Adieu, Oksana

Hier, l’une des Femen, Oksana Chachko, a mis fin à ses jours. Peut-être pour expliquer son geste, elle avait laissé quelques mots en anglais, « You are all fake » (Vous êtes tous des faux).

 

Elle avait raison.

Elle était facilement repérable sur les photos des actions des Femen, Oksana, non seulement parce qu’elle était particulièrement jolie, mais à cause de son regard. Vide, comme si elle avait été doguée. Aux abonnés absents. Elle m’avait frappée à cause de ça : cette vacuité. J’avais immédiatement pensé à un traumatisme grave.

Selon un article de 2013 de la Pravda (aujourd’hui une publication privée sans rapport avec son ancêtre soviétique), « Les psychologues disent que les militantes Femen ont probablement subi des traumatismes psychologiques graves. Elles ne comprennent pas comment se réaliser dans la vie moderne, ce qu’il faut faire et comment vivre. Selon les psychologues, ce sont des problèmes de traumatismes, de réalisation de soi et de l’enfance qui encouragent les femmes à ces actions extrêmes et folles comme se déshabiller en public devant les caméras. »

Peut-être avait-elle été actrice de porno, l’expérience de nombre de Femen et une excellente raison pour elles de haïr les hommes, dont ce milieu ne connaît que l’aspect le plus sale, le plus sadique et prédateur. Peut-être était-ce autre chose, un autre traumatisme. Avait-elle été victime d’un viol ? De violences familiales ? De pédophilie ?

Renseignements pris, Oksana Chachko ne venait pas du porno, ne s’était pas non plus prostituée (avec le porno, un autre vivier majeur de syndromes de stress post-traumatique). Ce qui laisse la possibilité des autres atteintes, des choses dont elle n’a jamais parlé mais qui ont peut-être fini par la rattraper. Des choses dont elle ne pourra plus jamais parler.

« You are all fake »

Dans son milieu, à Oksana, on trouve ça très cool, la haine des hommes et du « patriarcat ». On ne se pose pas la question de ses motifs, on l’utilise. Ça épate le bourgeois, qui trouve ça follement audacieux, très « iconoclaste », presque héroïque. Alors, on promène la fille de pays en pays à mesure des besoins en « activisme » de ses sponsors, on la filme, on la photographie, on l’intitule « artiste », « battante », « guerrière », « sextrémiste » (sic), une « icône » (un comble pour une « iconoclaste », mais passons), et on lui verse un petit salaire pour ça. Ça lui permet de vivre, même si ce n’est pas très glorieux, et même si aucune fille « bien » – même dans les rangs de celles qui l’applaudissent – ne s’exhiberait de cette façon.

Nous autres public, nous sommes sommés de l’approuver, et elle de sourire face caméra, de lever le poing, de jouer son rôle de « rebelle ». Ça, Oksana s’en acquittait assez mal, avec son regard perdu qui trahissait… quoi ? Mais elle était belle, alors ça compensait. Sauf pour elle.

Dans son milieu, à Oksana, ce que la fille vit en réalité, son drame personnel éventuel, n’a aucune importance. L’intérêt qu’on lui porte est fake. L’admiration des hommes, même féministes, se porte bien plus sur son torse nu que ses idées et ne s’accompagne pas de la moindre préoccupation pour son histoire. C’est une admiration fake. Ses sponsors, n’en parlons même pas : ce sont des exploiteurs de malheur, à peine moins condamnables que des proxénètes et peut-être, s’ils savent ce qu’a subi la fille et qu’ils l’utilisent quand même, tout autant. Leur estime envers elle est fake : elle est payée, comme une prostituée, pour se mettre nue sur commande, exploser contre les adversaires politiques du jour, sourire aux photographes des magazines féminins et faire « le buzz », point. Ses détracteurs détestent ce qu’elle représente, la rébellion stipendiée, factice des groupes militants de type Femen, mais n’ont rien de particulier contre elle. Leur détestation envers elle est également fake.

En fait, rien ne s’adresse jamais à elle en tant que personne. Elle, on s’en moque. C’est juste un mannequin vociférant qui agace les uns et enthousiasme les autres – ou plus bassement, les excite – , une poupée au torse peinturluré sans âme, sans vie, sans histoire, un des symboles du néant, de l’artificialité et de la sexualité omniprésente de cette société.

Pardonne-nous, Oksana, de ne pas avoir su nous approcher de toi, de ne pas avoir compris, de n’avoir rien vu – ou pire, d’avoir vu comme moi, d’avoir parfaitement compris et de n’avoir rien dit, rien fait.

Pardonne-nous de t’avoir laissée seule avec la peine qui a fini par t’emporter.

Pardon, Oksana. Et s’il y a un Père éternel, alors rendez-vous là-haut. J’ai des excuses à t’y présenter.

Corinne Autey-Roussel pour Entelekheia

via Adieu, Oksana

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