Derrière les réformes Macron: l’Euro !
Alors que le premier tour des élections législatives s’approche maintenant à grand pas, alors que les sondages promettent une large majorité au Président et à son parti La République en Marche, diverses fuites concernant les réformes sociales qui seront décidées cet été commencent à soulever une légitime émotion[1]. En effet, outre la méthode utilisée – les ordonnances – c’est bien le contenu de ces réformes qui pose aujourd’hui problème. Mais, ces réformes ne peuvent qu’être cohérentes avec les choix européens, et mêmes européistes, du Président. En fait, ce qu’il y a en surplomb au-dessus de ces réformes, c’est bien tant la question de l’Union européenne que celle de l’Euro. Les adversaires du président Macron et de son parti seront confrontés rapidement à une réelle question de cohérence. Soit ils acceptent les présupposés du Président, et ils seront en difficultés pour contester ces futures réformes, soit ils s’opposeront de manière cohérente et conséquente aux prémices de ces dernières, et ils pourront, alors, articuler une véritable critique du programme social d’Emmanuel Macron.
Les réformes qui viennent
Ces réformes, quelles sont-elles ? Le gouvernement entretient le flou sur cette question, et dément, en tout ou partie, les révélations qui ont été publiées dans la presse ces derniers jours. Mais, d’un autre côté, ces mêmes révélations sont tout à fait dans la logique de ce qu’avait déclaré Emmanuel Macron avant son élection.
Le point principal est certainement l’abandon des règles nationales, voire des règles de branches dans un certain nombre d’activité, pour donner la priorité aux accords d’entreprises. Ces accords d’entreprises pourraient décider des motifs de licenciements, du niveau des salaires, du temps de travail (et donc des heures supplémentaires) ou encore laisser le choix à l’entreprise d’user des CDD. De fait, cela aboutirait à créer une Code du Travail « à la carte » pour l’employeur. Par ailleurs, les indemnités de licenciements seraient plafonnées. Ces accords pourraient, sans que cela nécessite un accord des syndicats, être soumis directement à l’approbation des salariés de l’entreprise. De même, une grande réforme de l’assurance chômage est prévue conduisant à une couverture dite « universelle ». Mais, c’est une réforme qui, pour l’OFCE, aboutira dans les faits à baisser les indemnités chômage. En effet, les allocations de toutes les personnes ayant des trous dans leur parcours, comme par exemple avec quelques jours de battement entre 2 CDD, seraient ainsi diminuées. Cette diminution pourrait ainsi potentiellement concerner de 20% à 50% des demandeurs d’emplois, son ampleur dépendant alors des paramètres retenus, paramètres qui ne sont pas encore fixés[2]. Enfin, le gouvernement prévoit de supprimer une partie des cotisations sociales (ce qui augmenterait techniquement les salaires) en recourant à une augmentation importante de la CSG, augmentation qui est évaluée aujourd’hui à environ 21 milliards d’Euros, soit 1% du PIB, et qui serait payée par les retraités au-dessus de 1200 euros de pension de retraite.
Si la procédure des ordonnances est bien utilisée, alors ces réformes pourraient être adoptées dès le mois de septembre 2017. Ces réformes, on peut le constater à travers les projets qui ont « fuité » depuis ces derniers jours, aggravent considérablement la déjà très néfaste loi « Travail » dite aussi Loi El-Khomri.
Des réformes qui ne règleront rien
Au-delà du tour de passe-passe sur les cotisations et la CSG, on voit bien que toutes ces mesures tendent d’une part à fragiliser la positions des salariés face aux employeurs, et c’est le produit de la logique de la négociation dans l’entreprise et non de la négociation collective, et d’autre part à faire baisser le niveau des salaires. Les conséquences ces réformes pourraient, alors, se révéler dramatique tant pour les salariés que pour les entreprises.
La fragilisation de la position des salariés provenant de l’émiettement des négociations entreprises par entreprises aura des implications importantes sur les conditions de travail. Or ces dernières se sont déjà dégradées depuis ces dernières années. La possibilité pour les entreprises de déterminer dans les faits la durée légale du travail entrainera une baisse des heures supplémentaires, qui – à son tour – entrainera une perte de salaire pour les employés. La possibilité pour les entreprises de fixer les motifs de licenciements et le plafonnement des indemnités en cas de licenciement abusif vont donner aux entreprises la possibilité d’exercer un chantage et à la baisse des salaires (compte tenu de l’existence d’une important volant de chômeurs) et à la dégradation des conditions de travail.
