La guerre contre Wikileaks et Assange, par Randy Credico
Source : Randy Credico & Dennis J. Bernstein, Consortium News, 04-08-2017
Les médias mainstream ont déformé une récente interview de Assange pour le faire passer pour un supporter de Donald Trump, et ce faisant, ont aidé les autorités gouvernementales à discréditer Julian Assange et à détruire Wikileaks, écrivent Randy Credico et Dennis J Bernstein.
La journaliste italienne Stefania Maurizi qui est à présent reporter pour La Repubblica et qui a travaillé sur la publication de documents secrets par Wikileaks, dénonce la distorsion de son interview récente de Julian Assange par le Guardian, le Washington Post et autres, dans le but de prétendre que Assange est un agent de Donald Trump.
Le Guardian a récemment « amendé » son article sur son interview de Assange, mais pour cette reporter bagarreuse et expérimentée, ce n’était pas du tout suffisant : « J’apprécie que le Guardian ait amendé l’article, mais en même temps, le mal est fait et je ne suis pas sûre qu’il existe une solution », a -t-elle dit.
Maurizi va au tribunal en septembre en Grande-Bretagne pour se battre pour la publication de documents clés qui concernent directement le traitement fait à Assange et la poursuite de la collaboration de divers gouvernements dans le but de faire cesser ses actions.
« C’est la première fois qu’un journaliste essaie d’accéder à ces documents », dit-elle dans un rare entretien le 1er août, « ce qui en dit long sur l’état du journalisme en ce moment ».
Avant de rejoindre la Repubblica, Maurizi a passé dix ans à travailler pour la revue d’actualités italienne l’Espresso. Maurizi a aussi été partenaire de Glenn Greenwald pour la révélation des dossiers d’ Edward Snowden concernant aussi l’Italie. Plus récemment, elle est l’auteur de « Dossier Wikileaks ».
Stefania MauriziDennis Bernstein : Racontez-nous vos multiples combats pour obtenir les documents clés qui apportent la lumière sur l’entière affaire Assange.
Stefania Maurizi : J’ai passé les deux dernières années à me bagarrer pour accéder aux documents sur le cas Julian Assange. J’ai finalement été obligée de porter l’affaire au tribunal et de poursuivre le gouvernement anglais pour les forcer à me communiquer ces documents. C’est la première fois qu’un reporter essaie d’accéder à ces documents, ce qui en dit long sur l’état du journalisme en ce moment.
Des dizaines de journaux ont parlé avec Assange durant les dix dernières années, et pourtant personne n’a tenté d’avoir accès à tous les documents concernant son cas. Ici nous avons un éditeur très important qui est arbitrairement détenu par deux des démocraties occidentales les plus respectées, la Suède et le Royaume Uni, et personne n’essaie d’avoir ces documents. Cela me paraît incroyable.
Randy Credico : Y a t-il des journaux de Londres qui auraient appuyé vos demandes ?
SM : Honnêtement, je l’ignore. Je peux imaginer qu’il y ait une certaine gêne sur le fait qu’aucun journal n’a déjà demandé ces documents.
DB : Quel genre d’informations attendez-vous de trouver dans ces documents ? Qu’est-ce qui pourrait constituer un motif pour libérer Assange ?
SM : D’abord et avant tout, je veux accéder à l’entière correspondance entre les autorités anglaises et les procureurs suédois. En 2015, j’ai fait une requête selon la loi pour la liberté d’information, et j’ai obtenu quelques documents de la part des autorités suédoises, qui montrent clairement que le Royaume-Uni met la pression sur les autorités suédoises pour ne pas interroger Assange à Londres, ce que lui et ses avocats demandaient, mais au contraire pour l’extrader en Suède. C’est pourquoi on s’est retrouvé dans ce bourbier pendant cinq ans avec, à présent, Julian coincé arbitrairement dans l’ambassade d’Équateur .
Julian Assange n’a jamais refusé d’être interrogé. Il s’est battu contre une extradition parce qu’il savait qu’une extradition vers la Suède mènerait à une extradition jusqu’aux États-Unis. Aussi les autorités anglaises ont-elles déconseillé au procureur suédois de l’interroger à Londres, ce qui aurait évité cette détention arbitraire.
