[16-07 Rafle du Vel d’Hiv] À tous : laissez “la France” tranquille…

Nous avons évoqué dans ce billet le crime administratif qu’a représenté la Rafle du Vel d’Hiv, et dans ce billet des témoignages de victimes.

Il est bien triste que cet évènement dramatique – symbole de la Shoah en France – soit parfois instrumentalisé, ce qui aboutit à diviser bien inutilement les Français.

Les présidents de la République Charles de Gaulle et François Mitterrand ont pris publiquement comme position que la France et la République ne devaient pas être confondues avec le régime de Vichy.

François Mitterrand a été le premier président à se rendre aux commémorations de la rafle, en 1992. Mais à l’époque, il estime toujours que la République n’est “pas comptable des actes de Vichy”. “L’État français, si j’ose dire, ça n’existe pas, il y a la République. Ne lui demandez pas de comptes, à cette République, elle a fait ce qu’elle devait. En 1940, l’État français, c’était le régime de Vichy, ce n’était pas la République“.

Le 16 juillet 1995, le président Jacques Chirac rompt avec la position de ses prédécesseurs et reconnaît devant le monument commémoratif la responsabilité de l’« État français » dans la rafle et dans la Shoah, ainsi que celle de la France qui a alors « accompli l’irréparable ». Il a notamment déclaré :

« Ces heures noires souillent à jamais notre histoire et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’État français.
Il y a cinquante-trois ans, le 16 juillet 1942, 450 [sic] policiers et gendarmes français, sous l’autorité de leurs chefs, répondaient aux exigences des nazis.
Ce jour-là, dans la capitale et en région parisienne, près de dix mille hommes, femmes et enfants juifs furent arrêtés à leur domicile, au petit matin, et rassemblés dans les commissariats de police.
[…] La France, patrie des Lumières et des Droits de l’Homme, terre d’accueil et d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux. »

Le 22 juillet 2012, lors de la commémoration du 70e anniversaire de la rafle, le président de la République François Hollande déclare que « Ce crime fut commis en France, par la France » et que ce crime « fut aussi un crime contre la France, une trahison de ses valeurs. Ces mêmes valeurs que la Résistance, la France libre, les Justes surent incarner dans l’honneur. ».

Ce discours, comme celui de Chirac, soulève la polémique, de la part de l’historien Alain Michel considérant qu’il est entaché d’erreurs historiques et de celle de personnalités politiques comme Henri Guaino ou Jean-Pierre Chevènement.

Le 9 avril 2017, c’est Marine Le Pen, candidate à la présidence de la République qui déclare penser que la France « n’est pas responsable du Vél’ d’Hiv ». « Je pense que de manière générale, plus généralement d’ailleurs, s’il y a des responsables, c’est ceux qui étaient au pouvoir à l’époque, ce n’est pas LA France. Ce n’est pas LA France ». «Je condamne le régime collaborationniste de Vichy, et ma position vise d’ailleurs à ne lui donner aucune forme de légitimité»

À l’occasion de la célébration du 75e anniversaire de la rafle, le 16 juillet 2017, le président de la République, Emmanuel Macron, — dans la ligne de ses prédécesseurs depuis Jacques Chirac — a réaffirmé la responsabilité de la France : “Oui, je le redis ici, c’est bien la France qui organisa la rafle puis la déportation et donc, pour presque tous, la mort des 13 152 personnes de confession juive arrachées les 16 et 17 juillet à leur domicile.”

Du coup, de tels propos déclenchent ce genre de polémiques :

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Hélas, “la France”, c’était à la fois Lazare Pytkowicz (merci à Régis de Castelnau de m’avoir donné l’idée de ce billet sur lui :)) ET Pétain, Laval, Bousquet. Et il faut faire avec ça…

Je dirais simplement pour ma part que “La France”, ne fait jamais rien, car c’est un concept ; il n’y a que des Français. Et les gouvernements cachent souvent derrière ce concept leurs propres crimes.

Au delà des débats juridiques (car on sent bien qu’en l’espèce, l’objet de la polémique n’est pas une subtilité constitutionnelle…), on ne peut donc arriver à rien en voulant utiliser ce concept de “France”, pour l’accabler ou la blanchir. Si “La France” était à Vichy, alors qui était à Londres ? Et vice-versa.