Ces mesures, qui seront évidemment profitables pour les entreprises et leurs actionnaires, se traduiront par une compression de la demande solvable en France. Or, la demande solvable est aussi comprimée chez nos voisins, de l’Allemagne à l’Espagne, en passant par l’Italie et le Portugal. Si les profits des entreprises vont profiter de ces réformes, le niveau général d’activité va quant à lui décliner. En effet, le volume de production dépend des anticipations quant à la demande, et de leur mouvement soit à la hausse, soit à la baisse. Si les entreprises anticipent une stagnation, voire une contraction de cette demande, elles utiliseront les moyens crées par ces réformes pour licencier encore un peu plus. Ce que va provoquer cette vague de réformes que le gouvernement et le Président entendent rapidement mettre en œuvre, ce sera donc une hausse des profits, une baisse de la demande entraînant de nouveaux licenciements qui, à leur tour feront baisser la demande, entraînant encore plus de licenciements. Le gouvernement, confronté à cette situation, proposera certainement des nouvelles réformes, aggravant encore plus la situation, au début de 2019…
Derrière ces réformes, l’ombre de l’Euro et de l’Union européenne
Il n’en reste pas moins qu’en apparence, ces réformes ont une justification. Les écarts de salaire minimum au sein de l’Union européenne sont énormes[3] : de 9 à 1 entre la France et la Roumanie et la Bulgarie, de 3,5 à 1 entre la France et la Pologne, la Hongrie, la République Tchèque et la Slovaquie, de 2 à 2,5 pour 1 par rapport à l’Espagne, au Portugal ; Le salaire minimum français est supérieur de 10% au niveau de celui du Royaume-Uni et de l’Allemagne mais de plus ces derniers pays ont des dispositions qui permettent aux entreprises, sous certaines conditions, d’embaucher sous le plafond légal. Et ceci ne concerne que les pays qui ont une loi fixant un salaire minimum, ce qui n’est pas le cas de l’Italie et de la Finlande. Bien entendu, le fait que la productivité du travail soit particulièrement élevée en France compense, en partie, ces écarts. Mais en partie seulement. Aves le « marché unique », mais aussi la liberté totale des capitaux, les grandes entreprises peuvent développer dans les pays où le coût du travail est très bas des usines dont la productivité se rapproche rapidement de celle des usines en France. Dès lors, une première constatation s’impose : le « marché unique », qui est l’un des piliers de l’Union européenne, produit une logique de course au « moins disant/moins coûtant » qui se propage dans l’ensemble de l’UE. Si les entreprises bénéficient de cette course, les salariés sont bien entendu les premiers perdants.
La logique du « marché unique » aurait cependant pu être compensée par des mouvements de taux de change, produisant une réévaluation des pays où les coûts sont bas, et une dépréciation des monnaies des pays où les coûts (corrigés par la productivité) sont hauts. Mais, un tel mécanisme ne peut exister à partir du moment où existe la « monnaie unique », c’est à dire l’Euro. L’Euro interdit toute modification des taux de changes. Par ailleurs, les taux d’inflation sont assez différents entre les pays de la zone Euro (l’Union Economique et Monétaire). De ce fait, on constate, de plus, que l’Euro à conduit à l’existence d’un écart de 20% à 25% entre l’Allemagne (qui est la grande bénéficiaire de l’Euro) et la France ou l’Italie.
Le résultat est là : quand on ne peut pas jouer sur le taux de change pour corriger des déséquilibres importants il ne reste plus qu’à faire baisser les salaires. Telle est la logique, à peine cachée, des réformes que proposent Emmanuel Macron et son Premier-ministre Edouard Philippe.
Pourquoi la « dévaluation interne » est-elle une impasse
On dira cependant que si l’on pouvait faire baisser TOUS les prix (qui sont des coûts pour les entreprises et les consommateurs), alors la baisse des salaires nominaux pourrait se faire à salaires réels constants. C’est ce que l’on appelle une « dévaluation interne », par comparaison à ce qui se passe quand un pays déprécie sa monnaie. C’est ce discours que le gouvernement tente de nous vendre en contrebande. Mais, cela n’a jamais eu lieu.
D’une part, il y a des coûts (et des prix) qui sont fixes, et qui ne dépendent pas du gouvernement : les loyers (pour les entreprises et les ménages), les frais financiers. D’autre part, on a des prix (ou des coûts) qui s’ajustent bien moins vite que ne s’ajustent les salaires. C’es pourquoi, toutes – et je dis bien TOUTES – les tentatives de dévaluation interne ont toujours été bien plus dramatiques.
Pourquoi ? La raison est simple à comprendre. Une dépréciation de la monnaie revient à déprécier l’unité de compte d’un pays par rapport aux autres pays. De ce fait TOUS les prix (et tous les coûts) sont dépréciés INSTANTANEMENT par rapport aux autres monnaies. Il n’y a plus de prix fixes, ou de prix qui s’ajustent lentement qui tiennent. Mais, on peut objecter que les prix des produits IMPORTES augmentent. C’est vrai. Mais, que représente cette augmentation ? D’une part, plus de 50% des dépenses des ménages sont liées à des achats de biens et services fabriqués en France, qui eux ne bougent pas. Autrement dit, en terme de budget d’un ménage, si le « Franc » se dépréciait de 10% la hausse des coûts ne serait que de 5%. Mais, là encore, c’est un raisonnement trop simpliste. En fait, il y a un processus de substitution des productions dites « nationales » aux productions importées qui se met en œuvre.
