Catalophe, catastrogne et catastrophe, par Richard Labévière

Un autre regard sur la Catalogne…

Source : Proche & Moyen-Orient, Richard Labévière, 09-10-2017

Les habitants de la région la plus riche d’Espagne (20% de son PIB) – le Pays Basque arrivant en cinquième position – ne veulent plus payer pour les régions les moins favorisées du pays : Canaries, Andalousie, Estrémadure, notamment.

La Catalogne concentre 50% des start-up du pays. « Nous représentons près du quart du produit intérieur brut, mais nous ne recevons que 9% des investissements réalisés dans le pays », peste un indépendantiste convaincu qui affirme encore : « la Catalogne se porterait beaucoup mieux si elle était indépendante ». Aucune crainte pour son économie ? « Nous ne sortirons pas de l’Europe. C’est facile : dans un premier temps, l’Espagne ne nous reconnaîtra pas, donc nous resterons dedans. Et quand elle acceptera notre départ, l’Union européenne sera toute contente de nous garder ». À l’en croire, c’est un chemin pavé de roses qui attend son futur petit pays : « nous allons devenir la Hollande du sud de l’Europe, un modèle de croissance ». A voir…

ENFANTS GÂTES

Mais ces récriminations d’enfants gâtés laissent un arrière-goût relativement amer lorsqu’on se souvient comment – dans les années 80 – les contribuables européens ont financé l’adhésion de l’Espagne au Marché commun1 et ses ajustements aux différents formats de pays développés. A l’époque, les Catalans ne faisaient pas encore la différence entre les autoroutes catalanes et les autoroutes andalouses… « Il ne faudrait pas oublier, non plus, que la Catalogne s’est modernisée grâce aux bras des estremenos (les travailleurs d’Estrémadure, l’une des régions les plus pauvres d’Espagne), des Andalous ou des Galiciens », souligne un grand diplomate français d’origine espagnole.

En d’autres termes, ce mouvement d’irrédentisme immature est essentiellement le fait de petits bourgeois égoïstes, incultes et manipulateurs. Et que ceux qui osent aujourd’hui invoquer la Cataluna libre de George Orwell en lutte contre les Phalangistes de Franco, feraient bien de se replonger dans leurs manuels d’histoire pour se rappeler qu’à l’époque, la Barcelone de la FAI, de la CNT et du POUM, accueillait les Internationalistes des Brigades pour défendre avec leur sang… la République espagnole ! Les indépendantistes catalans d’aujourd’hui piétinent allègrement la légalité républicaine et la législation régionale espagnole sans aucune pudeur, en hurlant au fascisme et à la dictature… Il ne faut quand même pas pousser mémé dans les orties et rappeler aussi à ces braves gens ce que furent réellement le fascisme et la dictature de Franco, de Salazar et de leurs alliés italiens et allemands ! Ces enfants gâtés n’hésitent pas à prendre en otage leur propre population, celles des autres régions espagnoles et celles de leurs partenaires européens !

UNION EUROPEENNE ET OTAN SCHIZOPHRENES

La Commission européenne a tardé avant de s’exprimer clairement pour condamner ce coup de force du bout des lèvres en avertissant qu’une « Catalogne indépendante serait exclue de l’UE ! ». Ne parlons pas de l’OTAN, dont l’Espagne est l’un des 28 Etats membres. « Un territoire se séparant d’un Etat membre ne saurait rester automatiquement membre de l’Alliance », vient de déclarer un porte-parole de l’OTAN en ajoutant que « toute nouvelle adhésion devrait suivre les procédures en place (…) Les membres peuvent aussi inviter d’autres pays à les rejoindre, mais cela doit se faire par accord unanime ».

Grand marché sans frontière, sans véritables politiques communes, entre autres en matière de défense, de sécurité et de politique étrangère, l’UE est assez gênée aux entournures. Depuis des années, elle a accepté d’ouvrir des pourparlers d’adhésion avec la Turquie, qui occupe militairement la partie nord de Chypre depuis 1974, l’île étant pourtant membre à part entière de l’Union2… Sans sourciller, l’UE a accepté en 2008 la création du Kosovo – micro-Etat mafieux, financé par les contribuables européens -, après avoir manifesté toute son impuissance à se poser en médiateur dans les guerres balkaniques. Elle a aussi cautionné la partition de la Tchécoslovaquie. Incapable de gérer les crises migratoires et les autres flux criminogènes qui empruntent la Méditerranée, l’UE n’est pas – à l’évidence – l’instance la plus crédible pour défendre l’intégrité territoriale et politique de ses Etats membres.

