Dans son essai « J’arrête la pilule », la journaliste Sabrina Debusquat dresse un réquisitoire contre ce symbole de la libération sexuelle. Débat avec la gynécologue Nasrine Callet.
1967-2017 : en France, la pilule fêtera ses 50 ans en décembre. Joyeux anniversaire ? Pas vraiment. Le petit cachet que les femmes avalent chaque jour, sûres de s’épargner les grossesses à répétition, fières de ce geste symbole de leur liberté sexuelle, n’a plus l’aura d’antan. Le scandale des pilules de troisième et quatrième génération, en 2012, l’a entachée d’une terrible réputation : mener des femmes jeunes, en pleine santé, au seuil de la mort, par AVC et embolie. Lesdites pilules ont beau avoir été mises au rancart au profit des pilules de seconde génération, le mal est fait. Les prescriptions sont en forte baisse. Selon la dernière enquête de l’Ined sur la contraception (2014), 41% des femmes prenaient la pilule en 2013, contre 50% sept ans plus tôt.
Dans ce contexte de désamour, un essai sorti en librairie jeudi 6 septembre enfonce le clou. Dépression, libido à zéro, cancers, mais aussi pollution chimique qui pourrait nuire aux futurs bébés… N’en jetez plus ! « J’arrête la pilule » (1), de la journaliste indépendante Sabrina Debusquat, est un réquisitoire dérangeant étayé par une année d’enquête, à éplucher des centaines d’études et interviewer de nombreux experts. L’auteure, qui dit redouter un « scandale sanitaire » à venir, est allée à la rencontre, aussi, des jeunes femmes qui s’en détournent, quitte à opter pour des méthodes naturelles modernisées. Ironie de l’histoire, ces aventurières de la courbe de température sur smartphone se veulent les pionnières d’un nouveau féminisme. Désireuses d’enfin partager la « charge mentale contraceptive » avec les hommes.
Parce que prendre la pilule est un rite de passage à l’âge adulte, parce qu’elle reste, pour les soixante-huitardes, une indiscutable évidence, parce qu’elle est toujours, dans les esprits, l’un des emblèmes de la libération sexuelle, parions que ce livre va faire polémique. « L’Obs » a confronté son auteure à Nasrine Callet (2), oncologue-gynécologue à l’Institut Curie, pour savoir si, oui ou non, il faut jeter la pilule. Le débat est lancé.
Avec votre livre, « J’arrête la pilule », vous jetez un pavé dans la mare en affirmant que la pilule contraceptive, oestroprogestative, est un perturbateur endocrinien, au même titre que le bisphénol A, le glyphosate, et bien des substances chimiques qui se trouvent dans notre environnement. Vous allez choquer les femmes, qui font attention à se démaquiller avec des produits bio, mais avalent leur pilule chaque jour sans se poser la moindre question…
Sabrina Debusquat. J’étais moi-même ignorante. La première fois que j’ai entendu que la pilule était un perturbateur endocrinien, c’était dans la bouche d’un sénateur LR sur la chaîne LCP ! Quand j’ai commencé mon enquête, j’ai interrogé des toxicologues qui m’ont dit que c’était une évidence. Selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire, un perturbateur endocrinien est « une substance naturelle ou chimique qui peut interférer avec le fonctionnement des glandes endocrines notamment en mimant l’action hormonale naturelle ». De par son fonctionnement, la pilule répond bel et bien à cette définition : les hormones qu’elle contient visent à faire croire au corps de la femme qu’elle est enceinte, et cette dernière cesse ainsi d’ovuler. Aujourd’hui, on associe tellement le terme « perturbateur endocrinien » aux pesticides qu’on ne pense pas que certains médicaments en sont.
Nasrine Callet. En effet, la pilule en est un. Comme d’autres produits de synthèse à visée d’hormonothérapie, tels que les traitements hormonaux de la ménopause, les antidépresseurs ou diverses chimiothérapies…
Les perturbateurs endocriniens ont des effets délétères démontrés sur la faune…
S. D. La pilule contient une hormone de synthèse, l’éthinylestradiol (EE2). Les femmes en rejettent dans leurs urines. Or, cette molécule n’est éliminée qu’à 60% par nos stations d’épuration et se retrouve donc dans nos rivières, puis dans l’eau du robinet. Les conséquences en sont connues : les poissons mâles sont féminisés, leur fertilité est gravement altérée.
Les universitaires britanniques Susan Jobling, toxicologue réputée, et Richard Owen ont, en 2013, appelé à un débat public sur l’EE2. Ils le soupçonnent d’avoir des effets préoccupants sur les mâles humains. Depuis l’introduction des perturbateurs endocriniens dans la nature, et dans l’espèce humaine via la pilule, on constate une hausse des malformations de l’appareil génital des petits garçons, comme l’hypospadias [anomalie de l’ouverture de l’urètre, NDLR] ou la cryptorchidie [les testicules qui ne descendent pas, NDLR]. Comment l’expliquer ?
