Japon : des robots plutôt que des immigrés

Incapable de relancer sa natalité, le pays manque de bras. Mais l’immigration reste un sujet tabou, tant le mythe de la « pureté ethnique » est ancré.

 

La natalité japonaise est en berne. Avec un taux de fécondité qui stagne autour de 1,4 enfant par femme, le Japon pourrait tomber de 126 millions d’habitants aujourd’hui à 86 millions en 20601. Dans le même temps, la longévité ne cesse de s’accroître. En 2014, 13 % des Japonais avaient moins de 15 ans et 26 % plus de 65 ans. En 2035, ce sera respectivement 10 % et 33,5 %. Guère plus de la moitié des Japonais seront alors au travail et la moitié des actifs auront plus de 50 ans.

Japon (carte)
Japon (carte)

Population : 127 millions
PIB : 4 123 milliards de dollars
Taux de croissance : + 0,5 %
Taux de chômage : 3,7 %*
Espérance de vie : 83,6 ans*

Source : Banque mondiale ; données 2015, sauf * = 2014

Ce niveau de fécondité n’est pas pire qu’en Allemagne et il est meilleur qu’en Corée du Sud. Mais la situation est aggravée par le fait qu’on se marie très rarement au Japon s’il n’y a pas dans le couple un emploi stable, jadis baptisé « emploi à vie » et presque toujours celui de l’homme. Or, près de la moitié des moins de 30 ans semblent avoir très peu de chances d’obtenir un jour un tel emploi. Beaucoup de ces jeunes pourraient donc ne jamais convoler. De plus, à peine 2 % des bébés naissent hors mariage (contre 52 % en France). L’âge moyen du mariage (plus de 30 ans) a reculé de cinq ans depuis le début du siècle, et celui du premier enfant d’autant.

Au Japon, 45 % des filles et 25 % des garçons de 16-25 ans ne s’intéresseraient pas à la sexualité : « Cela complique la vie et coûte trop cher »

Le désintérêt apparent des jeunes pour la sexualité n’arrange rien. Les sondages concordent : 45 % des filles et 25 % des garçons de 16-25 ans ne s’y intéresseraient pas ; 35 % des garçons et 45 % des filles entre 19 et 34 ans seraient encore vierges2. Principale raison avancée : « Cela complique la vie et coûte trop cher. »

Cette évolution semble augurer le pire pour l’économie : baisse de la croissance potentielle parallèlement à celle de la population active ; effondrement de la consommation et de l’épargne ; pénurie et renchérissement d’une main-d’oeuvre que l’âge rendra moins productive. L’explosion des dépenses de santé et de retraite, qui absorbent déjà 42 % du budget de l’Etat (hors service de la dette) réduira les moyens de l’action publique.

À l’ombre des seniors

Le poids politique des seniors sanctuarisera ces dépenses. Déjà, les plus de 65 ans représentent 31 % du corps électoral et votent en masse. On peut craindre une résistance croissante du système politique aux changements. Les jeunes seraient démoralisés, ou enragés, de vivre dans un hospice géant dont les pensionnaires accapareront les ressources. La population au travail s’échinerait à entretenir les uns et les autres.

Dans les scénarios optimistes, le Japon vieillissant deviendra par la force des choses leader dans de nouveaux domaines très profitables : medtronique (informatique et robotique appliquées à la santé), biotechnologies, domotique, etc. Le chômage disparaîtra et les actifs seront mieux payés. Les jeunes seront mieux formés car les universités se les disputeront. Peut-être, mais en attendant, ils subissent durement l’incertitude de leur avenir, leur marginalisation dans le processus de décision et la fin de la sécurité économique dans laquelle ont vécu leurs parents.

Admis pour la première fois à voter en 2016, les 18-20 ans n’ont été que 45 % à y aller

Admis pour la première fois à voter en 2016, les 18-20 ans n’ont été que 45 % à y aller, contre 54 % des plus de 65 ans. Et en l’absence de toute opposition crédible, ils ont choisi dans une proportion inattendue l’inamovible parti gouvernemental, le Parti libéral démocrate. L’apparition de types sociaux tels que « l’homme herbivore » (Soshoku Danshi), soucieux avant tout d’éviter le stress et les choix compliqués, ou la dénomination de « génération perdue », dont les médias affublent les 30-40 ans, n’augurent rien de bon pour l’énergie nationale.

