Crise au Venezuela : Un ancien rapporteur de l’ONU affirme que les sanctions américaines tuent des citoyens

Source : The Independent, Michael Selby-Green,

« Les sanctions économiques et les embargos d’aujourd’hui sont comparables aux sièges des villes médiévales. »

Le premier rapporteur de l’ONU à se rendre au Venezuela depuis 21 ans a déclaré à The Independent que les sanctions américaines contre ce pays sont illégales et pourraient constituer des « crimes contre l’humanité » au regard du droit international.

L’ancien rapporteur spécial Alfred de Zayas, qui a terminé son mandat à l’ONU en mars, a critiqué les États-Unis pour s’être engagés dans une « guerre économique » contre le Venezuela qui, selon lui, nuit à l’économie et tue des Vénézuéliens.

Ces commentaires interviennent dans un contexte d’aggravation des tensions dans le pays après que les États-Unis et le Royaume-Uni ont soutenu Juan Guaido, qui s’est autoproclamé « président par intérim » du Venezuela alors que des centaines de milliers de personnes manifestaient pour le soutenir. Les dirigeants européens appellent à des élections « libres et équitables ». La Russie et la Turquie restent les principaux supporters de Nicolas Maduro.

M. De Zayas, ancien secrétaire du Conseil des droits de l’homme des Nations unies (CDH) et expert en droit international, s’est adressé à The Independent après la présentation de son rapport sur le Venezuela au CDH en septembre. Il a déclaré que depuis sa présentation, le rapport a été ignoré par l’ONU et n’a pas suscité le débat public qu’il estime pourtant mériter.

« Les sanctions tuent », a-t-il déclaré à The Independent, ajoutant qu’elles frappent plus durement les personnes les plus pauvres de la société, causent de façon indubitable la mort par manque de nourriture et de médicaments, conduisent à des violations des droits humains et visent à imposer des changements économiques dans une « démocratie sœur ».

Lors de sa mission d’enquête dans le pays fin 2017, il a découvert que l’économie vénézuélienne souffrait durement d’une dépendance excessive au pétrole, d’une gouvernance médiocre et de corruption, mais a ajouté que la « guerre économique » pratiquée par les États-Unis, l’Union européenne et le Canada étaient des facteurs importants dans la crise économique.

Dans son rapport, M. de Zayas recommandait, entre autres actions, que la Cour pénale internationale enquête sur les sanctions économiques à l’encontre du Venezuela comme possibles crimes contre l’humanité au sens de l’article 7 du Statut de Rome.

Les sanctions américaines sont contraires au droit international, car elles n’ont pas été entérinées par le Conseil de sécurité de l’ONU, a déclaré M. de Zayas, expert en droit international et ancien ténor du barreau ayant servi auprès du haut commissaire aux droits de l’homme de l’ONU.

« Les sanctions économiques et les embargos d’aujourd’hui sont comparables aux sièges des villes médiévales. »

« Les sanctions du vingt-et-unième siècle visent à mettre à genoux non pas seulement des villes, mais des pays souverains », a écrit M. de Zayas dans son rapport.

Le Trésor américain n’a pas souhaité commenter les allégations de M. de Zayas quant aux effets du programme de sanctions.

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Les sanctions américaines interdisent le commerce dans la devise vénézuélienne. Elles visent aussi des individus, et interdisent aux entreprises américaines et aux Américains d’acheter ou vendre de la nouvelle dette produite par PDVSA [compagnie pétrolière appartenant à l’État vénézuélien, NdT] ou par l’État.

Les États-Unis ont précédemment défendu les sanctions imposées au Venezuela, un haut responsable américain déclarant en 2018 : « Le fait est que les plus lourde des sanctions qui pèsent sur le pétrole et la production pétrolière du Venezuela sont Nicolas Maduro et le manque d’efficacité de la société PDVSA. »

Les découvertes de M. de Zayas s’appuient sur sa mission dans le pays fin 2017 ainsi que sur les entretiens qu’il a pu mener avec douze ministres du gouvernement, des personnalités politiques de l’opposition, trente-cinq ONG travaillant dans le pays, des universitaires, des responsables de l’Église, des militants, des chambres de commerce et des agences régionales de l’ONU.

Les États-Unis imposèrent au Venezuela de nouvelles sanctions le 9 mars 2015, quand le président Barack Obama signa le décret présidentiel 13692, déclarant que le pays était une menace pour la sécurité nationale.

Les sanctions ont été renforcées depuis sous la présidence de Donald Trump, qui a également brandi la menace d’une invasion militaire et évoqué un coup d’État.

