Autopsie d’un (mauvais) article pronucléaire

[AJOUT du 24 mai à 20h20 : à la suite de la parution de la présente analyse, l’auteur a discrètement (pas de mention des corrections opérées) modifié son article en plusieurs points : rectification des confusions énergie/électricité, les 52 réacteurs sont redevenus 58, et surtout « pollution » a été remplacée par « émissions de gaz à effet de serre » : ce faisant, l’auteur se soumet au lobby nucléaire qui exige qu’on ne parle que de co2, et il ne répond pas… à sa propre question, à savoir le rapport à l’écologie. Il faudra encore attendre pour qu’il reconnaisse enfin l’évidence : le nucléaire est une énergie terriblement polluante et, de fait, pas du tout « écolo ». SL]
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Le titre pose pourtant une question fort légitime : « Suisse : Sortir du nucléaire, est-ce la garantie de devenir plus écolo ? ». Mais cela se gâte dès le sous-titre : « Comme les Suisses dimanche, l’Italie, l’Allemagne ou encore le Japon ont tenté de sortir du nucléaire. Au risque parfois de privilégier des énergies fossiles et polluantes« .
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Sans s’en rendre compte (à moins qu’il ne fasse volontairement de la propagande pro-atome ?), le journaliste accrédite l’idée que le nucléaire, lui, ne serait pas polluant, puisqu’en sortir pousserait à « privilégier des énergies polluantes« .
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Le bonhomme n’a donc jamais entendu parler des déchets radioactifs, des centrales à démanteler, des rejets radioactifs et chimiques opérés massivement par les centrales nucléaires dans l’air, les fleuves et la mer.
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Il ne sait pas non plus que le nucléaire est lui aussi une énergie fossile car son combustible est l’uranium, un minerai extrait des sous-sols au prix de terribles contaminations et de l’assèchement des nappes phréatiques… mais il est vrai que la France atomique cause ces dommages bien loin de son territoire, en particulier au Niger (dont le Président est un ancien cadre d’Areva, tout comme le premier ministre de la France, mais c’est encore une autre histoire : celle de la démocratie toujours bafouée par l’industrie nucléaire).
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Citons aussi les opérations de transport et d’enrichissement de l’uranium, mais aussi du retraitement des déchets (ce qui revient à en séparer les différents composants et à les reconditionner, mais jamais à les faire disparaitre), elles-aussi causes de terribles pollutions.
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Ensuite, notre ami assure qu’il y a 52 réacteurs en France (au lieu de 58), erreur qui est peut-être enfin corrigée au moment où vous lisez cette autopsie, et qu’ils assurent 77% de l’énergie produite en France, alors que c’est 77% de l’électricité (erreur déjà corrigée suite à mon interpellation sur Twitter).
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La « nuance » est gigantesque puisque 77% de l’électricité correspondent à 16% seulement de l’énergie consommée en France, cette dernière étant couverte à plus de 70%, comme dans les autres pays, par le pétrole et le gaz : la fameuse « indépendance énergétique » prétendument apportée par le nucléaire n’est qu’un hoax colporté par l’industrie nucléaire et les politiciens qui la soutiennent (c’est de bonne guerre) mais, hélas aussi, par trop de journalistes qui se contentent de répéter ce qu’ils ont toujours entendu dire
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Ensuite, évoquant la Suisse, l’Italie et le Japon, l’auteur recommence à faire semblant de croire que, lorsque l’on tourne le dos au nucléaire, on se met subitement à utiliser les énergies carbonées (pétrole, gaz, charbon) : rappelons à nouveau que ce trio couvre plus de 70% de la consommation d’énergie de la quasi-totalité des pays sur Terre, nucléarisés ou pas, y compris (il faut le répéter tant les idées fausses sont ancrées dans les cerveaux) en France.
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Puis notre « enquêteur » donne abondamment la parole à une VRP de l’atome, porte parole de la très obtuse SFEN (Société française d’énergie nucléaire) qui elle aussi, sans surprise, fait semblant de croire que la seule pollution est d’émettre du co2 et que, de fait, le nucléaire serait une énergie propre.

Ces gens oublient d’ailleurs soigneusement de préciser que l’Allemagne (qui est cependant loin d’être le paradis de l’écologie) sort du nucléaire tout en diminuant son recours au charbon, et que la Norvège, qui émet moins de co2 par habitant que la France, n’a pas de nucléaire.
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Notons enfin que l’on trouve dans ce mauvais article quatre fois la mention « après Fukushima« … pour critiquer les décisions de bon sens (sortie du nucléaire) prises par plusieurs pays à la suite de cette catastrophe, mais jamais pour en évoquer le caractère dramatique… et polluant !
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Pour conclure, rappelons que la part du nucléaire dans l’électricité mondiale s’est déjà effondrée de 17% en 2001 à 9% à ce jour, que ce processus va continuer de façon irréversible alors que la quasi-totalité des réacteurs en service sur Terre approchent de leur fin de vie, que les « géants » de l’atome Areva et Westinghouse ont fait faillite, que les autres acteurs de cette industrie, à commencer par EDF, suivent de près.
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Et ce n’est pas la Chine qui changera la donne puisque, même si tous les réacteurs annoncés sont réellement construits (ce qui reste à prouver), l’atome n’y couvrira pas plus de 5% de la production d’électricité, c’est-à-dire moins de 1% de la consommation d’énergie du pays.
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Ni les articles orientés ni la méthode Coué ne sauveront cette industrie moribonde et finissante, par contre cette agonie va encore durer quelques dizaines d’années et probablement se manifester par de nouvelles catastrophes comme Fukushima. Resteront ensuite, pour des siècles, les centrales et autres installations à démanteler et, pour des millions d’années, les déchets radioactifs. Merci pour tout.
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Stéphane Lhomme
Directeur de l’Observatoire du nucléaire
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(*) http://www.20minutes.fr/planete/2074043-20170523-suisse-sortir-nucleaire-garantie-devenir-plus-ecolo

via Autopsie d’un (mauvais) article pronucléaire – Observatoire du nucléaire

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