Ces cadres supérieurs qui fuient des « métiers à la con »
Perte de sens et « métiers à la con », la France des open-spaces s’ennuie
Demandez à un bon soldat de l’économie de la connaissance de vous parler de son quotidien de travail. Au fil de la discussion, une formule surgira à coup sûr pour exprimer ce malaise : la perte de sens. Une expression si souvent lue ou entendue que l’on ne se donne même plus la peine de l’analyser, comme si elle allait de soi. Ce livre explique comment et pourquoi des individus diplômés de l’enseignement supérieur veulent ouvrir des restaurants, des anciens d’écoles de commerce ou de Sciences Po se rêvent en tablier dans une épicerie bio ou une cave à vins, des banquiers deviennent boulangers, des chercheurs ouvrent leur foodtruck et des consultants en stratégie se reconvertissent dans le fromage.
Pour cela, il nous faut donc revenir un peu en amont, et s’intéresser de plus près à ce qu’ils fuient.
J’ai rencontré Antoine au début de mes recherches sur les parcours atypiques de jeunes diplômés. Je m’intéressais à l’époque à ces « premiers de la classe » qui, bien que possédant un atout maître pour réussir dans la société française (un diplôme prestigieux), s’apprêtaient à mettre un coup d’arrêt à une carrière toute tracée pour prendre un itinéraire alternatif. Très bon élève, appliqué, curieux et créatif, Antoine travaillait alors dans une agence spécialisée dans la publicité digitale, chargé de l’analyse statistique – désormais nommée big data ou analytics. Un domaine d’expertise nouveau, assez technique et peu connu du public, qui pouvait passionner un jeune à l’aise en sciences et un peu geek. Pourtant, il portait un regard rétrospectif très sombre sur son parcours universitaire, à l’aune de ses premières années d’expérience professionnelle.
Quand tu fais Sciences Po, tu vois beaucoup de gens qui vont finir chef de projet de quelque chose dans une agence, à se faire chier. Parce que soyons francs : on n’apporte aucune valeur ajoutée à la société. On passe notre temps à pisser dans un violon, avec des clients qui, en face, ont suivi le même cursus que nous et qui eux-mêmes sont tristes… et on est tous là en train de se mentir. L’entreprise est une fabrique de tristesse.
Le métier idéal selon lui ? Fonder une micro-brasserie pour fabriquer sa propre bière. Le malaise d’Antoine illustre bien la double crise existentielle, ou crise au carré, qui se répand chez les jeunes membres des professions intellectuelles supérieures : ils sont paniqués à l’idée de ne rien faire d’intéressant, et de mettre leurs capacités au service d’une cause dérisoire ou qu’ils réprouvent. Ils craignent de n’apporter aucune valeur ajoutée à la société voire, dans certains cas, de perpétuer une forme d’aliénation, de servir des fins qu’ils réprouvent. Toutes les configurations sont possibles en croisant les racines de cette double crise du travail : un travail passionnant au service d’horribles multinationales cyniques et pollueuses, un travail rébarbatif dans une entreprise honnête ou au service d’une cause juste et, enfin, la double peine ; s’ennuyer au service d’un employeur que l’on déteste.
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