« Je ne mange qu’une fois par jour » : des « nouveaux pauvres » racontent comment la pandémie les a fait basculer dans la précarité

Ils sont étudiant, chômeur, intérimaire, chauffeur de VTC… Avec le Covid-19, ils ont perdu leur filet de sécurité. Ils ont accepté de témoigner pour franceinfo.

Ils ne font pas l’objet du décompte quotidien du ministère de la Santé. Ils ne sont pas passés par les services de réanimation. Souvent, même, ils n’ont pas été malades. Pourtant, eux aussi sont victimes de l’épidémie de Covid-19. Eux ? Ces « nouveaux pauvres », que la crise a jetés dans la précarité.

« De nouveaux profils ont rejoint les rangs des personnes qui étaient déjà en situation de précarité avant l’épidémie : ce sont des gens qui étaient sur le fil, mais qui, bon an mal an, se débrouillaient », explique à franceinfo Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé-Pierre. Preuve de cette nouvelle vague de pauvreté, les banques alimentaires ont constaté une augmentation de 20% à 30% de la demande.

Parmi ces nouveaux bénéficiaires, « des étudiants, des jeunes travailleurs, des commerçants, des retraités à revenus modestes, des familles qui n’avaient pas d’aides sociales, des travailleurs au noir ou précaires », liste le dirigeant associatif, qui appelle le gouvernement à créer un fonds d’aide pour rembourser les loyers impayés et éviter une hausse des expulsions locatives en 2021. Pour comprendre le quotidien de ces « nouveaux pauvres », franceinfo a donné la parole à sept d’entre eux.

Jean-Michel*, 59 ans, chômeur

Jean-Michel, 59 ans, n’a pas attendu le Covid-19 pour découvrir la galère. Entre 2015 et 2019, cet ancien vérificateur d’installations électriques a cherché du travail en vain, survivant grâce aux 500 euros mensuels de l’allocation de solidarité spécifique (ASS), une fois ses droits au chômage épuisés. Mais il pensait avoir tourné la page. En octobre 2019, il décroche un CDD de quatre mois renouvelables en tant que commercial pour une entreprise de métallurgie. Avec le confinement, il n’est pas reconduit.

Faute d’avoir suffisamment travaillé pour recharger ses droits au chômage, le quinqua survit une nouvelle fois grâce aux minimas sociaux. Pour économiser, il a fait l’impasse sur le chauffage en mars, n’achète que des aliments en promotion – « ceux qui vont périmer » – et s’autorise « des tours en vélo » en guise de divertissement. Son unique luxe ? « Le téléphone et l’internet illimités, pour trouver du boulot. » Mais là encore, il lui faut ruser, changeant d’opérateur au gré des offres promotionnelles. 

D’un naturel optimiste, Jean-Michel assure pourtant qu’il n’a « jamais connu de période aussi difficile pour retrouver du boulot ». Et s’inquiète de la soixantaine qui approche. « Croyez-vous que les patrons vont prendre des gens comme moi, alors qu’ils peuvent prendre des jeunes pour ainsi dire gratuits, grâce aux milliards du gouvernement ? » Pourtant, il n’a pas encore renoncé. Grâce aux listings d’entreprises acquis durant sa précédente activité, Jean-Michel assure avoir envoyé pas moins de « 180 000 mails » de candidature à des offres d’emploi depuis le début du confinement. Avec « un seul retour » pour l’instant.

Mickaël*, 51 ans, chauffeur VTC

Au téléphone, Mickaël a les manières polies d’un homme dont le métier est de servir les autres. Après avoir raccroché, il envoie fièrement une capture écran de son profil Uber, où la note attribuée par ses clients frôle les cinq étoiles – le maximum. La réputation de Mickaël est l’une de ses dernières richesses : depuis le début de l’épidémie, son chiffre d’affaires « a été divisé par deux ». « Comme je louais mon véhicule, j’ai dû m’arrêter pendant le confinement car les courses étant très peu nombreuses, j’aurais travaillé à perte », explique-t-il.

Début juin, cet habitant de Pontault-Combault (Seine-et-Marne) s’est endetté pour acheter une voiture d’occasion afin de recommencer à travailler. Mais les courses ne sont pas revenues.