Et en 1942 :

  • il y avait des Français résistants : ils étaient à Londres, Brazzaville ou dans des maquis – et ils étaient peu nombreux ;
  • il y avait des Français collaborationnistes : ils étaient à Vichy avec l’État français, Alger ou dans des milices – et ils étaient peu nombreux ;
  • il y avait la police, qui obéissait ;
  • et il y avait la presque totalité des Français qui étaient chez eux, et ne faisait rien pour infléchir le cours de l’Histoire…

Comme l’a dit l’Historien Alain Michel, spécialiste de la Shoah :

“Je pense que ce qui caractérise cette période, c’est avant tout l’indifférence totale des Français. Les gens n’avaient rien à faire du sort des juifs, cela ne les dérangeait pas trop, parce qu’il existait une ambiance antisémite en France et en Europe depuis les années 1930 environ.” (Source)

 

En 2017, on devrait se rassembler, apprendre lucidement l’Histoire et ses complexités, et bien connaitre cette période sombre.

Et ce, comme pour la colonisation, sans chercher je ne sais quelle “repentance”, mais surtout pour bien se rendre compte de la fréquence et de l’étendue des crimes de nos gouvernements passés (on parlera bientôt un peu du Rwanda, vous verrez, c’est édifiant), pour bien comprendre qui en a généralement profité (#Ploutocratie) et, surtout, pour mieux contrôler nôtre gouvernement actuel, pour éviter que de nouveaux crimes surviennent…

Bravo au grand Juan Branco

Paris, novembre 1942
Contenu de la lettre du 23 août de Monseigneur Saliège (archevêque de Toulouse) sur la personne humaine
Mes très chers Frères,
Il y a une morale chrétienne, il y a une morale humaine qui impose des devoirs et reconnaît des droits. Ces devoirs et ces droits, tiennent à la nature de l’homme. Ils viennent de Dieu. On peut les violer. Il n’est au pouvoir d’aucun mortel de les supprimer.
Que des enfants, des femmes, des hommes, des pères et des mères soient traités comme un vil troupeau, que les membres d’une même famille soient séparés les uns des autres et embarqués pour une destination inconnue, il était réservé à notre temps de voir ce triste spectacle.
Pourquoi le droit d’asile dans nos églises n’existe-t-il plus ?
Pourquoi sommes-nous des vaincus ?
Seigneur ayez pitié de nous.
Notre-Dame, priez pour la France.
Dans notre diocèse, des scènes d’épouvante ont eu lieu dans les camps de Noé et de Récébédou. Les Juifs sont des hommes, les Juives sont des femmes. Tout n’est pas permis contre eux, contre ces hommes, contre ces femmes, contre ces pères et mères de famille. Ils font partie du genre humain. Ils sont nos Frères comme tant d’autres. Un chrétien ne peut l’oublier.
France, patrie bien aimée France qui porte dans la conscience de tous tes enfants la tradition du respect de la personne humaine. France chevaleresque et généreuse, je n’en doute pas, tu n’es pas responsable de ces horreurs.
Recevez mes chers Frères, l’assurance de mon respectueux dévouement.
Jules-Géraud Saliège
Archevêque de Toulouse
23 août 1942
A lire dimanche prochain, sans commentaire.

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Épilogue

On rappellera qu’Emmanuel Macron a choisi de prononcer ces mots devant Benjamin Netanyahu, dont le Ministre de la Défense Lieberman a déclaré en décembre 2016 dans l’indifférence générale que nous avions relevée ici :

lib

Lieberman a également profité de l’occasion pour exhorter la communauté juive de la France à déménager en Israël. « Ce sera peut-être aussi le moment pour dire aux Juifs français : “Ce n’est pas votre pays, ce n’est pas votre terre. Quittez la France et venez en Israël !” C’est la seule réponse à ce complot. C’est ce que c’est – un complot, pas une initiative [de paix]. Avec toutes les difficultés que cela entraîne, si vous voulez rester juif et vous assurer que vos enfants et petits-enfants restent juifs, quittez la France et faites votre Aliyah en Israël. »

Benjamin Netanyahu, fils d’historien, qui a déclaré en octobre 2015 de façon délirante qu’Hitler ne voulait pas exterminer les Juifs, mais que cela lui a été soufflé par les Arabes (lire cet article du Point) :

Bref, c’est ce Benjamin Netanyahu que Macron vient d’appeler ce jour “Cher Bibi”. N’est-pas De Gaulle qui veut…

Cette polémique Netanyahu a entrainé pas mal de réactions :

Je vous renvoie à cet édifiant article de France 24 dont la profondeur d’analyse est exemplaire de l’époque :

Moi, je suis bête, je pensais que le “pays des Juifs” (français) était la France… #LePoidsDesMots

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