N. C. Ce rejet des hormones dans notre environnement est, il est vrai, un problème crucial. Tous ces perturbateurs peuvent nuire au développement des fœtus.
Sabrina Debusquat, vous tirez aussi la sonnette d’alarme quant aux effets que pourraient avoir les hormones de la pilule sur une femme qui se retrouve enceinte après l’avoir prise pendant des années.
S. D. Les hormones de la pilule se stockent dans les graisses. Quand une femme arrête la pilule, ses graisses contiennent donc encore des hormones synthétiques pendant une durée que l’on peine à définir. Or, quand la femme est enceinte ou allaite, elle mobilise beaucoup ses réserves, et l’on peut imaginer que le fœtus soit alors exposé… Certains scientifiques, dont le docteur Joël Spiroux, qui est président du Criigen [Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique, groupement d’experts apolitique connu pour avoir mené une étude polémique dénonçant les dangers des OGM en 2012, NDLR] et préface l’ouvrage, pense que cette hypothèse est tout à fait plausible. Mais c’est un point que je n’ai pas réussi à éclaircir. Dans le doute, il semble donc préférable de patienter quelques mois après l’arrêt de la pilule avant d’entamer une grossesse.
N. C. Il n’est pas sûr que la graisse va libérer des hormones dans le sang. Et quand bien même ce serait le cas, celles-ci ne doivent pas y rester très longtemps, vu que si la femme oublie de prendre sa pilule, elle peut tomber enceinte… Par ailleurs, des études ont été faites sur des femmes qui ont continué à prendre la pilule oestroprogestative au début de leur grossesse : il n’y a pas eu plus de malformations constatées sur leurs bébés. Il est vrai qu’il n’y a pas d’études sur le stockage dans les graisses. Mais il faut rester modeste, en disant juste que l’on ne sait rien. Il faut veiller à ne pas créer de psychose.
Le bisphénol A a été interdit dans certains produits. Or, vous expliquez que l’EE2 est 1000 fois plus puissant que ce dernier. Il y a de quoi frémir !
S. D. La toxicologue Annette Lexa (université de Metz, Eurotox) utilise à ce propos une image marquante : en matière de perturbateurs endocriniens, le bisphénol A est une 2CV, tandis que l’EE2 est une Ferrari… Mais attention ! S’agissant des perturbateurs endocriniens, on ne peut pas raisonner en termes de dose. La dose ne fait pas le poison. Leurs effets suivent une courbe. En gros, l’EE2 a de forts effets avec une petite dose, et avec une grosse dose. Or, cette infime dose, qui peut avoir des effets sur les mammifères, les femmes l’ingèrent de manière certaine via leur pilule.
Vous osez même comparer la prise de pilule à une castration chimique.
S. D. Je trouvais moi-même le terme un peu fort mais, d’un point de vue hormonal, c’est tout à fait juste. La pilule fait baisser jusqu’à 50% le taux de testostérone chez la femme. Or, la testostérone est l’une des principales hormones du désir sexuel. Dans le cadre de mon enquête, j’ai mené un sondage auprès de 3.600 femmes. Lorsqu’elles arrêtent de prendre la pilule, la plupart d’entre elles notent une remontée spectaculaire de leur libido. Beaucoup n’étaient pas conscientes de cet effet secondaire car elles n’ont eu de vie sexuelle que sous pilule… Quand elles s’en rendent compte, elles s’estiment flouées !
Concernant les liens avec le cancer, difficile d’y voir clair, puisque des études attribuent à la pilule à la fois des effets protecteurs et des effets cancérigènes… Les instances sanitaires, comme l’OMS, se fondent notamment sur deux grandes études, britannique et californienne, pour affirmer que la pilule protège des cancers de l’endomètre (paroi de l’utérus) et des ovaires. Mais selon vous, ces études ne seraient pas valides.
S. D. Ce sont deux études dites « de référence », car elles portent sur les plus gros échantillons de population. Mais des scientifiques ont démontré qu’elles avaient malheureusement des biais majeurs. L’étude britannique est censée comparer des femmes qui ont pris la pilule et des femmes qui ne l’ont pas prise. Mais, comme l’a soulevé la statisticienne Jane Galbraith dès 1998, en réalité, ce second échantillon comprend des femmes qui ont pris des traitements hormonaux de substitution de la ménopause : les mêmes hormones que la pilule !
