Faut-il appeler de nos vœux l’avènement des cryptomonnaies ?
Par Valérie Bugault
Valérie Bugault nous propose une série de deux articles en écho à l’interview de Xavier Moreau publiée récemment sur le site des Non Alignés. Dans ce second article, elle commente l’analyse que Xavier Moreau fait du Bitcoin et développe sa vision.
1 – Analyse du contexte : aspect géopolitique des cryptomonnaies
Nous sommes, avec les cryptomonnaies, dans la continuité de la conception mercantile du monde d’origine anglo-saxonne consistant à valoriser économiquement l’échange de données dématérialisées. Le bitcoin, comme toute cryptomonnaie, est en effet adossé sur l’échange informatique de données ; ce qui nous ramène à la « propriété économique » selon laquelle les données appartiennent à ceux qui les utilisent et non à la ou aux personne(s) de qui elles émanent, à la réserve près que les utilisateurs sont, très partiellement, également les personnes dont émanent lesdites données.
Les cryptomonnaies ont une double fonction : à la fois unité de mesure et réserve de valeur. Or, comme nous l’avons analysé dans notre livre 1, la conception de la monnaie comme une « réserve de valeur » s’oppose directement à l’efficacité de l’utilité sociale de la monnaie, qui est sa raison d’être fondamentale.
Lorsque la monnaie est considérée comme un bien (« une marchandise » dans le langage des économistes) rien ne peut s’opposer à ce que la valeur de la monnaie fluctue en fonction du niveau de l’offre et de la demande, ce qui génère une volatilité structurelle de son cours, qui nuit à la sécurité nécessaire aux échanges. Qui plus est, en cas d’accaparement, la monnaie circule en quantité insuffisante pour répondre aux réels besoins d’échanges économiques. À l’opposé, générée en quantité exagérée, la monnaie induit alors l’apparition de crises, de vastes mouvements de spéculation et d’appauvrissement qui se traduisent de façon mécanique, à la fin du cycle, par une augmentation de la concentration des richesses dans les mains de ceux qui contrôlent ladite monnaie. Ces phénomènes, qui nuisent à la sécurité des transactions, empêchent donc, de façon structurelle, à la monnaie de remplir sa fonction essentielle qui est de faciliter les échanges et d’assurer leur fluidité.
Les cryptomonnaies sont, tout comme l’actuelle conception monétaire, des monnaies falsifiées : elles sont, dès le départ, conçues pour être des monnaie-marchandises. À ce titre elles sont, bien entendu, susceptibles (par construction) d’accaparement et de manipulation de leur cours ; on pourrait même aller jusqu’à dire que les cryptomonnaies sont conçues ab initio comme une « invitation aux manipulations de tous ordres ». Les cryptomonnaies sont mises sur des places financières, elles-mêmes dématérialisées (marché). Il en résulte que la valeur de chaque cryptomonnaie augmente à mesure non seulement du nombre d’échanges dont la transaction dématérialisée initiale (échanges de données dématérialisées) fait l’objet, mais aussi et surtout en fonction du nombre de demandes dont cette monnaie fait l’objet sur les marchés.
N’oublions pas que le système des cryptomonnaies est né, sous la forme initiale de bitcoin, dans le plus complet anonymat, juste après la crise de 2007. Il faut en tirer plusieurs enseignements :
– L’anonymat est un très mauvais signe ; il est d’ailleurs maintenant démontré que cet anonymat cache en réalité une activité liée à des services de renseignements. 2 ;
– Il se pare de bonnes intentions (liberté, monnaie libre etc.) mais n’apporte, ni en termes de valorisation, ni en cas de vol, de sécurité supplémentaire à ses usagers par rapport au système monétaire actuel ;
– Ce système arrive à point pour rendre le « service » de la disparition des espèces tellement désirée par les « banquiers » ; disparition qui se fera donc avec le consentement des « victimes » ce qui est de loin très préférable pour les tireurs de ficelles ;
– S’agissant des cryptomonnaies gérées et diffusées par les « banques centrales » leur gestion restera sous le contrôle de ces dernières, ce qui n’apporte aucune nouveauté monétaire réelle par rapport au système actuel ; il s’agit alors seulement de changer la forme extérieure de la monnaie pour aller vers plus de dématérialisation tout en raffermissant le contrôle de la circulation monétaire. Dans le meilleur des cas, la technique des cryptomonnaies remplacera les actuelles monnaies « banques centrales » pour devenir des monnaies d’État ; ces cryptomonnaies seront alors adossées sur les richesses principalement générées par chacun des pays émetteurs. 3.
