Emmanuel Macron se nomme chef des services secrets

Emmanuel Macron prend en main le renseignement français avec la création, à l’Élysée, d’une unité chargée de la coordination et avec le remplacement de tous ses responsables. Une révolution dans ce monde feutré.

L’Elysée prend le contrôle de la lutte antiterroriste. En créant cette semaine le Centre national de contre-terrorisme (CNCT), Emmanuel Macron transforme le coordinateur du renseignement en véritable patron d’une équipe de 19 agents, chargée d’un pilotage stratégique. Une mini-révolution en cours dans le monde feutré du renseignement, puisque pour la première fois, une « équipe stratégique » s’installe à la présidence. D’autres étapes sont à venir, avec de nouvelles nominations dans les services, et de nouvelles dispositions antiterroristes, attendues au Conseil des ministres du 21 juin. « On sort de décennies de non-dits, pendant lesquelles l’Elysée pilotait ces questions sans vraiment apparaître. Maintenant, Macron a l’air de vouloir assumer », analyse un homme de l’ombre.

De fait, si le président sous la Ve République est le chef des Armées, rien n’a jamais été vraiment codifié concernant ces armées secrètes. « Il y a deux particularités françaises, confie une source interne. Nos services secrets sont à la fois émiettés, pour qu’ils se surveillent entre eux, et traînent une réputation sulfureuse. » Fruit d’une longue série de scandales retentissants, de l’affaire Dreyfus au Rainbow Warrior. De fait, le pilotage par l’Elysée dans ce domaine s’est toujours mené « au coup par coup » et « le plus discrètement possible au cas où ».

Macron est l’enfant des séries télé et de cette époque qui change.

Ces temps-là, menace terroriste oblige, sont en train de changer. La DGSE, pour la première fois de son histoire n’a-t-elle pas collaboré, même de façon officieuse, à la série du Bureau des légendes, alors que depuis longtemps Hollywood et la CIA travaillent sur des scénarios communs? « Macron est l’enfant des séries télé et de cette époque qui change », analyse un ancien agent, qui a conseillé le candidat en direct.
Autre particularité de l’actuel président, les leçons à ne pas suivre de l’Elysée sous François Hollande.

Pendant des mois, Bernard Bajolet, le puissant patron de la DGSE, ne rendait aucun compte au ministère de la Défense, n’adressant plus la parole au directeur de cabinet du ministre, mais exclusivement, en direct, au Président… Une rivalité ingérable née de l’affaire des otages enlevés à Arlit, au Niger, en 2010. Un premier réseau, monté par la DGSE, aurait été doublé par un second, avalisé par l’Elysée et piloté depuis la défense… « Des tensions inutiles ; ce n’est que vers la fin du quinquennat que la coordination opérationnelle entre les services a bien fonctionné », assure un expert. En matière de lutte antiterroriste, la question centrale est celle de la coordination. Comment croiser les signaux? Comment maximiser l’exploitation de la collecte? Comment raccourcir les temps de réaction?

La task force? « Ce truc-là plaît aux journalistes »

Dès l’automne, un tandem composé de l’ancien diplomate François Heisbourg et de l’ex-patron de la DGSE Jean-Claude Cousseran, et d’autres, ont sensibilisé le candidat Macron à ces questions. « On a produit quelques notes, minimise un peu Heisbourg, qui ont insisté sur la nécessité d’une coordination à l’Elysée. C’est le sens de l’histoire, ce que font déjà les Allemands, les Anglais, les Américains, mieux que nous… » Lors de la présidentielle s’est ensuite imposée l’idée d’une task force, inspirée par Jean-Claude Mallet, conseiller spécial de Le Drian. « Ce truc-là plaît aux journalistes, ça marche dès qu’on en parle », a analysé en premier le porte-parole d’En marche!, Benjamin Griveaux. « Face au terrorisme, il faut sans cesse expliquer aux Français qu’on fait quelque chose de nouveau », confie une source gouvernementale haut placée. Au départ donc, l’idée de la « task force anti-Daech » présente un double avantage : être à la fois une annonce de campagne populaire, et une promesse opérationnelle pour les services.

