[Affaire Skripal] Fake News à la Une

Retour sur l’affaire Skripal…

I. Le mensonge du gouvernement anglais

Le 3 avril, le directeur du Laboratoire scientifique militaire anglais de Porton Down a contredit une partie de la propagande gouvernementale anglaise comme on le voit ici :

II. Le rapport de l’OIAC

Comme vous le savez, dans l’affaire Skripal, le gouvernement britannique a refusé de donner des échantillons du poison à la Russie, mais a mandaté l’Organisation pour l’Interdiction des Armes Chimiques (OIAC / OPCW en anglais) pour réaliser une enquête technique.

Cette organisation a rendu ses conclusions hier, dans un rapport secret transmis aux États.

Elle a également publié un résumé public que voici :

Comme on le voit, le point vraiment important est le suivant :

“The results of analysis by the OPCW designated laboratories of environmental and biomedical samples collected by the OPCW team confirm the findings of the United Kingdom relating to the identity of the toxic chemical that was used in Salisbury and severely injured three people.”

“Les résultats de l’analyse par les laboratoires désignés par l’OIAC des échantillons environnementaux et biomédicaux prélevés par l’équipe de l’OIAC confirment les conclusions du Royaume-Uni concernant l’identité du produit chimique toxique qui a été utilisé à Salisbury et qui a fait trois blessés graves.”

Le rapport ne donne pas le nom du produit, mais des informations de la presse anglaise laissent penser qu’il s’agirait du produit nommé A-234 (dont la formule a été révélée dans un livre en 2008) :

Formule de l’agent A-234 (lien 3D)

Bref, l’OIAC indique simplement, comme on pouvait s’y attendre, que le poison est un agent neurotoxique.

Et elle ne peut guère faire plus – en particulier au niveau de l’origine du poison.

En effet, scientifiquement, vous pouvez montrer qu’il s’agit de A-234, mais comment savoir où il a été fabriqué ?

En réalité, c’est en théorie possible, la forme des molécules est une sorte d’empreinte digitale. Mais il faudrait pour cela avoir des échantillons de produits russes. Et comme il s’agit de produits militaires secrets, c’est probablement impossible, sans une aide honnête de la Russie.

De plus, ces produits chimiques dangereux ont été créés il y a des décennies, et leur formule est publique depuis des années. Il est probable (et sans doute souhaitable) que de grands États aient synthétisé ces produits à des fins de recherche pour trouver des antidotes. Vladimir Poutine a indiqué que “selon des experts internationaux, une vingtaine de pays dans le monde peuvent fabriquer ces substances neuropathiques”, ce qui est probable.

III. L’information traitée par les médias

Voici donc comment les médias ont informé le public sur le fait que “l’OIAC confirme les conclusions du Royaume-Uni concernant l’identité du produit chimique” (ce qui est donc une information intéressante, mais n’accuse en rien la Russie), comme ici France 24 , le 12 avril vers 13h00 :

On note bien que figure à la fois la citation traduite du rapport sur la confirmation de “l’identité”, mais que titre et commentaire transforment en “origine russe” (le mot russe ne figurant dans le rapport) !

Il s’agit en fait d’une Dépêche AFP à peine retravaillée, qu’on peut lire par exemple ici.

Du coup cela a été repris par tous les médias :

(On notera au passage que RT n’a pas déformé le rapport)

Voyant ceci, nous avons immédiatement contacté l’OIAC pour, d’une part, l’alerter sur l’erreur de l’AFP afin qu’ils interviennent et, d’autre part, demander s’ils confirmaient le propos sur “l’origine russe”.

Très réactive, et vu la sensibilité de l’affaire, l’OIAC nous a répondu de simplement nous reporter au rapport public :

Cependant, une heure plus tard, l’AFP publiait un correctif :

On notera que ce n’est pas arrivé dans les pays étrangers (Source : CNN ou Mirror) :

III. Comment Le Monde cache ses erreurs

Il est intéressant de voir comment le journal Le Monde a réagi face à cette fausse information qu’il a diffusée, alors que l’erreur apparaissait de façon évidente dans le corps même de la dépêche. Et ce, à un moment d’extrême tension, voire de danger. Ce qui a contribué à alimenter la confusion auprès de lecteurs inattentifs au risque de diffuser de fausses informations :

Voici donc la modification opérée le 12 avril après-midi :

Cliquer pour agrandir

On voit que quelques heures après, Le Monde a corrigé son article.