Le système des cryptomonnaies privées a, très probablement, été lancé dans le public comme un « ballon d’essai » ; il s’agit d’habituer les usagers à utiliser un nouvel outil monétaire et de voir comment la masse réagit à ce changement ; cela peut également permettre de déceler des défauts non détectés par les concepteurs de cette technologie.
Enfin, d’un point de vue géopolitique, la technologie blockchain est vraisemblablement l’évolution technique qui permettra l’avènement de la future monnaie mondiale. Rappelons qu’en vertu du principe intangible selon lequel « une monnaie correspond à un marché » − au marché mondial généré par la liberté de circulation des capitaux (promue par les instances internationales telles que l’OMC) doit obligatoirement répondre une monnaie mondiale, appelée de ses vœux par l’oligarchie dès 1988 et désignée du terme de « Phoenix ». 4.
2 – Les avantages apparents des cryptomonnaies : liberté et sécurité
2.a La liberté
Ne dépendre d’aucune banque ne signifie pas ne dépendre d’aucun système et tout système est, peu ou prou, contrôlable. En particulier le système bancaire est particulièrement contrôlé, il a même été conçu précisément pour échapper au contrôle politique et être entièrement déterminé par les principaux banquiers capitalistes. En raison d’une part de l’actuel état de concentration des richesses mondiales et d’autre part du contrôle total dont les monnaies et les marchés font l’objet, tout système monétaire, qu’il soit ou non techniquement novateur, sera immanquablement contrôlé. Rien ne peut s’opposer à ce phénomène, à l’exception d’une reconsidération des caractéristiques fondamentales de la monnaie : autrement dit, tant que la monnaie, quelle que soit sa forme, sera considérée comme un « bien » sur le « marché » elle restera sous le contrôle des principaux propriétaires de capitaux et échappera, subséquemment, à sa fonction essentielle qui est d’être une institution rendant un « service public ».
S’agissant du système utilisé par et pour les bitcoins, les mineurs contrôlent effectivement le système. Nous parlons ici de « fermes » qui s’apparentent à des villes entières dédiées à des ressources informatiques. Ceux capables de financer de telles gigantesques infrastructures se rendent maîtres du système.
S’agissant de la technique de « l’ether » : « Ethereum permet aux programmes de faire exécuter leur code dans un environnement anonyme, sécurisé, sans intermédiaire. Nul besoin d’acquérir un serveur pour faire exécuter son code : il suffit d’acquérir du ‘gas’ (essence), qui va permettre de récompenser la communauté en éthers, créant ainsi une valeur (pas spéculative). On peut y imaginer un nombre infini d’applications, comme des plateformes de paris, des contrats auto-exécutants ou encore des réseaux sociaux sans intermédiaire. D’ailleurs, Ethereum dispose de son propre langage de programmation ‘Turing complete’ : cela signifie que tout peut être calculé dans ce réseau, si tant est qu’il y ait suffisamment de puissance de calcul et de temps à disposition. Contrairement à la preuve de travail (bitcoins), où l’algorithme récompense les mineurs qui résolvent des problèmes mathématiques dans le but de valider des transactions et de créer de nouveaux blocs (blockchains), avec la preuve d’enjeu (Ethereum), le créateur d’un nouveau bloc est choisi de manière déterministe, selon la richesse, également définie comme un enjeu. » Il faut comprendre que la cryptomonnaie, fonctionnant sur le format-modèle de « l’Ethereum » n’est pas affectée comme paiement à ceux qui procurent au système des ressources informatiques mais à ceux qui disposent, dès le départ, de la plus grande quantité d’ethers, ce qui nous ramène aux plus gros propriétaires de capitaux.
La seule et véritable question que chacun devrait se poser est la suivante : par quel miracle une technologie nouvelle a-t-elle fait l’objet d’une telle promotion médiatique en si peu de temps ? Cette promotion est en effet assurée tout azimut et tous médias confondus (officiels, alternatifs, réseaux sociaux…). Elle consiste essentiellement à faire le « buzz » autour desdites « monnaies nouvelles normes » (pour les puristes de la langue française : à faire parler desdites « monnaies nouvelles normes »).