Je sais de façon certaine qu’il y a des milliers de documents reliés à ce cas. Je veux pouvoir accéder à tout document relatif à l’échange entre les États-Unis et les autorités du Royaume-Uni et je veux accéder à tout document sur les échanges entre le Royaume Uni et l’Équateur. Je pense qu’il y a un grand intérêt pour le public à faire la lumière sur ce cas très important. Pouvez-vous imaginer un éditeur de cette importance en Europe, détenu de façon arbitraire? Et pourtant personne ne réclame les documents concernant ce cas !
RC : Pourquoi avez-vous écrit Dossier Wikileaks?
SM : Ce livre est fondé sur mes accès aux documents de Wikileaks sur les guerres en Afghanistan et en Irak, les documents sur Guantanamo et ceux qui concernent les câbles diplomatiques, depuis 2009 à 2011. J’ai lu autour de 13 000 pages de câbles diplomatiques. Pour faire simple, j’essaie de partager avec mes lecteurs les révélations les plus importantes contenues dans ces documents.
Par exemple, j’ai acquis de solides informations sur la façon dont les États-Unis ont essayé d’arrêter les procureurs italiens d’enquêter sur la reddition extraordinaire d’Abou Omar. Ou comment les autorités des États-Unis ont tenté de faire pression sur le gouvernement italien pour l’achat de jets Lockheed Martin. Ou comment ils ont essayé de bloquer le Tribunal International.
C’est le genre d’information que de nombreux reporters rêvent d’obtenir, et pour la première fois on a pu en avoir avec Wikileaks. J’apprécie vraiment la stratégie de publication de Wikileaks de rendre ces documents disponibles à certains partenaires médiatiques comme moi-même et puis ensuite auprès du public, des militants et des journalistes, avocats etc.
Je crois que l’information doit être libre et accessible à tout le monde sans restrictions. Bien sûr, il y a des informations qui doivent rester secrètes, concernant la sécurité des implantations nucléaires, par exemple. Mais ici, ces documents sont différents. Ces secrets sont utilisés par des pays comme les États-Unis pour se protéger eux-mêmes de toute investigation, poursuites ou gêne. Ces secrets sont moins légitimes.
DB : Durant le dernier semestre, Wikileaks a publié des séries de documents sur la CIA titrées Vault 7. Pouvez-vous nous parler de la signification de Vault 7 ?
SM : Pour faire simple, Vault 7 consiste en des documents concernant les armes cybernétiques utilisées par la CIA pour infiltrer nos ordinateurs, nos appareils connectés, etc. Pour la première fois, nous avons une preuve solide de l’utilisation de ce types d’armes par la CIA. Bien sûr, ces documents sont de nature hautement technique, donc nous avons dû les rendre accessibles au public. Mais c’est très important d’avoir une bonne idée de ces outils, pour comprendre ce qu’ils peuvent faire ou ne pas faire.
Autant qu’on a pu en juger, ils n’ont pas de baguettes magiques, ni d’armes extraordinaires. Ils ont trouvé des solutions astucieuses, il y a quelques outils impressionnants, mais pas de baguettes magiques. Finalement, on a vérifié que ces documents étaient originaux et on les a rendus accessibles au public.
Dans le cas de documents techniques, on doit recourir à un expert de confiance qui vérifie si une procédure est pertinente, si le logiciel est pertinent, les niveaux de classification, etc. Je ne veux pas entrer dans les détails sur comment on vérifie les documents, car cela pourrait compromettre notre travail. Mais la partie vraiment dure de ce travail est de vérifier les documents. Je peux dire que durant mes huit années de travail avec Wikileaks, je suis allée plusieurs fois au tribunal et j’ai été capable de vérifier que ces documents étaient originaux et mon analyse correcte. Nous avons gagné des procès pour calomnie.
RC : Qu’est-ce qui vous a motivée pour travailler sur le cas Wikileaks durant ces huit dernières années ?
SM : Avant d’être journaliste, j’ai obtenu un diplôme en mathématiques. Une de mes sources en cryptographie a fait apparaître Wikileaks sur mon écran radar en 2008, quand peu de journalistes avaient entendu parler de Wikileaks. En 2009, ils m’ont contactée et m’ont demandé de vérifier l’authenticité d’importants documents concernant l’Italie. Cela a été notre première collaboration. Depuis, j’ai été impliquée dans toutes les publications de Wikileaks.
