Surestimé, biaisé : pourquoi le taux de positivité est un indicateur bancal

La méthode de calcul de Santé publique France conduit à gonfler le taux de positivité. Un biais qui s’accroit de semaine en semaine en interdit les comparaisons régionales.

Question posée sur le 04/10/2020

Bonjour,

Vous nous interrogez sur un billet de blog publié par un dénommé Enzo Lolo sur Mediapart, dans lequel on peut lire que le taux de positivité des tests par RT-PCR est surestimé. «La méthode de calcul du taux de positivité au Covid-19, tel qu’il est communiqué chaque jour par Santé publique France, présente un biais, qui conduit à sa surestimation. Et cette surestimation elle-même augmente avec le temps», explique-t-il. Depuis la reprise de l’épidémie, cet été, le taux de positivité est scruté notamment à Marseille et a pu servir le discours des autorités pour justifier des mesures sanitaires. Or comme le relève à juste titre le blogueur de Mediapart, cet indicateur est en réalité biaisé : parce que sa méthode de calcul conduit à un taux surestimé, et parce que ce biais, avec le temps, va croissant. Ajoutons que la comparaison des taux de positivité entre les différentes régions peut-être trompeuses. Bref, cet indicateur est en réalité à prendre avec des pincettes.

Décalage

Le taux de positivité est censé mesurer chaque jour la proportion de personnes positives par rapport au nombre total de personnes testées, depuis la mi-mai. Cet indicateur est donc calculé à partir du nombre de personnes positives et du nombre total de personnes testées négatives ou positives (à l’exclusion, donc, des tests au résultat indéterminé), nous indique Santé publique France.

Quel est le problème selon Enzo Lolo ? En réalité, toutes les personnes testées ne sont pas prises en compte dans les remontées de Santé publique France. Comme nous l’expliquions dans une réponse précédente, un patient qui aura effectué un dépistage négatif ne sera pas comptabilisé parmi les «personnes testées» s’il a déjà eu, même trois mois auparavant, un premier test négatif. Or ce cas de figure concerne de plus en plus de gens.

On observe ce décalage lorsqu’on compare le nombre de tests réalisés par semaine et le nombre de personnes testées. Sur la dernière semaine (du 21 au 27 septembre), Santé publique France recense 934 517 «personnes testées» pour 1 178 937 tests réalisés. Le taux de re-test était donc de 20,7%. Or cela impacte directement le calcul du taux de positivité, avec pour effet de surestimer le taux de positivité. Comme le remarque Enzo Lolo, en écartant les personnes qui ont un deuxième (ou troisième, quatrième…) test négatif, il sous-estime le nombre de résultats négatifs.

Prenons un exemple : 100 personnes sont testées une semaine donnée. Dix personnes sont positives, les 90 autres sont négatives. D’où un taux, pourrait-on imaginer, de 10%. Mais imaginons que 15% des personnes testées négatives avaient déjà subi un test négatif il y a deux mois. Ils sont sortis du calcul, selon la méthodologie de Santé publique France. Le taux de positivité sera donc calculé en prenant en compte 10 positifs… et seulement 76,5 négatifs. De 10%, le taux de positivité bondit à 11,6%. Soit une surestimation d’un point et demi.

Contactée, Santé publique France reconnaît que le taux donné par ses services «s’écarte d’un taux de positivité qui serait calculé en décomptant le nombre de personnes positives et le nombre de personnes testées sur une période de temps donnée». Les services de l’agence de santé publique explique être «bien conscients des difficultés d’interprétation qui accompagnent aujourd’hui cette définition, et [travaillent] à une solution permettant de présenter un taux de positivité plus simple à interpréter». Et de reconnaître que «l’écart devrait par ailleurs être amené à augmenter au cours du temps avec l’augmentation du nombre de personnes qui font plusieurs tests».

Une surévaluation qui s’accroît

L’agence pointe ici le deuxième problème : plus le temps passe, plus le taux de positivité va être surestimé, car le nombre de re-test sur le volume total des tests effectués augmente. Logique : plus les gens sont testés, plus il y a de chance que les tests portent sur des personnes ayant déjà été dépistées…

Voilà les deux courbes qui permettent de mesurer le problème, et sa progression : en rouge, le nombre de tests réalisés par semaine, en gris le nombre de personnes dépistées selon Santé publique France (qui est donc inférieur). L’écart en pourcentage entre les «personnes testées» retenue par Santé publique France et le nombre réel de personnes testées augmente.

Non seulement le taux de positivité présente un décalage avec la réalité en valeur absolue, mais ce décalage grandit, ce qui biaise donc la lecture dynamique de l’indicateur.

Reprenons notre exemple : 100 personnes se font tester une semaine donnée. Dix sont testées positives, 90% sont testées négatives. Mais 15% des tests négatifs ont déjà été testés auparavant. Le taux de positivité retenue par Santé publique France est donc de 11,6%.

Un mois plus tard, les résultats sont strictement les mêmes, mais le nombre de personnes négatives s’étant déjà fait tester est passé à 20%. Le taux de positivité retenu par Santé publique France sera de 12,2%. En hausse de plus d’un demi point. Alors même qu’il n’y a aucun cas positif de plus.

Comparaisons régionales biaisées

Ce problème de méthode a aussi une répercussion sur les comparaisons des taux de positivité entre les territoires. Car, parmi les cohortes de personnes se faisant dépister chaque jour, le pourcentage de personnes déjà testées varie, parfois largement, selon les départements. Ce qui amène donc à avoir des taux de positivité officiels qui sont davantage surestimés dans certains départements, par rapport à d’autre. D’où des comparaisons qui peuvent être trompeuses.

Ce phénomène a notamment pu être observé dans les Bouches-du-Rhône. En semaine 39 (derniers chiffres hebdomadaires disponibles), l’écart entre le nombre de personnes testées (selon la méthodologie de SPF) et le nombre de tests pratiqués y est nettement plus important (près de 35%) qu’à Paris (23%) ou dans le Nord (18%).

Pour calculer, un «taux rectifié», Enzo Lolo propose de prendre en compte le nombre de «tests réalisés» et non le nombre de «personnes testées». «A mi-septembre, on observe déjà plus de 1 point de différence entre les deux, c’est-à-dire 20% de surestimation du taux communiqué par rapport au taux que l’on cherche à connaître», estime-t-il.

Les écarts entre le taux donné par SPF et le «taux rectifié» proposé par le blogueur sont plus importants dans certains départements. Dans les Bouches-du-Rhône où cet indicateur a été particulièrement scruté, la distorsion est frappante comme le souligne Enzo Lolo. Il atteint 53% en semaine 39, fin septembre, comme on peut le voir dans le graphique ci-dessous.

Attention toutefois : la méthode de calcul d’un «taux rectifié» proposée par le blogueur n’est pas non plus totalement satisfaisante puisqu’elle ne permet pas d’éviter les doublons sur de courtes périodes. Elle prendrait par exemple plusieurs fois en compte des personnes négatives puis positives (dans le cas de suivi de personnes contacts par exemple), ce qui amènerait cette fois à minorer le taux de positivité (même si ces cas de figure sont probablement très marginaux). En bref, le taux de positivité exact des tests par RT-PCR est pour l’heure inconnu. Ce qui est sûr, c’est que les données officielles s’en éloignent jour après jour.

Edit 13 octobre 2020 : correction d’un calcul de pourcentage utilisé lors de la démonstration.

Source : Libération

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