Techniquement, cette stratégie a débuté par un lancement officiel par les banques, et même par quelques banques centrales, Christine Lagarde du FMI se fendant même d’un discours officiel sur les cryptomonnaies. Ensuite, à la faveur du conformisme ambiant qui préside à toute société humaine 5, chaque individu plus ou moins concerné s’est senti investi de la « mission » de parler des cryptomonnaies, a minima pour ne pas avoir l’air « ringard » au pire pour des raisons moins désintéressées. En d’autres termes, suite à des communications émanant d’« autorités habilitées » c’est-à-dire d’institutions bancaires ou financières officielles, chaque expert, ou prétendu tel, s’est cru obligé de parler des cryptomonnaies, en prenant partie pour ou contre, en mettant en garde contre les cryptomonnaies ou en faisant les louanges desdites monnaies…
Nous avons assisté, avec le cryptomonnaies, à la plus grande campagne de lancement médiatique, sous forme d’ingénierie sociale, jamais vue. Ceux qui contrôlent le système actuel sont passé maîtres dans l’art de comprendre et utiliser les fondamentaux des comportements humains, tel que l’instinct grégaire, l’empathie naturelle que tout individu développe collectivement et individuellement face au discours d’une « autorité » perçue ou présentée comme « supérieure » ou « éclairée ». 6. Il faut noter, ici encore, que les autistes forment une catégorie d’individus à part, tout à fait hermétique à l’effet d’empathie ; ces individus sont par conséquent fréquemment utilisés pour ce qu’ils sont, par les puissances d’argent, notamment pour gérer et assurer le bon déroulement des opérations de recherche en matière d’intelligence artificielle… Les aptitudes générales des comportements humains sont décryptées et utilisées par les « puissances d’argent » pour servir leurs intérêts propres, ces derniers consistants essentiellement, à asservir l’humanité.
Pour retourner à la question des cryptomonnaies, le résultat concret de cette vaste opération de « propagande de masse auto-réalisée » est que toute personne, dans tous les pays du monde, a entendu parler des cryptomonnaies, et s’habitue, peu à peu à ce que l’avenir monétaire quotidien passe par cette nouvelle technologie. Nous avons affaire ici à la plus grande manipulation de masse jamais enregistrée au niveau mondial, les médias sociaux et les médias dissidents, jouant, plus ou moins à leur corps défendant, un rôle absolument essentiel.
La conclusion est que la liberté procurée aux usagers des cryptomonnaies est beaucoup plus apparente que réelle. Très probablement, l’avènement de cette nouvelle forme monétaire, qui ne change pas la nature de l’actuelle monnaie, a été organisée par des forces financières dans l’objectif de faire en sorte que « tout change pour que rien ne change ».
2.b La sécurité
La prétendue sécurité juridique apportée aux usagers par les cryptomonnaies ne s’accompagne pas de sécurité économique car les cryptomonnaies ne sont pas, loin s’en faut, à l’abri du risque induit par le phénomène spéculatif. 7. Bien au contraire, les places de marchés où l’on vend et revend les cryptomonnaies sont florès. Ainsi, comme toute monnaie conçue à tort comme une marchandise, la valeur économique réelle de ces monnaies est soumise à l’aléa du marché. Or l’histoire atteste que les principaux détenteurs des institutions bancaires et financières sont passés maîtres dans l’art de prendre le contrôle des « marchés » de façon à orienter les prix dans le sens qui leur convient.
Le problème de fond, déjà largement souligné, ne relève pas de la forme dématérialisée ou non de la monnaie, mais relève de la conception de celle-ci comme un « bien » dans le commerce ; ce que, par essence, la monnaie véritable ne saurait être.
Qu’en est-il du risque systémique actuel lié à la grande interdépendance des marchés et des monnaies ? Là encore, rien ne garantit les usagers que les cryptomonnaies n’engendreront pas, à terme, les mêmes problèmes d’interdépendance des marchés. L’existence d’un marché économique mondial indique tout au contraire que les cryptomonnaies, conçues comme des « biens dans le commerce » s’échangeront et deviendront interdépendantes les unes des autres.
Certains rétorqueront que les cryptomonnaies peuvent aussi être utilisées au niveau local ou même très local (au niveau d’une commune par exemple). Certes, mais nous retournons alors dans les problématiques que nous avons connues de nombreux siècles en arrière et où il fallait, pour assurer la fluidité des échanges à un niveau de subsistance minimal, assurer un contrôle des « échanges » entre les différentes monnaies. Ainsi, le détenteur de bitcoins devra peut-être accepter des éthers ou n’importe quelle autre cryptomonnaie (car il en existe des milliers) s’il veut acquérir un bien particulier. On en revient ainsi aux raisons fondamentales de l’apparition des monnaies et au rôle social que celles-ci doivent remplir.