La raison pour laquelle je suis très intéressée par ce travail, est principalement parce que cela vous donne accès à des documents que sinon vous ne verriez jamais. En Italie, il y a des gens qui ont été massacrés et dont les familles, soixante ans plus tard, n’ont toujours pas accès à l’information sur leurs proches, ils ne peuvent pas connaître la vérité. Je crois qu’il est très important de pouvoir accéder aux révélations non autorisées des documents secrets de la CIA et de la NSA. Wikileaks nous procure un accès sans précédent à ces documents. Des gens à la CIA et à la NSA sont hors d’atteinte, il n’y a pas de contrôle sérieux. Dans ce cas, on a vraiment besoin de révélations non autorisées. Ils veulent continuer leurs opérations de l’ombre.
DB : Pensez-vous que votre interview récente de Julian Assange ait été déformée par des publications comme le Guardian et le Washington Post et sur internet pour montrer Assange comme supporter de Trump ?
SM : Oui absolument, ils ont complètement déformé l’interview, lui prêtant des phrases qu’il n’a jamais dites. Personne ne prête attention à mes protestations. Ils étaient concentrés sur leur propres interprétations. Finalement Glenn Greenvald a exposé le fait. Le Guardian a été forcé d’amender son article.
DB : Comment cela révèle-t-il les réalités politiques affrontées par Assange en détention ?
SM : J’ai été là depuis le début, donc j’ai vu toutes sortes d’attaques contre Julian, avec des reporters célèbres et des médias internationaux qui répétaient ce que disait le Pentagone : que Wikileaks a du sang sur les mains pour avoir révélé le nom d’informateurs afghans. Quand le gouvernement des États-Unis a commencé à se plaindre que Wikileaks a mis des diplomates en danger, encore une fois, les médias ont adopté la position du gouvernement. Dernièrement ils écharpent Julian pour ne pas avoir publié les documents russes, en disant qu’il est un espion russe, etc. Mais je peux vous dire que Wikileaks est obsédé par le fait de publier : ils publieront tout ce qu’ils pourront obtenir.
Ils ne peuvent pas tuer Julian Assange, ce n’est pas possible. Nous sommes en Europe, ils ne peuvent pas l’atteindre avec des drones. Mais ils peuvent certainement détruire sa réputation. Et quand il s’agit de journalisme, la réputation est cruciale.
RC : Avec tout son pouvoir et son influence, pourquoi est-ce que le gouvernement américain et ses alliés sont tellement obsédés par un seul individu ?
SM : Julian est capable de les frapper durement, de les exposer, de révéler leurs secrets. ici vous avez une organisation qui expose la vérité derrière deux guerres avec des faits, sans aucune propagande. Avant cela, ils n’avaient été amenés à faire face à de telles révélations. Je peux très bien imaginer à quel point ils sont furieux.
DB : Pourquoi pensez-vous qu’il soit tellement important que Julian Assange soit libéré et puisse continuer son travail ?
SM : L’accès à l’information est crucial pour la démocratie. Prenez l’Afghanistan, nous y sommes depuis 2001, et que savons-nous sur ce qu’il s’y passe vraiment ? Il a fallu Edward Snowden pour exposer la NSA. Avant, on n’en savait que très peu. Ce genre d’information est cruciale pour notre démocratie. Les révélations non autorisées sont cruciales dans les démocraties et les régimes. Wikileaks prend un énorme risque légal et extra-légal pour publier ces informations.
RC : Le groupe des Nations Unies sur les détentions arbitraires a déclaré que Julian Assange est un cas de détention arbitraire, qu’il est un prisonnier politique et doit être libéré et recevoir des indemnités pour ce qu’il a enduré. Les Anglais n’ont toujours rien fait pour se plier à cette recommandation.
SM : Cela envoie un message terrible aux autres nations qui retiennent des gens en détention arbitraire. Que peut dire le Royaume-Uni à l’Iran ou à d’autres États voyous qui détiennent des journalistes ou des militants politiques ou défenseurs des droits de l’homme? Comment pourrait-il dire quoi que ce soit alors qu’il détient arbitrairement un journaliste de haute importance à Londres ?
Dennis J Bernstein participe à « Flashpoints » sur la radio Pacifica et il est l’auteur de Special Ed: Voices from a Hidden Classroom.
Source : Randy Credico & Dennis J. Bernstein, Consortium News, 04-08-2017
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
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