Ce n’est qu’après l’élection d’Emmanuel Macron qu’un premier malentendu est apparu. Celui de l’ampleur du dispositif. Quand le porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner, a évoqué « une soixantaine » de personnes travaillant au CNCT, les services secrets, pour la première fois, se sont inquiétés. Plusieurs alertes sont aussitôt remontées à l’Elysée sur la nécessité « de replier la voilure », et de ne surtout pas « créer de structure opérationnelle » qui « déshabillerait les équipes existantes ». C’est Patrice Strzoda, chef de cabinet du Président, qui a reçu une série de doléances. C’est aussi lui, en connaisseur de la carte préfectorale, qui a présenté le profil de Pierre de Bousquet de Florian au chef de l’Etat pour diriger le CNCT. Jean-Claude Mallet, pressenti, aurait fait les frais de la purge des hommes de Le Drian… Tout comme Cédric Lewandowski, ancien bras droit du ministre de la Défense, sèchement renvoyé à EDF alors qu’il ambitionnait de diriger la DGSE. En clair, Macron a gardé Le Drian, mais a démonté son système à la défense, jugé trop fort et trop autonome.

Une équipe soudée

Haut fonctionnaire spécialiste des questions de renseignement, Pierre de Bousquet de Florian, ancien patron de la DST jusqu’en 2007, a l’avantage d’être un homme neuf, puisqu’il sort de dix ans de placard, pour cause de fatwa sarkozyste après l’affaire Clearstream. « Sarkozy le détestait, il lui reprochait sa loyauté suspecte à Villepin, glisse un préfet. Macron n’a rencontré Bousquet qu’une fois, récemment, pour lui proposer le poste, et il n’avait vu le patron de la DGSE, Bernard Emié, comme ambassadeur, qu’une seule fois, à Londres. Ce sont des choix sur profil », assure une source gouvernementale.

Le Président a surtout acheté l’idée d’une équipe soudée. Bousquet et Emié, très amis, se connaissent depuis leurs quatre années communes à l’Elysée, sous Chirac, en 1995. Le premier était conseiller technique à l’Outre-mer, le second à la cellule diplomatique. « Ils ont aussi travaillé ensemble en 2005, au moment de l’assassinat de Rafic Hariri au Liban, quand Emié était ambassadeur, et Bousquet à la DST », raconte un expert. Le nouveau patron de la DGSE a plusieurs cordes à son arc. Spécialiste du Moyen-Orient, en poste au Liban et en Turquie (où il a connu comme chefs de poste deux des principaux chefs de service actuels de la DGSE), Bernard Emié travaille depuis des années les questions de sécurité. « Comme Bousquet, c’est un chiraquien loyal », analyse-t-on à la Piscine, où certains auraient bien voulu, pour la première fois, qu’un homme du sérail soit nommé directeur.

Objectif pour Macron : être au courant de l’essentiel, en temps réel, et sans fausse note

Autre atout en faveur de Bousquet : sa complicité avec Thierry Matta, numéro 2 de la DGSI depuis cinq ans, son ancien directeur de cabinet à la DST. « Macron a rendu un hommage appuyé à Matta lors du dernier conseil de défense, et s’il a nommé le préfet Laurent Nunez à la tête de la DGSI, Matta fera l’interface », analyse un expert. Bousquet tutoie aussi l’actuel patron de la gendarmerie, et le patron du renseignement territorial. « Avant tout, le Président a demandé au futur patron du CNCT d’animer une équipe, confie une source haut placée. Il a expliqué à Bousquet sa préoccupation de voir tout le monde travailler ensemble, que les choses soient plus fluides, articulées, sans copie cachée. »

Le jeune chef de l’Etat a choisi sa vieille garde, énarque et chiraquienne, avec un objectif : être au courant de l’essentiel, en temps réel, et sans fausse note. « Sans remontées en tuyaux d’orgues », dit-on dans le jargon des services pour désigner le pire : les coups tordus.

En 1982, un précédent fâcheux

La création d’une structure de centralisation et de traitement du renseignement à l’Élysée à des fins de lutte contre le terrorisme n’est pas totalement inédite. En réalité, elle comporte un précédent – et un précédent fâcheux. En 1982, sous la présidence de François Mitterrand, la création d’une « cellule antiterroriste » composée de gendarmes et de policiers devait figurer la volonté d’efficacité du pouvoir sur ce front, après l’attentat sanglant de la rue des Rosiers à Paris (6 morts, 22 blessés).

Sous la direction de l’ancien chef du GIGN Christian Prouteau, cette unité, dont l’existence légale ne fut jamais officialisée, se livra surtout à des pratiques d’espionnage étrangères à son objet, plaçant sur écoutes téléphoniques des dizaines de personnalités des médias, de la politique voire du spectacle sous des prétextes divers. En 2005, les anciens dirigeants de la cellule et plusieurs ex-collaborateurs de François Mitterrand ont été condamnés par la justice pour ces faits.

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