En réalité, la différence évidente entre monnaie traditionnelle et cryptomonnaie est que l’aspect géographique, géolocalisé, des cryptomonnaies est beaucoup moins prégnant qu’il ne l’était avec les monnaies traditionnelles, il peut par ailleurs aisément être contourné avec ces « monnaies nouvelles normes ». Le transit informatique des données dématérialisées assuré par l’intermédiaire d’ordinateurs-relais assure une circulation mondiale, et non locale, des données.
La désolidarisation du fonctionnement de l’économie avec une localisation géographique est justement l’un des éléments clefs du « Nouvel Ordre Mondial » qui cherche, coûte que coûte, à généraliser le nomadisme et la déconnexion entre les activités humaines et un quelconque ancrage territorial. C’est ainsi que l’une des obsessions des dirigeants économiques, promoteurs du Nouvel Ordre Mondial, est de faire disparaître les États en tant qu’entités territoriales politiquement autonomes. L’origine de ce nomadisme se trouve dans l’origine financière des détenteurs de pouvoir actuel ; ces derniers ont fait leur fortune sur l’anonymat et le nomadisme capitalistique, lequel a pour intérêt essentiel de faire disparaître la corrélation entre pouvoir et responsabilité.
Notons par ailleurs que le nomadisme forcé imposé par les principaux capitalistes à la grande masse des individus (pourtant sédentarisés de longue date) a pour conséquence de déraciner les gens, les empêchant, entre autres choses, de concevoir clairement l’aspect méthodique des nouvelles règles qui s’imposent à eux, et les empêchant, en particulier, de percevoir et d’identifier d’où et de qui elles émanent.
3 – Dangers et risques des cryptomonnaies
À côté des risques et dangers plus ou moins imaginaires associés aux cryptomonnaies, nous identifions de réels risques économiques liés à l’utilisation de cette nouvelle forme monétaire.
2.a Les vrais et faux dangers techniques
Si l’anonymat, souvent évoqué, des cryptomonnaies est en réalité un faux danger, il est vecteur en revanche de réels risques techniques et juridiques liés à l’utilisation de monnaies privées sous forme dématérialisée.
2.a.1 Faux danger : les cryptomonnaies serviraient à financer les opérations clandestines, illicites et mafieuses
Malheureusement, les opérations mafieuses, clandestines et illicites n’ont pas attendu les cryptomonnaies pour prospérer et être financées. Ces financements préexistent largement aux cryptomonnaies et sont liés à l’existence :
- De l’anonymat des capitaux .
- Des paradis fiscaux (qui découlent de l’anonymat des capitaux) et :
- De l’accaparement de la gestion monétaire par les banques et autres multinationales à vocation financière qui ont assis leur développement sur l’opacité, l’asymétrie d’information, autant que sur l’asymétrie entre pouvoir et responsabilité, qui ont à leur tour permis l’accaparement des richesses et des institutions.
Au surplus, il faut insister sur le fait que l’anonymat technique des cryptomonnaies est très relatif : il ne résiste pas à une volonté ferme des pouvoirs publics officiels et/ou des agences de renseignements.
L’anonymat techniquement permis par les cryptomonnaies est, dans le contexte actuel de contrôle capitalistique par les élites économiques, beaucoup moins efficace que l’anonymat des capitaux, qui a, au fil des siècles, largement fait la preuve (et même au-delà) de son efficacité. Le seul anonymat qui existe vraiment pour les gens ordinaires leur est hostile : il est celui assuré par et pour les détenteurs du « fait économique » qui ont aujourd’hui pris un pouvoir de type monopolistique sur toutes les organisations politiques, aux niveaux local, national et international. Cet anonymat, consciencieusement organisé, ne joue jamais en faveur des gens ordinaires, il joue de façon systématique, systémique, en faveur des seuls détenteurs du pouvoir.
Quoiqu’il en soit, le financement opaque des opérations illicites, illégales et socialement destructrices ne sera pas mieux ni plus aisément assuré par les cryptomonnaies qu’il ne l’est actuellement par l’opacité des capitaux et des places financières paradisiaques.
2.a.2 Vrais dangers : Insécurité technique et juridique liée à l’usage de monnaies privées dématérialisées
Comme l’actualité récente l’illustre, les détenteurs des cryptomonnaies sont vulnérables au piratage informatique. Pour les particuliers-usagers, la décentralisation cryptomonétaire ne s’accompagne pas d’un surplus de sécurité matérielle.
