Banlieue / province : le confinement recouvre deux réalités différentes

Il y a quelques jours, nous évoquions les difficultés rencontrées par les pouvoirs publics pour faire respecter les règles de confinement au sein de certains territoires. Alors qu’après une dizaine de jours de confinement la situation est de plus en plus délicate dans les quartiers dits « sensibles », les médias rapportent que les forces de l’ordre font parfois preuve d’un zèle étonnant dans certains territoires de province, plus calmes.

Un confinement assoupli dans les “quartiers difficiles” ?

Tandis que de nouvelles mesures gouvernementales visant à durcir le confinement entraient en vigueur le mardi 24 mars, Le Canard enchaîné révélait dès le lendemain les propos tenus par le secrétaire d’État Laurent Nuñez lors d’une réunion en visioconférence avec les préfets de zones de défense du18 mars dernier, au cours de laquelle ce dernier affirmait que « ce n’est pas une priorité que de faire respecter dans les quartiers les fermetures de commerces et de faire cesser les rassemblements ». Une information reprise par Valeurs Actuelles, RT France ou encore TV Libertés mais sur laquelle la plupart des médias de grand chemins sont restés étrangement silencieux.

Pourtant, tout indique que la gravité de la situation aurait mérité que cette information soit diffusée bien plus largement, d’autant que les exemples illustrant les difficultés d’application du confinement dans les territoires difficiles sont légion. En effet, la veille, mardi 24 mars, une policière a été grièvement blessée dans une cité de Beauvais en recevant un pavé sur la tête lors d’une patrouille de contrôle des attestations de déplacement. Si cette information a été abondamment reprise et commentée, le plus souvent de manière uniquement factuelle, il est intéressant de noter à ce propos que France 3 revient dessus de manière plus détaillée dans son édition régionale Hauts-de-France, reprenant les propos du directeur départemental de la Sécurité Publique, Olivier Dimpre, qui indique : « Nous avions été avertis que certaines personnes ne respectaient pas les règles dans ce quartier », avant d’ajouter « Y compris dans les quartiers identifiés comme difficiles, les contrôles se passent bien puisque la grande majorité de la population fait preuve de bon sens et de civisme. Néanmoins, dans certains endroits, certaines personnes s’affranchissent de ces règles, le font exprès, soit par imbécillité, soit par habitude ». Un constat à mettre en perspective avec les propos tenus par le secrétaire d’État quant aux priorités des forces de l’ordre…

Un cas qui n’est pas isolé

Ce type de fait divers n’est malheureusement pas un cas isolé. Dans un reportage du mardi 24 mars, le journal Le Point fait état des difficultés que rencontrent les policiers et les gendarmes à tenir le confinement dans le 18e arrondissement de Paris, en particulier dans les secteurs de La Chapelle et de Château-Rouge. Parmi les facteurs expliquant la réticence des populations du secteur à respecter les règles, le communautarisme et le ressentiment à l’égard de la société française sont mis en avant par le journal, qui donne la parole au gérant d’une supérette située à proximité du métro La Chapelle :

« C’est une mission impossible d’imposer des règles à ces mecs. Et ne m’accusez pas de racisme ! Je suis un blédard comme eux ! (…) J’essaie de leur expliquer comment leur comportement met les autres en danger. Mais ils m’envoient balader. Certains, les plus méchants, me répondent qu’ils sont là pour niquer la France ».

Une logique de haine assez récurrente dans bon nombre de contrôles houleux. Récemment, comme l’indique Le Parisien dans un article du 25 mars, une femme contrôlée à Longjumeau sans attestation en règle par des policiers municipaux a traité ces derniers de « sales blancs » tout en leur souhaitant de « crever du Covid », avant d’être rattrapée par des policiers de la brigade anti-criminalité, qu’elle a griffé et sur lesquels elle a craché lors de son arrestation. Une haine raciale très peu dissimulée, qui fait écho à un article du journal suisse Le Temps qui, le 19 mars dernier, avait indiqué que le confinement était difficile à concevoir pour certains habitants, ces derniers estimant même que le virus est « une fable de blancs ».

Policiers entravés

Face à cette situation, les policiers se retrouvent en grande difficulté, voire parfois dans l’impossibilité même de mener à bien leur mission. Dans un reportage du 23 mars, France 3 Paris Ile-de-France a donné la parole à des policiers qui, sous couvert d’anonymat, témoignent de leur quotidien difficile en cette période d’épidémie. Tous sont unanimes pour déplorer un manque de moyens de protection adaptés, et l’un d’entre eux explique :

« On travaille au contact de gens qui connaissent très bien nos points faibles alors maintenant, c’est : si tu t’approches, je te tousse dessus, ou me touche pas, je suis infecté ».

Une réalité du terrain particulièrement pénible, confirmée par des policiers dans l’article du Point susmentionné, qui ont confié au journal leurs doutes quant à la capacité des forces de l’ordre à tenir sur la durée un confinement bien peu respecté :

« Je plaide pour un confinement total et la mise en place d’un couvre-feu (…) La situation est absolument ingérable ».

