Cette jeunesse dont personne ne parle

Près de 60 % de la population vit dans la France périphérique. Parmi elle, de nombreux jeunes. Eloignés des réseaux des ­grandes métropoles et des circuits de la mondialisation, ils vivent au quotidien l’inégalité des chances. Il est temps de s’en occuper.

La France périphérique est aussi la France d’une jeunesse invisible. Largement oubliés des dispositifs d’égalité des chances, les jeunes de nos régions cumulent les difficultés qui réduisent leurs perspectives et les enferment dans un isolement nuisible à la cohésion sociale et propice à la montée des extrêmes.

On mesure à juste titre les obstacles auxquels font face les jeunes de nos banlieues. On a en revanche moins conscience de ceux qui jalonnent le parcours des enfants de la France périphérique. Pourtant, 60 % de la population vit sur ces territoires, dans les capitales régionales, le réseau des villes petites et moyennes et les espaces ruraux.

Loin de tout

Eloignés des grandes métropoles et des circuits de la mondialisation, ces jeunes ont moins d’informations, moins de réseaux, un champ des possibles réduit lorsqu’il s’agit de leurs études et de leurs choix professionnels. A leur éloignement géographique et symbolique, s’ajoutent les fragilités économiques et sociales de certains territoires. Un sentiment d’abandon et de puissants mécanismes d’autocensure limitent au surplus les ambitions de ces collégiens et lycéens.

C’est le cas de Gaëlle, qui grandit dans un hameau de l’Allier et parcourt près de 40 kilomètres par jour pour étudier, comme un jeune de zone rurale sur deux. Elle est allée pour la première fois au cinéma à l’âge de douze ans, parce que la salle la plus proche est à quarante-cinq minutes de route et que, quoi qu’il en soit, ses parents n’ont pas les moyens de l’y emmener. Qui le sait ?

Peut-être est-ce parce qu’elle ne fait pas de bruit, cette jeunesse des territoires, qu’elle est si peu prise en compte. Peut-être est-ce parce que ce quotidien, loin des voitures qui brûlent, ne semble pas brutal à la France d’en haut. Mais Gaëlle, pourtant première de la classe, n’ira pas en seconde générale après son brevet, comme 73 % de ses camarades de 3e de son collège. Des chiffres ignorés ou, en tout cas, délaissés, comme on feint d’ignorer que la mobilité sociale ascendante des enfants d’ouvriers ou d’employés du Poitou-Charentes ou du Nord-Pas-de-Calais est jusqu’à 2 fois plus faible qu’en Ile-de-France.

L’égalité des chances mise à mal

Bien sûr, vivre dans ces territoires a aussi ses avantages. Bien sûr, d’autres espaces affrontent des difficultés liées au lieu de résidence et de scolarisation de leurs enfants. Mais dans la France périphérique, c’est l’addition des obstacles qui porte gravement atteinte à l’égalité des chances entre les jeunes Français. Sans que les pouvoirs publics semblent le remarquer.

Extérieure aux pulsations de la vie des grandes métropoles et de leurs opportunités, cette jeunesse n’attire pas l’attention parce qu’elle a quelque chose d’insaisissable, que seules les photographies de Raymond Depardon parviennent à capter. Chez ces jeunes, le sentiment d’isolement, d’abandon et l’incapacité à imaginer l’avenir ­suscite une profonde angoisse qui se superpose aux inquiétudes propres à l’adolescence.

Agir en faveur de la diversité, c’est aussi prendre en compte ces jeunes Français, sans attendre que la métropolisation « ruisselle » jusqu’à eux, sans attendre que ces plus de 35.000 villes et villages soient touchés par la mondialisation comme on l’est par la grâce. Sans attendre que l’effet corrosif de leur désespérance ait sapé les fondements de notre société et de sa jeunesse.

Agir d’urgence

C’est la raison pour laquelle nous avons fondé Chemins d’avenirs. Apolitique mais engagée, l’association accompagne ces jeunes collégiens et lycéens, pour leur donner les moyens de trouver leur voie et d’aller aussi loin qu’ils le souhaitent. Jeunes actifs et étudiants issus de toute la France, nous avons décidé de leur dire ce que peu leur disent : « Vous pouvez le faire ».

Continuer à ignorer les jeunes de ces territoires est dangereux pour notre pays.

Parce que le dire ne suffit pas, nous mettons en place, sur le terrain, des moyens ­concrets et personnalisés pour y ­parvenir, informations sur l’orientation et les filières, parrainage individuel durant plusieurs années, préparation aux examens et concours, opportu­nités de stages professionnels et ­linguistiques. Nous avons la conviction que les territoires français – pas seulement Paris, pas seulement les banlieues – regorgent de jeunes talentueux et motivés. Et qui n’ont pas les mêmes chances que leurs camarades. Ils le méritent pourtant.

Continuer à ignorer les jeunes de ces territoires est dangereux pour notre pays, pour sa dynamique économique, pour son équilibre social et, manifes­tement, pour l’état de sa vie démocra­tique. Il y a urgence. Affronter cette urgence nécessite la mobilisation de tous, de l’appareil d’Etat à la société civile. Nous nous y attelons en déployant les actions de Chemins d’avenirs, dans l’académie de Clermont-Ferrand cette année, dans trois autres académies dès la rentrée prochaine. Nul doute que d’autres initiatives ­suivront. A quelques semaines du ­premier tour de l’élection présidentielle, les candidats s’adresseront-ils à la jeunesse des territoires ?

Salomé Berlioux est conseillère dans un cabinet ministériel. Elle s’exprime à titre personnel. Elle a fondé et préside l’association Chemins d’avenirs.
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