Toutefois, la vérité nous oblige à dire que ce type de problème, lié à la sécurisation des réseaux informatiques, n’est pas propre aux cryptomonnaies et se présente dans des termes similaires pour les actuelles monnaies, très largement dématérialisées. D’une façon générale, le seul moyen efficace pour parer à la vulnérabilité informatique est d’avoir recours à des monnaies matérialisées ; le lecteur attentif aura compris que ces monnaies « matérialisées » ne doivent toutefois pas prendre la forme d’un bien rare dans le commerce.
Néanmoins, la question de sécurité juridique est accrue dans l’hypothèse où la monnaie a la forme d’une monnaie privée dématérialisée, ce qu’est, fondamentalement, toute cryptomonnaie. En cas de problème de vol de cryptomonnaies, les particuliers n’ont pas de garantie de récupération de leurs avoirs puisque ceux-ci ne sont plus réellement liés à l’État et sont exclusivement de nature privée. Avec le système bancaire actuel (qui est loin d’être idyllique pour autant !) les avoirs sont, au moins partiellement, et sauf à ce que l’usager ait lui-même (par un comportement risqué) favorisé ledit vol, couverts par la banque en cas de vol. Nous ne parlons pas ici de risque de faillite de la banque (en cas de faillite bancaire, chacun a aujourd’hui compris que ses avoirs ne seront pas garantis).
En matière de cryptomonnaies les problèmes ne sont pas liés à une mauvaise gestion des fonds qui, sauf à imaginer des malfaçons (volontaires ou non) dans le cryptage, sont gérés de façon rationnelle par des processus informatiques. Les véritables risques concernent la responsabilité juridique en cas de perte ou de vol des avoirs. Comme toute monnaie dématérialisée, les cryptomonnaies sont techniquement vulnérables. Ce type de monnaie est dépendant du bon fonctionnement des réseaux, lesquels sont vulnérables aux contraintes d’approvisionnement énergétique. 8.
Étant en présence de monnaies strictement privées, on imagine mal la mise en œuvre d’une responsabilité collective accordant aux usagers un recours juridique efficace, c’est-à-dire assis sur une garantie collective d’État, leur permettant de récupérer leurs avoirs ; le problème ne se présente pas dans les mêmes termes en cas de cryptomonnaie d’État. Mais ici encore il faut distinguer entre des cryptomonnaies réellement rattachées à un État et des cryptomonnaies « banques centrales » qui resteront des monnaies privées, tout comme le sont les actuelles monnaies gérées par les banquiers. Conçues comme des « monnaies marchandises » tout indique qu’à terme, les cryptomonnaies « banques centrales » seront soit fusionnées en une unique monnaie mondiale, soit concentrées en quelques monnaies gérées de façon centralisée (un peu comme la Banque Centrale Européenne gère les différentes monnaies nationales de la zone euro) par un organisme international, comme la BRI (Banque des Règlements Internationaux) le FMI (Fonds Monétaire International) ou la Banque Mondiale. Car il faut insister sur le fait qu’une monnaie mondiale est la contrepartie indispensable de l’avènement d’un marché mondial, et que ce dernier est devenu une quasi réalité depuis que l’OMC s’occupe de gérer les relations commerciales entre États ou blocs d’États.
2.b Risque réel : insécurité économique et limite aux échanges
S’il existe des faux dangers, tel l’anonymat, absurdement mis en avant, il existe également de véritables risques économiques liés à l’utilisation de cryptomonnaies. En particulier, ces monnaies privées sont sujettes à une double insécurité économique liée : 1°) à l’incertitude sur la valeur réelle de la monnaie en question et 2°) à la faible assise économique concrète de ces monnaies lorsqu’elles sont émises en relation avec un projet économique particulier (un peu comme des actions sont émises pour financer un projet d’entreprise). Ce dernier problème ne concerne évidemment pas les cryptomonnaies d’État adossées à des richesses étatiques.
Par ailleurs, la prolifération des cryptomonnaies privées a pour effet un éclatement de la monnaie en de multiples entités ce qui, à son tour, a pour conséquence de limiter les possibilités d’échange de marchandises.
