Deux mois après l’assassinat de son fils à Grenoble, la mère d’Adrien Perez dénonce “le mépris” d’Emmanuel Macron
Le 29 juillet, Adrien Perez était tué à coups de couteau devant une discothèque de Grenoble. Sa mère dénonce aujourd’hui l’abandon des pouvoirs publics et rend publique sa lettre à Emmanuel Macron.
Deux mois après la mort de son fils, tué à Grenoble alors qu’il portait secours à l’un de ses amis agressé, la mère d’Adrien Perez dénonce le silence des pouvoirs publics. Mi-août, elle avait adressé un vibrant appel à Emmanuel Macron dans un courrier qui lui était adressé. Depuis, le temps a passé, mais son message est demeuré lettre morte. Un mutisme insupportable, qui la pousse aujourd’hui à rendre public le texte. Elle s’en explique à Valeurs actuelles.
Valeurs actuelles. Deux mois après la mort d’Adrien, votre fils, qui avait porté au secours d’un ami qui se faisait agresser dans une boîte de nuit, vous n’avez reçu aucun message du chef de l’Etat. Comment expliquez-vous ce silence d’Emmanuel Macron et des services de l’Etat ?
Patricia Perez. Pour nous, ce silence signe le mépris de la classe dirigeante à l’égard d’une partie du peuple français. Mais peut-être le président était-il également trop occupé à gérer les affaires estivales qui entachent son quinquennat…
Pourquoi décidez-vous aujourd’hui à publier la lettre que vous avez adressé à Emmanuel Macron et qu’attendez-vous du président ?
Si nous avons décidé de publier aujourd’hui cette lettre, c’est que celle-ci, malgré le caractère gravissime de ce qu’elle relate et dénonce, n’a reçu aucune réponse de la part du chef de l’État.
Dans l’agglomération grenobloise ces derniers mois, comme vous le regrettiez avec votre mari, les drames s’accumulent et les marches se succèdent sans que rien ne change. Les « racailles », selon vous, ont pris le pouvoir ?
La délinquance a clairement pris le pouvoir à Grenoble. Pas une semaine ne passe sans que la violence d’un petit nombre qui fait régner la terreur ne s’exprime. C’est malheureux, mais la peur fait désormais partie de notre quotidien.
Lettre de Bruno et Patricia Perez à l’attention d’Emmanuel Macron
Le mercredi 15 août 2018
Monsieur le Président de la République
Palais de l’Elysée
55 rue du Faubourg-Saint-Honoré
75008 Paris
Monsieur le Président de la République,
Le 29 juillet 2018, au petit matin, notre fils, Adrien Perez, a été sauvagement assassiné par deux frères. Poignardé en plein coeur, notre enfant nous a été enlevé de la plus brutale des manières alors qu’il fêtait son vingt-sixième anniversaire dans une boîte de nuit de la banlieue grenobloise.
Son tort ? Avoir porté secours à un couple d’amis agressé par deux voyous – cet euphémisme nous coûte pour les qualifier. Ces deux individus, frères de sang et d’assassinat, sont, comme bien souvent, connus des services de police. Elevés dans la haine et le mépris de l’autre, ils sont deux des plus viles et pathétiques incarnations de ce qu’une éducation dénuée du moindre principe moral peut produire. Ils sont aussi et peut-être surtout l’insupportable engeance d’une France qui, par son incapacité à répondre fermement à la délinquance, produit un sentiment d’impunité croissant conduisant des jeunes gens à sortir armés d’un couteau et à s’en servir sans le moindre scrupule dès lors que quelqu’un ou quelque chose leur déplaît.
Notre Adrien était l’opposé de ces sauvages. Collaborateur chez Clauger où il était promis à une brillante évolution professionnelle, il fait partie de cette génération de jeunes gens parfaitement intégrés à la société civile. Aimé de tous, il incarnait au quotidien les valeurs de respect, d’honnêteté et de générosité qui sont le ciment d’une société policée. Il l’a payé de sa vie. Depuis sa disparition, notre vie s’est arrêtée, notre monde s’est écroulé. Nous parvenons tout juste à survivre grâce à notre fille qui a besoin, après la perte brutale de son frère, de se reposer sur des parents forts et dignes.
Notre lettre ne se veut pas seulement l’expression de l’incommensurable douleur de parents privés de leur fils, elle est également le cri de révolte de citoyens français frappés une nouvelle fois par une violence aveugle et endémique. Notre Adrien n’est pas la première victime des sauvages de l’agglomération grenobloise : le 28 septembre 2012, Kévin Noubissi et Sofiane Tadbirt ont été lynchés par douze individus dans un parc d’Echirolles ; le 26 octobre 2013, Julien Praconté a été tué à la sortie d’une discothèque du quartier Hoche ; le 5 novembre 2015, Grégory Baharizadeh a été mortellement poignardé en pleine rue par un mineur âgé de seize ans dont il avait simplement soutenu le regard ; le 16 juillet 2016, Salim Belhadj a été victime d’une meurtrier coup de couteau dans le quartier Hoche… Au coeur de cette tragique litanie de vies brisées, nous songeons également à Marin, laissé pour mort à Lyon après avoir défendu un couple qui s’embrassait. Jean-Yves Coquillat, procureur de la République de Grenoble, a dénoncé « une ville pourrie et gangrénée par le trafic de drogue » tout en précisant que la réponse répressive de la France n’était pas à la hauteur de la gravité de la situation grenobloise. A l’issue de la marche blanche en l’honneur d’Adrien, la municipalité a révélé aux micros de BFMTV qu’elle avait sollicité des moyens policiers supplémentaires qui lui ont été refusés par Gérard Collomb, votre ministre de l’Intérieur.
Que font nos élus censés assurer la sécurité de leurs concitoyens ? Devons-nous conclure, après cette nouvelle tragédie, que les représentants d’un Etat de droit s’avèrent incapables de mettre fin au règne sauvage d’une minorité qui empoisonne le quotidien de millions de Français ? Nos élus ont-ils si peur de ces gens ou ont-ils un intérêt à les laisser prospérer et tuer ? La France a clairement renoncé à imposer la République dans certains territoires, complaisamment ou lâchement abandonnés à la délinquance. Sachez, Monsieur le Président de la République, que ce renoncement a un prix : celui de notre fils.
S’ajoute à la douleur de la perte d’un enfant, l’indignation face au silence assourdissant d’une partie de la classe politique française. Le mutisme de votre gouvernement et de votre majorité est-il la manifestation d’un mépris de caste face à la souffrance du commun des mortels ou l’expression de la conscience coupable d’hommes et de femmes ayant le pouvoir de mettre fin au règne de la violence mais refusant, par manque de courage et de conviction, de le faire ? Il nous semble, Monsieur le Président de la République, que votre gouvernement et vous-même avez l’indignation et l’admiration sélectives. Notre fils perdant la vie en tentant de défendre ses amis violemment pris à parti par des sauvages ne mérite-t-il pas autant votre sollicitude que tant d’autres reçus sous les ors du palais de l’Elysée ? Aurait-il fallu que les amis de mon fils, au lieu d’organiser une marche blanche silencieuse, pacifique et apolitique, mettent Grenoble à feu et à sang pour attirer votre attention et celle des pouvoirs publics ?
Liberté… Elle disparaît lorsque l’Etat s’avère incapable d’assurer la sécurité de chacun.
Egalité… Elle disparaît lorsque l’Etat consent à ce qu’une minorité meurtrière fasse régner la terreur.
Fraternité… Elle disparaît lorsque l’Etat laisse la violence régir les relations sociales.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre très haute considération.
Bruno et Patricia Perez