C’est aussi l’avis de Michel Aubouin, ancien préfet de l’Essonne, qui affirme redouter « une explosion » dans une interview accordée ce jeudi 26 mars au journal Marianne. Ce spécialiste des violences urbaines ne se dit pas surpris par les consignes de laxisme de Laurent Nuñez rapportées par Le Canard enchaîné, expliquant que

« le fond du problème, c’est la difficulté des forces de police à faire respecter le confinement. En réalité, personne ne veut avouer qu’on ne peut pas intervenir dans les cités, ce qui est déjà très compliqué en temps normal. D’autant que de nombreux effectifs sont mobilisés sur le confinement ailleurs, ce qui empêche tout renforcement de la présence policière dans ces quartiers ». Il ajoute également que « le clivage paraît encore plus grand entre la société française et ceux qui vivent à ses marges, et dont certains alimentent parfois une haine de la France. C’est pour cela que le pouvoir fait une erreur s’il considère qu’il faut traiter différemment ces territoires, alors qu’ils font partie de la société française ».

Une situation pourtant connue de tous, notamment chez les décideurs publics, et même admise à demi-mots par certains médias pourtant peu critiques du pouvoir. C’est ainsi que même BFMTV reconnaît le 25 mars que « dans les faits pourtant, les mesures de confinement liées au coronavirus sont plus faciles à faire respecter dans certains quartiers que d’autres. Logements surpeuplés, éducateurs sociaux confinés ou délinquance ne favorisent pas l’application en banlieue des restrictions mises en place depuis dix jours pour lutter contre la propagation du virus ». Et d’achever son article en indiquant que la majorité des préfets excluent pour l’heure d’imposer un couvre-feu, citant le préfet de Seine-Saint-Denis, pour qui il s’agit « d’une cartouche qu’il faut garder » et rappelant qu’une source policière indique : « on fait tout pour éviter de déclencher des émeutes ».

Enfin, le criminologue Xavier Raufer explique dans Atlantico ce 26 mars que la faiblesse numérique des effectifs de police est sans doute la raison permettant de mieux comprendre « le confinement light, dans la périphérie parisienne et autres secteurs “chauds” (Marseille… Lille-Roubaix-Tourcoing), qu’annonce Le Canard Enchainé ».

Une inégalité de traitement avec la France périphérique

Si la situation s’avère particulièrement complexe à gérer dans certaines banlieues au point que les autorités y concèdent un confinement « aménagé », la situation est bien différente sur le reste du territoire, notamment au cœur de la France des zones rurales et périurbaines. Là-bas, les mesures de confinement y sont appliquées avec bien plus de zèle, par des forces de l’ordres plus enclines à réprimer les contrevenants. Si la loi doit bien évidemment être la même pour tous, la distorsion de plus en plus visible entre les territoires donne le sentiment d’un « deux poids, deux mesures » aux populations qui y résident.

Ainsi Le Point revenait le 21 mars dernier sur la difficulté rencontrée par les maires à faire respecter le confinement à la campagne, en comparant de manière un peu hasardeuse quelques bravades d’habitants ruraux à la situation beaucoup plus tendue dans les grandes villes : « à l’instar de ce qui se passe dans les grandes agglomérations, les habitants des champs ont du mal à respecter le confinement et continuent de se promener dans les rues comme si de rien n’était », citant les propos du Directeur général des services de la ville de Commercy (6000 habitants) qui déplore que « à la campagne, les limites imposées sont même plus difficiles à comprendre. Certains habitants partent seuls en forêt faire de l’affouage, on a un retraité qui tous les jeudis va à la pêche en solitaire. Comment lui expliquer que même cela pose problème ? ». Et l’on apprend, un peu plus loin dans l’article, que la brigade de gendarmerie de ce petit bourg teste actuellement un drone qui servira à repérer les contrevenants. Ajoutons que la zone de compétences de la gendarmerie représente 95% du territoire national, pour seulement 50% de la population, ce qui rend plus simples les contrôles et laisse donc entrevoir une certaine disproportion entre la réalité des infractions et les moyens utilisés. CNews, dans un reportage, a souligné que les actions verbalisées relevaient plus d’une certaine indifférence aux règles de confinement qu’à une logique proprement délinquante. Et pourtant, ici, il n’est pas question d’excuse ou de recours à des médiateurs : toute dérive se voit immédiatement sanctionnée avec une fermeté revendiquée.

C’est également ce que constate Le Parisien dans un article du 24 mars consacré aux procès-verbaux jugés injustes et contestés par de plus en plus de personnes, avec des exemples parfois assez cocasses, comme un couple d’Apt, dans le Vaucluse, verbalisé pour avoir promené un lapin en laisse.

Dans certaines communes néanmoins, comme à Sanary-sur-Mer (Var), ce sont parfois les autorités locales qui font du zèle et vont encore plus loin que les préconisations du Gouvernement. Ainsi le maire de la ville a pris un arrêté pour sanctionner quiconque sortirait d’une boulangerie en ayant acheté moins de deux baguettes. Un autre, édile d’une commune de 3000 habitants dans le Libournais a décidé d’un couvre-feu entre 20h et 5h du matin, comme l’indique Sud Ouest, alors que dans le même temps, le site actu.fr nous informe que le préfet de Seine-Saint-Denis a empêché la Ville d’Aubervilliers d’instaurer un couvre-feu, considérant celui-ci comme « non adapté à la situation »…

Difficile, dans ces conditions, de ne pas souligner les signes évidents d’une inégalité de traitement entre certains « territoires » et certaines « populations », alors que la crise sanitaire qui nous touche devrait concerner le pays dans son ensemble.

via Banlieue / province : le confinement recouvre deux réalités différentes | Ojim.fr

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