Pour que les détenteurs d’une cryptomonnaie acceptent d’autres cryptomonnaies de façon indifférenciée, il faut que toutes ces cryptomonnaies aient : 1°) la même valeur pour leurs usagers ou 2°) soient évaluées les unes par rapport aux autres de façon permanente (à la mesure des variations de valeurs des unes et des autres !). Le problème est justement que toutes les cryptomonnaies ont des valeurs différentes et ne sont absolument pas échangeables à valeur égale, pour trois raisons : 1°) étant une réserve de valeur, c’est-à-dire une marchandise, ces monnaies sont soumises aux lois du marché, 2°) chaque cryptomonnaie est assise, au départ, sur une réalité matérielle différente de celle des autres et 3°) l’évaluation de ces monnaies est largement intrinsèquement dépendante du nombre de leurs mineurs ou forgeurs. Ces disparités posent, fondamentalement, la question de la nature et du degré de confiance – il est ici question de légitimité – que l’on peut porter à une monnaie qui est adossée à la seule capacité technique de transmission informatique de données.
Un autre problème économique réel provient de l’éclatement du concept monétaire puisque les cryptomonnaies, qui s’apparentent à des monnaies privées sont, par hypothèses, extrêmement nombreuses. Or, la fluidité des échanges suppose la minimisation des risques de change entre les différentes monnaies en circulation ainsi qu’a minima une utilisation normalisée de la monnaie, d’où la nécessité d’une centralisation de la gestion monétaire. Rappelons toutefois, qu’il ne faut pas confondre la nécessité de la centralisation de la gestion monétaire avec sa gestion dans des mains privées, par des banquiers, situation que nous connaissons aujourd’hui.
Pour être efficace à remplir son rôle de facilitateur d’échange, la monnaie doit être conçue comme un « service public » c’est-à-dire un service destiné à tous ses usagers. La gestion monétaire par des banques centrales, elles-mêmes aux mains des principaux capitalistes, est le contraire exact d’une saine gestion monétaire ; ce type de gestion ne diffère pas fondamentalement de la gestion de monnaies privées obtenues par des moyens cryptographiques : on reste dans le cadre de monnaies gérées par des personnes privées. Or, afin de garantir son rôle de facilitateur d’échanges, la monnaie doit être homogène et gérée par une entité politique dont le rôle est l’organisation de la vie collective.
4 – Conclusion
La technologie blockchain est sans contestation possible « révolutionnaire » en ce que, utilisée dans le sens de l’intérêt commun et sous contrôle politique (c’est-à-dire sous le contrôle de gens chargés de faire respecter l’ordre collectif, social, et par voie de conséquence, « l’intérêt commun ») elle est susceptible de générer de profondes mutations dans l’organisation des sociétés humaines, en rendant plus fluide la circulation des informations, et en particulier celle des informations sensibles. Cette technologie mettra très vraisemblablement à mal des professions comme celle de notaire puisque les informations immobilières pourront aisément être gérées directement par le gouvernement. Nous pourrions trouver de très multiples applications à cette technologie.
Néanmoins, appliquée à la monnaie, cette technologie n’est absolument pas « révolutionnaire » car non seulement elle ne résout pas les problèmes fondamentaux que connaissent les monnaies actuelles mais elle introduit, en plus, une plus grande volatilité dans les cours et une moindre sécurité dans les échanges.
Conçues comme des monnaies privées, des « monnaies-propriétaires » pourrions-nous dire, ces types de monnaie cumulent les problèmes que nous connaissons déjà avec ceux liés à leur disparité ; à la place d’un grand pas en avant, il s’agit bien d’un grand retour en arrière que ces monnaies proposent. Sans gestion politique, les cryptomonnaies non seulement ne faciliteront pas les échanges mais créeront au contraire une insécurité économique et juridique endémique qui aura pour effet de ralentir et non de faciliter les échanges économiques.
Les cryptomonnaies ont, par essence, les mêmes problèmes que ceux que nous connaissons avec les monnaies actuelles. Il faut, pour se défaire de ces difficultés, accepter de repenser de fond en comble le rôle de la monnaie revenant aux raisons d’être de son apparition. Il ne s’agit pas tant de s’interroger sur la « forme » de la monnaie, que sur sa « nature » : les cryptomonnaies ne posent pas tant un problème de forme, car nous vivons déjà largement sous l’aire de la monnaie privée dématérialisée, qu’un problème de nature.
Il est donc loin d’être certain qu’il faille, à l’instar de Xavier Moreau, se féliciter de l’avènement mondial des cryptomonnaies qui ne remplissent réellement aucune de leurs promesses en termes de liberté, de sécurité et de facilitation des échanges.
Valérie Bugault est Docteur en droit, ancienne avocate fiscaliste, analyste de géopolitique juridique et économique.
via Faut-il appeler de nos vœux l’avènement des cryptomonnaies ? – Le Saker Francophone