suivant, ce livre est disponible à la bibliothèque de Sciences Po Paris. Par ailleurs, ma conception de l’État profond explicitée dans cet ouvrage a été reprise par le commissaire divisionnaire, ex-officier de la DST et criminologue Jean-François Gayraud. Ainsi, réduire ma vision du système de l’État profond à une « nouvelle marotte du FN soufflée par Trump » me semble un peu léger.

Dernier livre de la trilogie, L’État profond américain résume, selon Daniel Ellsberg, « plus de quatre décennies de recherches », qualifiant cette analyse de « méticuleuse, brillante et magistrale. » Ancien spécialiste au Pentagone et à la RAND Corporation, M. Ellsberg est décrit comme un pionnier par Edward Snowden et d’autres lanceurs d’alerte. Soulignons également que mon livre a été recommandé dans le numéro 100 de la Revue Internationale et Stratégique de l’IRIS, qui nous en offre un pertinent résumé. Il a également été conseillé dans Paris Match par le grand reporter François de Labarre, qui a jugé mon ouvrage suffisamment crédible pour le recenser favorablement en tant que « livre de la semaine ». Vous en conviendrez, les experts, auteurs, journalistes, magazines, revues et journaux précités ne sont aucunement « conspirationnistes ». J’espère donc que ma réponse permettra de laver mon honneur, et de clarifier utilement ma définition de l’État profond. Bien entendu, libre à quiconque de la critiquer, mais je préfèrerais qu’on le fasse après l’avoir étudiée sérieusement, sans m’associer à des idées extrémistes que je combats depuis des décennies.

 

via Réponse de Peter Dale Scott à notre article sur le concept « d’Etat profond » | Marianne

Vu sur http://chouard.org/blog/2018/01/14/pretendu-complotisme-de-nos-meilleurs-lanceurs-dalerte-reponse-de-peter-dale-scott-a-larticle-de-marianne-sur-le-concept-detat-profond/


L’article en question :

​Découvrez le concept « d’Etat profond », nouvelle marotte du FN soufflée par Trump

Selon un conseiller de Marine Le Pen cité par « Le Point », le FN veut remplacer ses attaques contre le “système” par le concept “d’Etat profond”, emprunté aux Etats-Unis et plus particulièrement à Trump. Mais c’est quoi, « l’Etat profond » ? Explications.

Le FN en aurait fini avec « le système« . En plein travail de refondation, il restructure ses éléments de langage. Le conseiller FN de Marine Le Pen, Jérôme Rivière, a ainsi assuré, selon un indiscret de l’hebdomadaire Le Point du 20 décembre dernier, que le parti s’était arrêté sur l’expression “Etat profond” emprunté au terme américain “Deep State”. Très populaire depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir, il décrit un Etat dans l’Etat qui allierait des élites de tout bord au service d’une même cause : préserver le système. Mais d’où vient l’Etat profond ? Que signifie cette arrivée soudaine dans le vocabulaire du FN ?

Un concept venu de Turquie

On doit ce concept d’Etat profond à un scandale ayant éclaté en 1996 en Turquie. A l’époque, l’affaire de Susurluk agite les sommets de l’Etat. Un accident de voiture révèle les relations étroites liant mafia d’extrême droite, politiques et police du pays. Naît alors ce concept d’Etat profond, qui désigne les organisations qui influenceraient dans l’ombre le gouvernement d’un pays. « Il s’agit d’une idée vieille comme le monde, mais qui n’a été nommée que récemment« , explique à Marianne Pierre Guerlain, Professeur émérite de civilisation américaine à l’Université Paris Ouest Nanterre. « Le deep State renvoie au fait que la démocratie – dans les pays qui s’affichent comme tels- est souvent pervertie par des forces qui ne sont pas élues. En France par exemple, l’expression ‘visiteurs du soir’ recoupe l’idée de personnes qui iraient à l’Elysée pour faire pression sur le Président, sans que ces influences ne soient connues du public. » Aux Etats-Unis, il est en partie théorisé par l’ancien représentant républicain Mike Lofgren dans son essai Deep State, publié en 2016. L’Etat profond est alors utilisé pour décrire les éventuels pouvoirs qui influent sur la législation américaine, comme les lobbys.

Mais le concept séduit aussi les conspirationnistes et plus particulièrement l’auteur canadien Peter Dale Scott. C’est inspiré par ses travaux que, dès le début des années 2010, Aymeric Chauprade, alors conseiller de Marine Le Pen, l’évoque dans une vidéo repérée par le site Conspiracy Watch, et désormais inaccessible. Le futur député européen y évoque alors un 11 septembre provoqué par “l’Etat profond” américain. Le terme est donc ambivalent, utilisé autant pour servir de métaphore – un peu grandiloquente – de l’influence de lobbys sur l’Etat que pour la vision, beaucoup plus complotiste, « d’un Etat dans l’Etat ». “Le ‘deep state’ est ambivalent, relève Pierre Guerlain. Le concept peut-être employé de façon métaphorique pour parler des forces non-démocratiques qui s’exercent éventuellement sur les élus, mais aussi de manière paranoïaque auprès de forces qui affirmeraient qu’elles en sont les victimes’.

Un hold-up sémantique et idéologique

L’utilisation de l’élément de langage de “l’Etat profond” renverrait donc à une utilisation victimaire du concept. « Dans le cas du FN, c’est un hold-up sémantique et idéologique« , note Pierre Guerlain. Un jeu idéologique déjà utilisé par Donald Trump Outre-Atlantique, et qui est probablement la source d’inspiration du Front national. Si le Président américain et ses soutiens utilisent le terme “Etat profond”, c’est parce qu’ils sont acculés : Trump « utilise une rhétorique de candidat comme s’il l’était toujours en campagne et non pas comme quelqu’un qui assume le pouvoir », analyse Pierre Guerlain. Historiquement bas dans les sondages, en lutte contre les médias et ses propres services, Trump mène une guérilla digne d’un outsider. « Pour mener cette guerre idéologique il reprend le vocabulaire de gens qui sont normalement dans l’opposition et qui s’estiment marginalisés. C’est la campagne permanente pour Trump et il estime que le seul argument de poids qu’il ait dans le système américain est un pouvoir de nuisance. »

Une sorte de diversion, qui serait utilisée par un FN visé par la justice, et surtout en pleine reconstruction après le dernier débat de l’entre-deux-tours à la présidentielle : « En utilisant le terme “Etat profond”, le FN va se placer en victime du concept qu’ils agitent. » Un tour de passe-passe donc pour remplacer “système” par “Etat profond » et utiliser une rhétorique identique : celle du seul contre tous.

Mais pour Pierre Guerlain, ce qu’il décrit comme « un hold up sémantique » aura des conséquences au-delà de l’emploi d’un simple élément de langage par le Front national. « Dès qu’un mouvement d’extrême droite adopte une expression, le reste de la classe politique va essayer de ne plus employer le terme et s’en distinguer. » Il regrette cette opprobre jetée sur le concept d’Etat profond : « Ce qui est important dans l’utilisation du concept par le FN, c’est l’effet de confusion que cette dernière va entraîner, alors qu’il y a effectivement des forces qui ne se présentent pas toujours dans l’espace public et exercent de l’influence sur les gens qui ont le pouvoir politique. »

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