Pour relancer la natalité, les autorités ont créé un congé de paternité, elles incitent les entreprises à ménager les jeunes mamans, promettent plus de crèches… Mais d’effets, guère, et d’argent, bien peu. La sécurité sociale ne rembourse toujours pas l’accouchement et le congé de maternité n’est pas payé. Les allocations familiales ne dépassent pas 15 000 yens (175 euros) mensuels par enfant. Après 15 ans, un enfant donne droit à un abattement fiscal de 710 000 yens (7 700 euros), moitié moins que pour un parent à charge.

Les autorités entendent augmenter le nombre de femmes au travail, y laisser les seniors autant que possible et multiplier les robots

L’objectif officiel du Premier ministre Shinzo Abe est seulement de stabiliser la population à 100 millions vers 2050. Mais les jeux sont déjà faits jusqu’au milieu du siècle, car le nombre de femmes en âge d’enfanter diminue chaque année, à mesure qu’arrivent des cohortes de plus en plus creuses. Même si ces femmes font plus d’enfants, comme elles seront de moins en moins nombreuses, la population n’augmentera pas.

A défaut de relancer la natalité, les autorités entendent augmenter le nombre de femmes au travail, y laisser les seniors autant que possible et multiplier les robots. Mais 70 % des Japonaises qui ont leur premier enfant cessent toujours de travailler (contre 30 % aux Etats-Unis), souvent faute de crèches. Quant aux seniors actifs, ils sont plus souvent employés à faire mollement la circulation autour des chantiers qu’à pianoter sur des ordinateurs. Et l’archipel a beau avoir le plus gros parc de robots industriels de la planète, les entreprises vont chercher ailleurs une main-d’oeuvre moins chère : depuis 1990, la part de leur production délocalisée est passée de 7 % à plus de 30 %.

Trois ans de stage

Résultat : le Japon manque de bras. Au moins 300 000 travailleurs dans les services à la personne et 200 000 pour les chantiers des jeux Olympiques de 2020. Mais l’immigration reste un sujet quasi tabou, dans un pays où le mythe de la nation qui tire sa force de sa « pureté ethnique » reste ultradominant. Seuls les étrangers d’ascendance japonaise peuvent librement y venir travailler.

De 90 000 par an, le nombre de ces « stagiaires » devrait être doublé en 2017

Les autorités rêvent de n’admettre que les travailleurs dont le pays a besoin, en nombre et en qualité, en les sélectionnant au départ, sans leur famille et pour une durée limitée. Sous couleur d’aide au développement, les entreprises de certains secteurs peuvent « former des stagiaires » venus d’Asie, pour trois ans au plus. Beaucoup se retrouvent abonnés aux travaux sous-qualifiés, pénibles et très mal payés. Ceux qui protestent sont renvoyés chez eux au bout d’un an. De 90 000 par an, le nombre de ces « stagiaires » devrait être doublé en 2017. Pour les postes qualifiés, Tokyo cherche à négocier au coup par coup des contrats avec certains pays (les Philippines pour 6 000 infirmières en 2007, l’Inde pour des informaticiens, etc.). Mais la faiblesse des rémunérations offertes et la faible durée de séjour rendent ces contrats peu attractifs.

Il est cependant impossible d’empêcher certains de ces entrants de rester en épousant un(e) Japonais(e). Aujourd’hui, 6 % des mariages sont mixtes et le Japon accorde automatiquement la nationalité aux enfants (mais il ignore le droit du sol). En 2015, les résidents étrangers, clandestins compris, comptaient pour plus de 2 % de la population. Cette immigration, composée à plus de 80 % d’Asiatiques ou de Sud-Américains de sang japonais, reste toutefois peu visible. La diversité des types physiques, des cultures et des modes de vie demeure minimale. Mais avec l’explosion du nombre de touristes et de la présence croissante des « étrangers blancs » sur le petit écran, dans les universités et même dans certaines entreprises, le Japon pourrait bien s’accoutumer paisiblement à plus de diversité. Ce qui ne saurait nuire à sa démographie.

  • 1. Pour l’essentiel des données, voir « Pour désamorcer la bombe à retardement de la démographie japonaise », accessible sur www.nippon.com/fr/in-depth/a01001/
  • 2. « Why have Young People in Japan Stopped Having Sex ? », The Guardian du 20 octobre 2013, disponible sur https://lc.cx/onGR

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