On n’a plus de touristes du tout, les Parisiens ne sortent pas car ils télétravaillent, on a moins de travailleurs étrangers qui se déplacent pour du business…Mickaëlà franceinfo

Entre l’assurance, le prêt, l’essence, les frais d’entretien et la commission des applications, il ne reste « quasiment rien du tout » au chauffeur à la fin du mois, obligé « d’être à découvert pour nourrir la famille ». Déjà, avant l’épidémie, il n’empochait que « 1 000 à 1 500 euros » par mois pour « 300 heures de travail ».

Durant sa mauvaise passe, Mickaël a bénéficié d’un échelonnement de ses cotisations sociales et a reçu 3 000 euros du fonds de solidarité mis en place par le gouvernement. Désormais, il « travaille beaucoup plus la nuit », mieux rémunérée, « ce qui n’est pas idéal » pour la vie de famille. Et le chauffeur cherche une opportunité dans le secteur privé, « pour avoir une garantie de salaire tous les mois »

Pierre*, 47 ans, intérimaire

Le 16 mars 2020, à 21 heures, Pierre est un homme heureux. Mi-février, il a entamé une mission de réfection d’une église et d’un château, qui doit lui donner du travail jusqu’en septembre. De quoi soulager ce technicien de maintenance de 47 ans, au statut d’intérimaire, qui a du mal à boucler ses fins de mois. Mais le bonheur prend fin à 22 heures, ce 16 mars, quand Pierre reçoit un SMS de son chef de chantier : « Pas besoin de te déplacer demain. » Avec le confinement, la mission de Pierre est annulée. Le technicien ne pourra même pas récupérer ses outils personnels.

Faute d’avoir pu aller au bout de sa mission, Pierre n’est pas éligible à l’allocation chômage et obtient environ 500 euros de RSA pendant trois mois et quelque 130 euros mensuels d’allocation de solidarité spécifique depuis mai. Pour s’en sortir, il « mange une fois par jour » et « n’utilise du carburant que pour aller aux entretiens d’embauche ».

En procédure d’expulsion pour n’avoir pas pu payer son loyer depuis mars, il a finalement trouvé un accord avec son propriétaire, et a pu compter sur un coup de pouce financier de sa famille pour régler ses impayés. Désormais, Pierre espère que Pôle emploi financera sa reconversion dans le transport routier. « J’ai des amis chauffeurs de poids lourds et ils n’ont pas peiné comme je peine », explique-t-il pour justifier son nouveau choix de carrière.

Françoise*, 67 ans, retraitée

Sociologue, formatrice pour adultes, conseillère pédagogique, romancière… A 67 ans, Françoise a exercé bien des métiers, pour la plupart au Maroc ou en Guinée. Après sa retraite, en 2018, celle qui est revenue s’installer en France en 1995 a donc continué à travailler, pour compléter sa pension affaiblie par ces années à l’étranger, où elle n’a pas cotisé au système français.

En octobre 2019, après plusieurs années de disette, Françoise décroche un CDD d’ouvrière agricole dans une ferme des Pyrénées-Orientales. Mais en juin, son contrat s’arrête, et il n’est pas renouvelé. Officiellement car elle ne s’intègre pas à l’équipe, lui assure sa patronne. La sexagénaire, elle, est persuadée qu’en pleine crise économique, elle a fait les frais de son âge.

J’ai commencé à travailler à 17 ans. Je m’étais imaginée qu’à la retraite, je serais plus en sécurité que ça.Françoiseà franceinfo

Pourla première fois de sa vie, Françoise requiert l’aide de la Banque alimentaire. Une semaine sur deux, elle va chercher un colis de vivres payé moins de deux euros. En ne mangeant qu’« une fois par jour », elle arrive à en tenir « dix ». « J’aurais aimé avoir plus de temps pour écrire mes recherches et mes romans – la seule chose qui me tient sur mes deux pieds », soupire la dynamique retraitée.