L’OTAN fait aussi preuve de la même schizophrénie pour des raisons similaires. Créée en 1949, en pleine Guerre froide, cette alliance militaire se superpose au Plan Marshall, destiné – à la même époque – à restaurer les économies européennes sous la domination des Etats-Unis. Face à l’URSS et au « Bloc de l’Est », Washington entend alors assurer une triple tutelle – militaire, économique et culturelle – sur la vieille Europe en train de se relever. Pour ce faire, il s’agit de promouvoir des modèles d’institutions politiques fédéraux destinés à supplantés les vieux cadres stato-nationaux. Ce qui a été fait de l’Allemagne occupée par les Alliés avec ses zones d’occupation et redistribution des Länder3 doit inspirer l’Europe à venir. Fils de l’Amérique, les Pères de l’Europe Robert Schuman et Jean Monet prépareront la Déclaration du 9 mai 1950 – texte fondateur de la construction européenne – dans cet état d’esprit partagé par les milieux de la Démocratie Chrétienne alors dominante dans la plupart des pays européens.

Sur le plan culturel, la CIA met sur pied différents programmes de propagande pour transformer la culture en une véritable machine de guerre pour combattre le bloc soviétique et ses thuriféraires. De considérables moyens humains et financiers furent employés pour utiliser la littérature, la musique, l’art et la presse comme armes idéologiques privilégiées en faveur des Etats-Unis. Les instrumentalisations furent plus ou moins licites, plus ou moins apparentes : de Raymond Aron à Jackson Pollock, en passant par Arthur Koestler, Ignazio Silone et Igor Stravinski, de très nombreuses personnalités du monde littéraire et artistique ont été généreusement rémunérées, utilisées par les services secrets américains, soit directement par des officiers traitants, soit par l’intermédiaire de fondations.

Dans un livre magistral4, Frances Stonor Saunders5 retrace l’histoire des élites intellectuelles en Europe et aux Etats-Unis au sortir de la Seconde guerre mondiale. Elle explique avec une précision d’horloger comment l’écrivain suisse Denis de Rougemont – notamment – a bénéficié de l’encouragement et de l’aide des services américains pour créer le Centre européen de la culture et l’Institut universitaire d’études européennes (IUEE) de Genève.

Ayant été l’un des assistants de Denis de Rougemont durant plusieurs années, l’auteur de ces lignes se souvient de longues conversations communes et disputées sur L’Europe de régions qui devait contribuer à « détruire les Etats-nations » d’Europe. Dans L’Avenir est notre affaire6, Denis de Rougemont mêle subtilement aux bienfaits du fédéralisme helvétique les prévisions du Cercle de Rome concernant la destruction de l’environnement pour essayer de nous convaincre que l’Etat-nation est l’ennemi du genre humain…

Ces fondements idéologiques de l’UE et de l’OTAN expliquent, en partie, pourquoi ces deux institutions ne condamnent pas clairement la révolte séparatiste catalane !

L’AUTODETERMINATION, C’EST AUTRE CHOSE !

Certes, le gouvernement de Mariano Rajoy et le Partido Popular ont géré cette crise comme des pingouins : la marmite catalane surchauffe dangereusement depuis des mois, sinon des années. Qui déjà a dit que gouverner c’est prévoir ? Cette évolution aurait dû amener les autorités espagnoles à mobiliser les Catalans, les Basques et les autres Espagnols à remettre l’ouvrage – du statut des régions autonomes – sur le métier de l’avenir institutionnel du pays. Comme les Grands-Bretons ont osé le faire pour le Brexit, il s’agissait, peut-être alors, de consulter l’ensemble des Espagnols, voire le reste des Européens !

Comme l’explique très finement Guillaume Berlat dans nos Humeurs de cette semaine, il ne faut pas confondre autodétermination et sécessionnisme… L’indépendance ne se décrète pas et résulte, la plupart du temps, d’un long cheminement historique. Certes, celui-ci est rarement un long fleuve tranquille, mais au jour d’aujourd’hui et dans le cadre de l’Union européenne, il y avait certainement d’autre voies à explorer et voix à entendre que d’organiser ce référendum enfantin et inutile ! Le roi d’Espagne aussi s’est réveillé un peu tard et n’a pas trouvé les mots à la hauteur de la situation.

Cette situation ne met pas seulement en cause l’intégrité territoriale et politique de l’Espagne. Elle n’interpelle pas seulement les capacités de médiation et d’innovation institutionnelle de l’Union européenne. Elle met aussi en péril le multilatéralisme européen. Le processus de Barcelone (1995) et l’Union pour la Méditerranée (UPM) – dont le siège est, encore, à Barcelone – demeurent des outils pour une meilleure intégration européenne. Comme tous les organisations multilatérales, elles sont imparfaites, donc perfectibles mais ont l’absolu mérite d’exister !

Songeons aussi aux communautés des ports et des grandes villes méditerranéennes dont les réseaux oeuvrent aussi à rechercher des solutions pour gérer, sinon résoudre les différentes crises terrestres qui se déversent dans la masse d’eau du canal de Suez au détroit de Gibraltar.