Ayant déclaré son soutien à M. Guaido le 23 janvier, M. Trump a déclaré : « Je vais continuer à employer pleinement tout la puissance économique et diplomatique des États-Unis en vue de rétablir la démocratie au Venezuela. »

Le Venezuela a également qualifié les sanctions américaines d’illégales. En 2018, le ministre des Affaires étrangères Jorge Arreaza en a dit qu’elles étaient « une folie, une barbarie, et en totale contradiction avec le droit international. »

Depuis 2015 environ 1,9 million de personnes ont fui le pays, et le 23 octobre 2018 l’inflation atteignait 60 324 pour cent, tandis que le coût en vies humaines reste inconnu.

Bien qu’il soit le premier émissaire de l’ONU depuis 21 ans à se rendre au le Venezuela pour faire état de la situation, M. de Zayas a dit que son enquête sur les causes de la crise économique que traverse le pays reste jusqu’ici complètement ignorée par l’ONU et par les médias, et qu’elle n’a guère fait l’objet de débat au sein du Conseil des droits de l’homme.

Selon lui, son rapport est ignoré car il va à l’encontre du discours convenu selon lequel un changement de régime est nécessaire au Venezuela.

« Quand j’interviens pour dire que l’émigration est en partie due à la guerre économique menée contre le Venezuela et est en partie attribuable aux sanctions, les gens n’ont pas envie d’entendre ça. Ce qu’ils veulent entendre, c’est le discours simpliste selon lequel le socialisme a échoué et a déçu le peuple vénézuélien », a déclaré M. de Zayas à The Independent.

« A mon retour [les médias et l’ONU n’étaient] pas intéressés. Parce que je ne joue pas la partition que j’étais supposé jouer, alors je n’existe plus… Et mon rapport, comme je l’ai dit, a été officiellement rendu, mais n’a suscité aucune débat. Il a été classé sans suite. »

M. de Zayas indique que Zeid Raad Al Hussein, alors haut commissaire à l’ONU, aurait refusé de le rencontrer après sa mission, et que le bureau vénézuélien du Conseil des droits de l’homme de l’ONU aurait également refusé de l’aider dans son travail après son retour, bien qu’il y soit [théoriquement] obligés.

Il a déclaré à The Independent que le bureau lui aurait réservé un accueil glacial par crainte que le rapport,qui est aujourd’hui rendu public, prenne trop de libertés.

« Tout ce qui es intéresse, c’est de trouver un rapporteur qui… amuse la galerie, qui condamne le gouvernement et qui demande un changement de régime. Et moi, j’y suis allé pour écouter. J’y suis allé pour découvrir ce qui se passait vraiment », a déclaré M. de Zayas.

Un porte-parole du bureau du haut commissaire de l’ONU a déclaré : « Il y a 56 procédures spéciales – dont celle d’Alex de Zayas – qui sont indépendantes. Ça fait beaucoup. Aussi, en pratique, le haut commissaire ne les reçoit pas chacune à leur tour pour discuter de leurs rapports. Physiquement, il ne le pourrait pas. »

Le porte-parole a ajouté que les actions du bureau vénézuélien étaient plus « compliquées » que ce qu’en avait dit M. de Zayas, ajoutant qu’« appeler à un changement de régime n’est pas de notre ressort ».

Ivan Briscoe, le directeur du programme Amérique latine et Caraïbes pour l’ONG internationale Crisis Group, a déclaré à The Independent que le Venezuela est un sujet clivant, avec d’un côté ceux qui soutiennent le gouvernement socialiste et de l’autre ceux qui voudraient le voir remplacé par un régime plus en phase avec les États-Unis et plus pro-business.

Briscoe critique le rapport de M. de Zayas qui est accusé de mettre l’accent sur la guerre économique menée par les USA mais qui, selon lui, passe sous silence l’impact d’un contexte difficile pour les affaires dans le pays, un contexte qui lui semble symptomatique du « Chavisme » et des échecs du gouvernement socialiste.

Il a déclaré que même si les sanctions étaient levées, le pays ne pourrait pas se rétablir avec les politiques publiques actuelles, ajoutant que le rapport de M. de Zayas est la production d’un « juriste qui essaie – sans succès – de comprendre ce que sont l’offre et de la demande ».

Cependant, Briscoe a reconnu avant la nouvelle de la tentative de coup d’État de Guaido que la tensions montait et que des agents américains opéraient sans doute en secret dans le pays.

« Oui, il se passe quelque chose. Oui, on parle d’une intervention militaire. Ce qui serait une très mauvaise idée. Mais le fait est que le plan a été conçu dans le contexte de la crise humanitaire », a-t-il dit.

Eugenia Russian, la présidente de FUNDALATIN, l’une des plus anciennes ONG de défense des droits humains au Venezuela, fondée en 1978 avant les gouvernements Chavez et Maduro et dotée du statut consultatif spécial auprès de l’ONU, a expliqué à The Independent ce que signifiaient ces sanctions.

« Au contact des populations, nous considérons que les sanctions coercitives unilatérales infligées à l’économie en particulier par le gouvernement des États-Unis sont l’une des causes fondamentales de la crise économique dans le pays », a dit Mme Russian.