La gynécologue britannique Ellen Grant, qui a développé la première pilule Enavid en Angleterre au début des années 1960, a, elle aussi, refait tous les calculs en enlevant ces femmes ayant eu ces traitements de la ménopause. Et là, d’un coup, ce prétendu effet protecteur disparaît ! Finalement, ces études permettent juste d’affirmer que les femmes ne meurent pas massivement de la pilule… Guère plus.
N. C. L’effet protecteur contre le cancer des ovaires ne touche pas toutes les femmes. En bénéficient notamment les femmes obèses, chez qui la pilule fait office de médicament. En effet, la graisse fabriquant naturellement des hormones, ces femmes ont trop d’oestrogènes dans leur corps. Leurs ovaires ont donc tendance à développer des kystes, qui favorisent un dérèglement hormonal, et peuvent devenir cancéreux. Sous une pilule bien choisie, c’est-à-dire sous une dose constante d’hormones, elles vont retrouver un équilibre hormonal. Chez les femmes qui ovulent mal, ce qui est un facteur de cancer, la pilule, en bloquant l’ovulation, a aussi un effet protecteur.
Quid des effets de la pilule sur le cancer du sein ?
C. S. Les études soulignent une petite augmentation du cancer du sein chez les femmes qui ont pris la pilule. Mais cette légère augmentation concerne des femmes qui ont commencé la pilule très tôt, ou qui ont continué à la prendre à un âge avancé.
S. D. Le taux de cancers du sein augmente dès qu’on prend la pilule plus de dix ans, ce qui est assez commun chez les Françaises…
N. C. N’oubliez pas que cet effet cancérigène disparaît cinq ans après l’arrêt de la pilule. Et ce risque est très relatif, puisqu’il est multiplié par 1,6.
S. D. La Société canadienne du cancer estime les cas de cancer du sein supplémentaires dus à la pilule à 2 pour 10.000 femmes chez les nullipares, et 1 pour 10.000 femmes chez les femmes qui ont eu un enfant. Pour en revenir à votre multiplicateur de 1,6, qui est en effet l’objet d’un consensus, faisons quelques calculs : cela représente 450 à 950 femmes par an en France ! Le taux de survie à cinq ans étant d’environ 30%, cela signifie quand même 11 à 22 décès par mois. Pourquoi nous, juste parce que nous sommes des femmes, devrions prendre un médicament qui va causer un cancer sur 10.000, alors qu’il y a d’autres solutions non hormonales moins dangereuses, comme le stérilet en cuivre ?
Qu’en conclure ?
N. C. Si c’étaient vraiment les hormones qui donnaient le cancer, j’en serais, croyez-moi, vraiment très heureuse : plus personne ne prendrait la pilule ni les traitements substitutifs, et plus personne n’aurait le cancer ! Malheureusement, on ne connaît pas les causes des cancers, qui sont multifactorielles. On pourrait rappeler, par exemple, que le risque de cancer du col de l’utérus est multiplié par vingt chez une fumeuse.
S. B. La pilule est quand même classée cancérigène de catégorie 1 pour les seins, le foie, le col de l’utérus et les voies biliaires par le CIRC (Centre international de recherche sur le cancer) depuis 2005. Je ne suis pas persuadée que les femmes, quand on leur prescrit leur pilule, aient cette information-là.
N. C. Ce que vous dites est important. La pilule est un traitement actif, qui a des effets secondaires. Le gynécologue doit prescrire des examens avant toute prise, et revoir la patiente trois mois après. Il ne faut pas délivrer la pilule à une fille migraineuse ni à une fille qui fume ni s’il y a un cas d’AVC dans sa famille. Il faut être prudent aussi avec une femme ayant une mutation génétique cause de cancer du sein. Je n’étais pas d’accord lorsque l’ancienne ministre de la Santé a proposé que les pharmaciens puissent délivrer la pilule sans consultation préalable. La pilule n’est pas un bonbon.
Propos recueillis par Cécile Deffontaines et Elodie Lepage
(1) Editions Les Liens qui libèrent. Sabrina Debusquat est journaliste indépendante et animatrice à Radio France. Elle tient un blog santé, « Ça se saurait »
(2) Nasrine Callet est cancérologue, spécialiste des cancers gynécologiques à l’Institut Curie à Paris.
La pilule n’est pas responsable de la baisse du taux de fécondité
La pilule a-t-elle vraiment libéré les femmes françaises des grossesses, et des avortements, à répétition ? Ça paraît tomber sous le sens. Pourtant, rien n’est moins sûr. Les études du démographe à l’Ined Henri Leridon le prouvent, comme le rappelle Sabrina Debusquat dans son livre. Il n’a pas fallu attendre 1967 pour voir sérieusement diminuer le nombre d’enfants par femmes. Dès les années 1920, les Françaises n’en ont que… 2,6 ! Un écart très faible avec les données actuelles, puisqu’elles en font en moyenne 2,1 aujourd’hui (Ined, 2015). Il faut remonter à 1740 pour trouver un chiffre élevé de 5,5 enfants.
