De notre correspondant à Washington,
Donald Trump a tenté un coup de poker politique mardi soir en limogeant sans préavis le directeur du FBI. James Comey l’avait jusqu’ici bien servi en rendant publics des pans de son enquête sur Hillary Clinton à des moments clefs de la campagne. Sur recommandation du ministre de la Justice, Jeff Sessions, il est maintenant viré pour cette même raison, alors que la police fédérale enquête sur des soupçons de collusion entre le président, son entourage et le Kremlin…
La décision de Trump ne sort pas des prérogatives présidentielles. Bill Clinton avait licencié le directeur William Sessions en 1993, auquel on reprochait des infractions à l’éthique et la désorganisation du Bureau. Mais la règle veut que le patron du FBI survive aux transitions politiques durant son mandat de dix ans. Si le Congrès soupçonne que Comey est en fait victime d’un limogeage politique par un président que ses enquêtes menaçaient, les ennuis de Trump ne font que commencer. Aux Etats-Unis, les mascarades juridiques finissent souvent en scandales politiques coûteux pour les puissants qui s’y prêtent.
Règles de confidentialité
Le département de la Justice, via un memorandum de l’Attorney General adjoint Rod Rosenstein, fait grief à James Comey d’avoir enfreint les règles de confidentialité requises du FBI lorsque, le 5 juillet 2016, il a tenu une conférence de presse pour recommander la clôture de l’enquête sur les courriels de Hillary Clinton. Puis en écrivant au Congrès le 28 octobre – dix jours avant le scrutin – pour faire savoir qu’il avait rouvert l’enquête contre la candidate démocrate. Un épisode qui avait fait dire à Donald Trump que Comey avait «restauré son honneur» – et à Hillary Clinton qu’il a fait pencher la balance en sa défaveur.
Témoignant la semaine dernière devant le Congrès, Comey avait déclaré que «des centaines, voire des milliers» de courriels de Clinton contenant des documents classés secrets avaient atterri sur l’ordinateur d’Anthony Weiner, alors marié à sa plus proche collaboratrice Huma Abedin. Mardi, il a corrigé cette déclaration, seuls «quelques e-mails» étant concernés.
Comey, 57 ans, dirigeait le FBI depuis septembre 2013. Ancien Attorney General adjoint sous Bush, il avait été nommé par Obama et confirmé par le Sénat par 93 voix contre une. «Le prétexte pour le virer est ridicule», affirme Jeffrey Toobin, ancien procureur et chroniqueur juridique du New Yorker. Nombre de commentateurs et d’élus évoquent déjà le «massacre du samedi soir»: le 20 octobre 1973, Richard Nixon avait, dans un geste désespéré pour échapper au piège du Watergate, limogé le procureur spécial chargé de l’enquête, Archibald Cox, entraînant la démission de son ministre de la Justice Elliott Richardson et de son adjoint.
Une grosse erreur
«C’est nixonien», a réagi le sénateur démocrate de Pennsylvanie Bob Casey. «Choquant, profondément troublant», a renchéri son collègue Mark Warner de Virginie. «Pourquoi maintenant?, a lancé Charles Schumer, le chef des démocrates au Sénat. Ce n’est pas une coïncidence» après la révélation, en avril, que l’enquête sur les interférences russes durant la campagne englobait depuis juillet le soupçon de collusion entre l’équipe Trump et le Kremlin.
Les démocrates au Congrès, appuyés par quelques puissants sénateurs républicains, ont demandé la nomination d’un procureur spécial doté de pouvoirs étendus – comme dans le Watergate. Une requête relayée par la plupart des élus démocrates et quelques républicains, comme John McCain, mais écartée ce mercredi par la Maison-Blanche, jugeant que cela n’était pas «nécessaire» selon la porte-parole de Trump, Sarah Huckabee Sanders.
La commission du renseignement du Sénat, qui enquête, comme la Chambre des représentants, sur le rôle de la Russie dans la campagne, a récemment demandé au Trésor de lui transmettre tous documents financiers ou fiscaux pertinents liés à Donald Trump ou à ses proches.
La lettre de licenciement adressée mardi par Donald Trump à James Comey l’a surpris à Los Angeles: le «breaking news» est apparu sur les écrans alors qu’il était en train de parler aux employés de l’antenne locale du FBI. Le document a été délivré en personne par le chef de la sécurité du président, Keith Schiller. La présence de cet ancien policier au siège du Bureau fédéral à Washington a suscité des spéculations sur sa possible nomination comme successeur de Comey. Mais le Sénat, qui doit valider cette nomination, veut quelqu’un d’indépendant du pouvoir exécutif. Le mandat de dix ans vise justement à placer le directeur du FBI au-dessus de la mêlée.
La lettre de Trump fait étrangement référence à «trois occasions où vous m’avez informé que je ne fais pas l’objet d’enquêtes». La Maison-Blanche n’a pas souhaité donner plus de précisions. Avant d’annoncer le limogeage de Comey, Donald Trump a téléphoné aux leaders du Congrès pour les prévenir. Charles Schumer l’a mis en garde: «C’est une grosse erreur». «OK, a répondu le président. On verra».