Elle a ajouté qu’il y avait peut-être aussi des causes liées à des erreurs internes, mais que peu de pays dans le monde ont probablement subi un « siège économique » comme celui sous lequel vivent les vénézuéliens.

Ces sanctions s’inscrivent dans le cadre des manœuvres américaines visant à renverser le gouvernement vénézuélien et à mettre en place un régime plus favorable aux entreprises, comme cela a été fait au Chili en 1973 et ailleurs dans la région, a déclaré M. de Zayas.

« J’ai vu ce qui s’est passé au Conseil des droits de l’homme, comment les États-Unis forcent la main et arrivent à convaincre, par a menace économique, des pays à voter comme ils le souhaitent. On ne lit pas ça dans la presse », a déclaré à The Independent l’ancien haut responsable des Nations unies.

« Ce qui est en jeu, ce sont les énormes, énormes ressources naturelles du Venezuela. Et j’ai l’impression que si le Venezuela n’avait pas de ressources naturelles, tout le monde s’en ficherait de Chavez, de Maduro ou de qui que ce soit d’autre là-bas », a ajouté M. de Zayas.

Le Venezuela possède les plus grandes réserves de pétrole du monde et beaucoup d’autres ressources naturelles dont l’or, la bauxite et le coltan. Mais sous le gouvernement Maduro, les entreprises américaines et transnationales n’y ont pas facilement accès.

Les compagnies pétrolières américaines avaient beaucoup investi au Venezuela au début du XXe siècle, mais ont été écartées après que les Vénézuéliens eurent voté la nationalisation de l’industrie en 1973.

« Si vous écrasez ce gouvernement et que vous mettez en place un gouvernement néolibéral qui va tout privatiser et qui va tout vendre, beaucoup de sociétés transnationales vont réaliser d’énormes profits. Or ce sont ces sociétés transnationales qui prennent les décisions aux États-Unis », a déclaré l’ancien rapporteur spécial des Nations unies à The Independent.

« Les affaires des États-Unis sont les affaires. Et c’est ça qui intéresse les États-Unis. Et ils ne peuvent pas [actuellement] faire des affaire avec le Venezuela. »

Dans son rapport, M. de Zayas s’est dit préoccupé par le fait que ceux qui qualifient la situation de « crise humanitaire » sont les mêmes que ceux qui tentent de justifier un changement de régime et une « militarisation » des droits de l’Homme pour discréditer le gouvernement et rendre plus « acceptable » un renversement par la force.

Le gouvernement Maduro est responsable de « la pire crise des droits humains de l’histoire du pays », selon Amnesty.

« Le Venezuela traverse l’une des pires crises de son histoire en matière de droits humains. La liste des crimes de droit international contre la population s’allonge », a déclaré fin 2018 Erika Guevara-Rosas, directrice du programme Amériques d’Amnesty International.

« Il est inquiétant d’observer qu’au lieu d’appliquer des politiques publiques efficaces pour protéger les populations et réduire les niveaux d’insécurité, les autorités vénézuéliennes utilisent le langage de la guerre pour tenter de justifier l’usage excessif de la force par les responsables de la police et des armées, ainsi que, dans de nombreux cas, l’usage de méthodes létales dans l’intention de tuer. »

M. De Zayas a recommandé un dialogue entre la communauté internationale et les vénézuéliens pour améliorer leur gouvernement, plutôt que d’asphyxier le pays par des sanctions et de fomenter des coups d’État. Il a proposé que les abondantes ressources naturelles du Venezuela puissent contribuer à son rétablissement une fois les sanctions levées.

« La clef pour résoudre la crise c’est le dialogue et la médiation. Il n’y a rien de plus antidémocratique qu’un coup d’État et rien de plus destructeur pour la primauté du droit et la stabilité internationale que l’ingérence de gouvernements étrangers dans les affaires intérieures d’autres États », a-t-il déclaré à The Independent.

« Seuls les vénézuéliens ont le droit de décider, ni les États-Unis, ni le Royaume-Uni… Nous ne voulons pas d’une répétition du putsch de Pinochet en 1973… L’urgence est que l’aide internationale se montre solidaire du peuple vénézuélien – une véritable aide humanitaire et une levée de l’embargo financier afin que le Venezuela puisse acheter et vendre comme tout autre pays du monde – le bon sens et la bonne foi permettront de résoudre les problèmes. »

M. De Zayas a depuis signé une lettre ouverte avec Noam Chomsky et plus de 70 autres universitaires et experts, condamnant la tentative de coup d’État soutenue par les États-Unis contre le gouvernement vénézuélien.

Il a qualifié les développements récents de « totalement surréalistes ».

Mme Russian, parlant de la crise économique, a précisé : « Porter l’attention uniquement sur les erreurs ou les déficiences du gouvernement est insuffisant, il faut aussi voir le contexte créé par les pressions internationales que subit cette population. »

Source : The Independent, Michael Selby-Green, 26-01-2019

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

 

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