Valentin*, 20 ans, étudiant

Il s’excuse presque de ne pas être le plus à plaindre. Pourtant, avant même l’arrivée de l’épidémie, Valentin, 20 ans, comptait ses sous. Pour financer son cursus en économie, cet étudiant boursier travaillait à la cafétaria de son université, pour environ 400 euros par mois. Mais avec le confinement, son petit boulot s’est arrêté. Et le Crous a eu beau lui payer ses deux semaines de contrat restantes, Valentin s’est retrouvé démuni début avril.

Les ennuis n’arrivant jamais seuls, le jeune homme apprend durant le confinement que l’entreprise dans laquelle il devait effectuer un stage de six semaines durant l’été a finalement décidé « de ne pas [le] rémunérer », crise économique oblige – la gratification des stages n’est obligatoire qu’à partir de deux mois consécutifsValentin est alors obligé de faire une croix sur ce stage « qui aurait été intéressant sur [son] CV » pour trouver du travail.

L’étudiant accepte alors une offre comme animateur en centre de loisirs, malgré une rémunération très faible. « C’était payé 52 euros la journée pour dix heures de travail, mais bon, c’était un job », justifie-t-il. A la rentrée universitaire, Valentin ne retrouvera pas les bancs de la fac : il a décidé de prendre une année sabbatique pour se consacrer à l’associatif, dans lequel il est déjà très actif, tout en cherchant « un service civique à côté, pour gagner un peu d’argent ».

Marc, 58 ans, maître d’hôtel en extra

De l’hôtel Martinez au Majestic, Marc est de tous les palaces cannois. Mais le quinquagénaire est plus familier des coulisses que des tapis rouges : depuis 16 ans, il officie en tant que maître d’hôtel pour les grands événements de la Côte d’Azur (mariages, séminaires, congrès, etc.).

Face à l’arrivée de l’épidémie en France, tous ses contrats d’extra, un statut qui permet l’embauche pour de très courtes durées, se sont annulés un à un. Depuis le 15 juin, il se retrouve sans ressources, ses droits au chômage s’étant épuisés. « Le gouvernement avait promis de ne laisser personne sur le bord de la route, mais nous les extras, on a le droit à aucune aide ! », se désespère-t-il, alors qu’une réforme de leur statut d’intermittents en 2014 les a fait basculer dans le système général.

En attendant de recevoir les minimas sociaux, Marc vit aux crochets de son fils de 20 ans, mécanicien, qui entretient aussi sa petite amie. « Quand ce genre de choses vous arrive à mon âge, vous vous demandez ce qu’on a fait pour mériter ça »,se désole le maître d’hôtel, qui se défend : « Je ne suis pas un fainéant, j’ai travaillé toute ma vie ! »

Personne ne mérite de finir une carrière au ras des pâquerettes.Marcà franceinfo

Outre ses problèmes financiers, Marc doit aussi se remettre du départ de sa femme, qui l’a quitté durant le confinement. « Tout n’était pas rose avant le Covid, mais disons qu’avec ma situation financière actuelle… Elle en avait marre de cette vie de merde », soupire celui qui dit « ne pas pouvoir lui en vouloir ».

Benjamin, 44 ans, restaurateur

Après deux mois de confinement, Benjamin « enrage » d’avoir « loupé une très belle saison ». Et pour cause : interdits de séjour à l’étranger, effrayés par l’épidémie, les touristes français « se sont précipités en Bretagne » cet été, où ce quadragénaire et sa femme tiennent une crêperie. Manque de bol : l’établissement est en travaux. Le chantier, qui aurait dû se terminer fin mars, a été retardé par l’épidémie de coronavirus puis par les congés d’été des ouvriers. Au total, Benjamin estime que la crise lui aura coûté « 100 000 euros de pertes ».

Pour survivre, le couple a baissé de 30% sa rémunération, soit au niveau du smic, et a réduit ses frais en supprimant l’alarme de son établissement ou en coupant dans les honoraires du comptable. Surtout, Benjamin et sa femme ont grignoté leurs économies réalisées grâce à la vente de leur précédent restaurant. Mais « il ne faudrait pas que ça dure trop longtemps », souligne le gérant, qui s’inquiète de voir son matelas durement amassé fondre à vue d’œil. En attendant, « on est dans l’acceptation, qu’est-ce qu’on peut faire d’autre ? »

* Le prénom a été modifié.

Source : France Info

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