C’est au milieu du XIXe siècle que le pays prend vraiment le tournant du malthusianisme. Les couples restreignent d’eux-mêmes leur reproduction au moyen de diverses techniques, au premier rang desquelles, certainement, le retrait, ou l’abstinence périodique. Il a fallu attendre 1924 pour que le cycle de la femme soit connu. C’est un gynécologue japonais dénommé Ogino qui découvre que la femme n’ovule qu’une fois par mois. Il donnera son nom à la fameuse méthode. La pilule a donc surtout permis de choisir le calendrier des naissances.
C. D.
Une naissance entachée d’eugénisme
Difficile à entendre, mais l’invention de la pilule n’est pas qu’une merveilleuse aventure progressiste. L’essai de Sabrina Debusquat écorne sa légende dorée en racontant un fait méconnu, également évoqué l’hiver dernier par l’Américain Jonathan Eig dans le livre « Libre comme un homme » (*) : la pilule a eu pour but premier de limiter les naissances chez les femmes pauvres. Classes laborieuses, classes dangereuses ! Surtout quand le communisme guette, et la peur des Noirs monte, à l’orée des grandes luttes raciales.
Ainsi pensent ses inventeurs américains, une poignée d’originaux richissimes, à l’idéologie douteuse. Il y a d’abord Margaret Sanger, son inlassable promotrice. Cette infirmière, née dans la misère en 1879, élevée par une mère épuisée par dix-huit grossesses, deviendra une femme libertaire aux idées larges, avant de se durcir avec l’âge, jusqu’à donner des conférences au Ku Klux Klan. C’est autour de l’année 1950 que tout se joue. Sanger, désormais sexagénaire, est une veuve fortunée. Elle s’allie avec un dénommé Gregory Pincus, biologiste spécialiste de la reproduction des mammifères. Rien de mal a priori, sauf que l’homme est sulfureux. Il a été mis au ban de sa communauté scientifique pour avoir réalisé, dès 1934, une FIV sur des lapines !
Margaret Sanger va perfuser financièrement cet apprenti-sorcier qui n’a qu’une obsession : inventer une contraception infaillible. Une autre millionnaire eugéniste se rallie à la cause. Elle s’appelle Katherine Mac Cormick et va dépenser sans compter. Citons aussi Clarence Gamble, héritier de Procter & Gamble et cofondateur de la « Ligue de l’amélioration humaine », qui ne s’embarrasse pas de morale et mène des campagnes de stérilisation forcée d’indigents. John Rock, un chercheur catholique convaincu, embarque, lui aussi, dans l’aventure. Il essaiera de brider les enthousiasmes de Pincus, un peu trop prompt à crier au succès de sa pilule. Car encore faut-il la tester à grande échelle. Mais quelle femme WASP serait prête à jouer les cobayes ? D’autant que la contraception est illégale dans de nombreux Etats.
La fine équipe va donc l’essayer sur des habitantes de Porto Rico, un protectorat américain des Caraïbes. Déjà, des patientes y quittent l’étude en masse, invoquant des troubles de l’humeur, une baisse de libido, des migraines… Pincus balaye ces « signes de névroses » féminines. En tout, la pilule ne sera testée que sur une centaine de femmes, pendant un an. C’est mince. Qu’importe ses effets secondaires : elle marche. Le 10 juin 1957, la Food and Drug Administration (FDA) autorise la mise sur le marché d’Enovid, la première pilule. Mais seulement pour les femmes mariées. Elle sera légalisée en France dix ans plus tard.
C. D.
Le taux d’échec par méthode (utilisation parfaite/utilisation courante)
Spermicide : 18%/29%
Méthode Ogino : 1%/25%
Préservatif féminin : 5%/21%
Coït interrompu : 4%/ 9 à 27%
Préservatif masculin : 2%/15%
Patch contraceptif : 0,3%/8%
Pilule contraceptive : 0,3 %/8%
Stérilet en cuivre (DIU) : 0,6%/0,8%
Ligature des trompes : 0,5%/0,5%
Symptothermie + préservatif ou abstinence en période fertile : 0,4 à 0,6%/0,4 à 1,4%
Stérilet hormonal (DIU hormonal) : 0,2%/0,2%
Vasectomie : 0,1%/0,15%
Implant contraceptif : 0,05%/0,05%
via « La pilule est un perturbateur endocrinien » – L’Obs