La poussée juvénile des séparatistes catalans ajoute une nouvelle crise politique aux autres convulsions anomiques qui déchirent la Méditerranée : Israël-Palestine ; Chypre ; guerre civilo-globale de Syrie ; implosion de la Libye et crises migratoires, sans parler des terrorismes de la bande sahélo-sahéliennes, de la question du Sahara occidental, qui se déversent – elles-aussi – en Méditerranée ! Cela commence à faire beaucoup et devrait amener nos amis catalans à ne pas en rajouter !

Dans tous les cas de figures, expliquent si bien Riccardo Petrella7, Henri Giordan8 et Bernard Poche9, la culture et la langue ne sauraient pas suffire à justifier – aujourd’hui – une revendication nationale quelle qu’elle soit ! Les liens d’appartenance à un territoire, un espace et une mémoire ne garantissent pas à eux-seuls la légitimité d’une autodétermination. Que ces réalités historiques et anthropologiques inspirent et orientent des réformes de déconcentration administrative, de décentralisation, voire de régionalisation est une chose, qu’elles soient instrumentalisées par de petits notables avides de pouvoir en est une autre…

FRAGMENTATION TERRITORIALE ET IMPLOSION POLITIQUE

Si l’UE, l’OTAN et les chancelleries occidentales sont si embarrassées par le dossier catalan, c’est aussi – avons-nous souligné – parce qu’elles ont, récemment cautionné la création du Kosovo. Non viable, tant économiquement que politiquement, ce micro-Etat est – aujourd’hui – tenu à bout de bras par les contribuables européens, alors que ses dirigeants – criminels de guerres – s’adonnent à tous les trafics : armes, drogues, êtres humains et organes humains ! Sur le sujet, il n’est qu’à lire ou relire la contribution définitive du colonel Jacques Hogard10 pour comprendre pourquoi et comment les Etats-Unis et leurs satellites ont mis tellement de cœur à l’ouvrage pour dépecer l’ex-Yougoslavie. On pourrait en dire tout autant de la création du Sud-Soudan, encouragée par de grandes sociétés transnationales du pétrole avec l’aval de Washington, Londres, Paris et Pékin !

Dans sa logique incompressible de détricoter les Etats au profit d’un grand marché sans foi, ni loi, ni frontière – mais avec moult directives sur les ampoules électriques, les fromages et les fleurs coupées – la Commission européenne récolte aujourd’hui ce qu’elle a semé. A force de blanchir et d’amplifier les logiques commerciales et financières d’une mondialisation néo-libérale sauvage et meurtrière, qu’on ne s’étonne pas de voir aujourd’hui les Catalans ne plus vouloir aider les pauvres gens d’Estrémadure ! La mondialisation, version anglosaxonne, c’est trois choses : la casse des Etats-nations, des services publics et des politiques de redistribution sociale. Cette machinerie s’attache d’abord à fragmenter le monde, pour reprendre la terminologie du géographe François Thual. Dans La Planète émiettée11, il explique comment les décideurs politiques d’aujourd’hui appliquent sans restriction le vieil adage de l’imperium romain – divide ut regnes -, devenu l’impératif catégorique de l’hyperpuissance américaine et de ses alliés, notamment israéliens et saoudiens ! La fragmentation territoriale à l’œuvre en Afghanistan, en Libye, au Soudan, dans les Balkans, en Irak, en Syrie, sinon en Europe, n’est ni une fatalité, ni un accident, mais correspond bien à une politique délibérée. Attention : pas de grand Mamamouchi central ni de complot planétaire, mais – répétons – une convergence de politiques économiques de dérégulations, de privatisations et d’extra-territorialité12.

Enfin, la revendication indépendantiste catalane signe aussi « l’implosion du politique » annoncée par feu Jean Baudrillard dans sa thèse L’Echange symbolique et la mort13. L’insistance à affirmer ce qu’on « est » – être ou ne pas être – au détriment du faire, du prévoir et du gouverner, à magnifier l’individualisme numérique, les selfies, fesses-book, sweet/tweets et autres narcissismes en vélo, patins à roulettes ou tatouages, finissent par réduire le monde et la politique à une dualité simpliste, autoritaire et morbide : j’aime/j’aime pas !

Non content de favoriser l’émiettement du monde et la fragmentation territoriale, le séparatisme catalan génère l’atomisation du social et l’implosion du politique qui ne se réduit plus qu’à liker ou ne pas liker. On l’aura compris, à prochetmoyen-orient.ch, nous ne likons pas l’indépendance de la Catalogne ! Bonne lecture et à la semaine prochaine.

Richard Labévière
9 octobre 2017

Source : Proche & Moyen-Orient, Richard Labévière, 09-10-2017

 

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