Prenons l’exemple de la Russie, dont la monnaie s’est dépréciée de 45% à 60% de fin 2014 à fin 2016. Si l’on calcule la hausse de l’inflation induite par cette dépréciation (en sachant que la Russie avait, en situation de taux de change stable, une inflation de 6,5% par an), on constate que sur 3 ans les prix se sont accru de 16% au total. Autrement dit, le rapport entre la dépréciation de la monnaie et la hausse des prix, sur trois ans, a été de 3 à 4 pour 1. Donc, si l’on applique cela à une dépréciation du « Franc », en cas de sortie de l’Euro, de 10%, cela veut dire que l’inflation totale induite par cette dépréciation sur une période de trois ans, pourrait n’être que de 2,5% à 3,3% au total.
Le choix de ces élections législatives
On peut maintenant résumer les arguments.
- Les réformes qu’Emmanuel Macron veut imposer, si jamais il obtient la majorité au Parlement, se traduiront, que ce soit directement ou indirectement par une lourde ponction sur les revenus des travailleurs en France et plus généralement sur les revenus des ménages.
- Cette ponction peut être calculée en raison des effets de concurrence induits tant pas le « marché unique » que par l’Euro. On constate alors que pour stabiliser la situation économique de la France, il faudra faire baisser les revenus (et les salaires) de 20% à 25% AU MINIMUM. C’est ce que ne dit pas Emmanuel Macron, mais que l’on peut déduire de ses engagements européens (et européistes). C’est ici que se joue la cohérence de la politique économique : si l’on ne veut pas toucher à la monnaie unique ALORS une baisse des salaires et des revenus des pensions est impérative du fait de la concurrence entre pays de l’UE.
- Cette ponction aura un fort effet dépressif sur l’économie française, et engendrera une nouvelle montée du chômage. Par contre, le taux de profit des entreprises (taux de marge) augmentera, mais sans effet sur une relance ultérieure car ce n’est pas par rapport aux taux de profit passé que se déterminent les directions des entreprises mais par rapport au volume des ventes potentielles dans le futur.
- Si l’on avait adopté une autre politique, et à dire vrai il n’y en a pas trente-six, il n’y a QUE la sortie de l’Euro, alors, pour un coût modique en matière d’inflation, nous aurions pu (et l’ensemble des pays du « Sud » de l’Europe qui nous auraient alors suivis) récupérer la majeure partie de l’excédent commercial allemand (environ 200 milliards d’Euros par an) et rétablir non seulement les équilibres ENTRE les pays de l’UE mais aussi les équilibres en France, car cela se serait traduit par une hausse de l’emploi, qui aurait conduit tant à accroitre les recettes des régimes sociaux que les recettes fiscales. Rappelons à cet effet que les exonérations fiscales (qui sont en partie nécessaires du fait de l’existence de l’Euro) coûtent au budget de l’Etat 83 milliards par an, soit plus de 4% du PIB, soit plus que la totalité du déficit budgétaire !
Pourquoi la sortie de l’Euro est aujourd’hui centrale
C’est la raison pour laquelle le démantèlement de l’Euro et s’il le faut la sortie unilatérale de la France, n’est pas, comme on l’entend parfois, une « lubie » d’économistes ou encore une position idéologique dictée par on ne sait quel nationalisme, mais bien la condition nécessaire à l’arrêt des politiques meurtrières menées par François Fillon avant-hier, par François Hollande (et son conseiller économique de l’époque, Emmanuel Macron) hier, et qui seront menées demain par ce même Emmanuel Macron, s’il obtient une majorité absolue au Parlement.
Parler d’une « relance » de l’activité en restant dans l’Euro et sans toucher aux principes du « marché unique » ne peut être qu’un faux semblant qui conduira immanquablement, si l’on va jusqu’au bout de la logique, qu’à faire exploser la dette publique.
La sortie de l’Euro et la remise en cause du « marché unique » ne sont donc pas des « suppléments d’âmes » pour des politiques à la recherche de voix, mais les leviers absolument indispensables pour la mise en place d’une autre cohérence économique, d’une autre politique, et pour la défense de notre modèle social. Car, il faudra choisir : ou conserver l’Euro et s’attendre à une régression sociale extraordinaire qui frappera plus des trois-quarts des français (et sans doute près de 90%), ou choisir de rénover et de défendre notre modèle social mais en se débarrassant de l’Euro. Ce qu’il est IMPOSSIBLE de faire, c’est prétendre défendre le modèle social français, telle qu’il s’est construit, dans des luttes mais aussi des compromis, depuis 1945 et conserver l’Euro.
[1] http://www.leparisien.fr/politique/exclusif-le-plan-de-macron-pourreformer-le-travail-04-06-2017-7017384.php#xtor=AD-1481423553 et http://www.lemonde.fr/politique/article/2017/06/07/reforme-du-code-du-travail-pasd-agenda-cache-assure-la-ministre-du-travail_5139834_823448.html
[2] http://www.capital.fr/economie-politique/assurance-chomage-version-macron-un-chambardement-qui-ne-ferait-pas-que-des-heureux-1223893
[3] Je cite ici des chiffres d’Eurostat en salaire brut.