Du côté négatif, on note que, si le titre est devenu neutre et factuel, le chapeau se termine désormais par “Moscou responsable de l’attaque”.

Autre point, alors que les autres sites indiquent ceci :

On note que le journaliste du Monde a rajouté “un communiqué consulté par l’AFP”. Or le communiqué est public, ce qui montre qu’il n’a même pas pris la peine d’aller le lire…

A contrario, notons qu’il y a du positif, dont la correction, car beaucoup de sites concurrents ne l’ont pas fait – 24 heures après restent non modifiés Libération, L’Obs, France 24, 20 Minutes, FranceTvInfo, BFM, Le Figaro, Ouest France, JDD… Ce qui est très grave. Mais Europe 1 et RFI ont bien modifié leur article.

Comparatif des modifications en 48 heures (source)

A contrario, Le Monde a également pris le soin, le 12 avril, d’indiquer ceci à la fin de son article corrigé :

Un lecteur rigoureux…

Cela reste plutôt professionnel donc. Au final, le billet est corrigé.

Ils ont même essayé de tweeter, mais le lien ne s’est pas mis à jour :

Fin de l’histoire ?

Non. Car le 13 avril, le Monde a de nouveau modifié profondément l’article :

On se rend compte d’importantes modifications :

1/ le titre comporte en gros Novitchok – on n’allait pas se priver d’un nom russe. Rappelons encore que c’est un nom ridicule, qui n’est pas le nom utilisé en Russie (ça veut dire “nouveau venu”). C’est le nom de code du programme militaire secret soviétique des années 1970. La substance est, a priori, nommée A-234, ou scientifiquement, un truc du genre “N-2-diethylaminomethylacetamidido-ethoxyphosphonofluoridate”.

Écrire que Skripal a été empoisonné par du Novitchok, c’est comme dire que les Coréens du Nord possèdent la “bombe Manhattan” plutôt que “bombe atomique”.

On comprend cependant qu’au niveau propagande, il vaut évidemment mieux appeler le poison Novitchok que “fluoridate” (pour faire simple)…

2/ la citation du rapport de l’OIAC a été entièrement supprimée

3/ Le Monde écrit que l’OIAC laisse “sous-entendre que seul un État aurait été en mesure de la produire”, ce qui est sans doute juste dans l’absolu, mais une pure affabulation au vu du rapport de l’OIAC

4/ enfin, Le Monde a sciemment caché son erreur en supprimant la note sur la modification réalisée par l’AFP !

Bref, c’est un intéressant exemple du traitement d’une Information erronée diffusée par les grands médias…

Bonus – Les sites d’information : de simples filiales de l’AFP ?

Dans le même ordre d’idées, autre exemple de ce qui se passe sur le web :

13/04, 11h24, le Point publie un article issu de l’AFP “Syrie: l’Occident hésite à frapper face aux menaces russes de guerre” :

Il a changé, mais en fait une copie existe sur d’autres sites (qui ne modifient pas les articles) :

Information importante. Trop ? Car à 19h02, l’AFP modifie le titre, enlevant les “menaces russes” :

Pour terminer, toujours sur le MÊME article à 23h10 par ceci :

Titre qui affole moins les populations quant aux décisions de leurs gouvernements…

Ainsi, le même article du Point a donc été modifié 3 fois, avec des titres diamétralement différend. Ce qui est certain, c’est que ça commence à être difficile à suivre pour un lecteur.

 

Je viens d’ailleurs de me rendre compte que c’est l’AFP qui fait ces modifications, et qu’elles se répercutent a priori instantanément et automatiquement sur la plupart des sites abonnés :

Quand on clique sur les liens vers les articles depuis Google, on voit qu’on arrive sur des pages modifiées, a priori automatiquement vu le délai.

Cela signifierait donc que, non seulement les médias reprennent en copiant-collant les articles AFP, mais qu’il y aurait même un lien direct entre l’AFP et ces sites, qui ne seraient donc rien de plus qu’un “outil” de l’AFP pour diffuser ses articles…

Quant aux “preuves” sur la Syrie, on se rapprochera aussi de ceci :

Ce qui illustre bien l’adage disant que “la première victime en temps de guerre, c’est la vérité”.

Cela montre aussi que dans un conflit, les deux camps prennent les citoyens pour des imbéciles…

À nous donc de rester très vigilants…

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