L’attitude initiale ambigüe des États-Unis envers l’État Islamique (3/5) : Des livraisons (involontaires ?) d’armes à l’ennemi

Suite de notre série sur le rôle des États-Unis dans la guerre de Syrie et d’Irak.

Billet 1 :

    1. “Une guerre aérienne non sérieuse contre Daech”

 

  1. De lourds soupçons sur l’attitude américaine au cours des premiers mois
  2. Les bombardements initiaux limités de la coalition ont pu être contreproductifs

Billet 2 :

  1. La Russie se met à combattre sérieusement les milices
  2. Une stratégie de bombardements de la coalition peu efficace

Billet 3 : VI. Des livraisons (involontaires ?) d’armes à l’ennemi

Billet 4 : VII. Un embarrassant rapport de renseignement

Billet 5 : VIII. Le rôle (initial) de Daech : « atout stratégique » des États-Unis ?

VI. Des livraisons (involontaires ?) d’armes à l’ennemi

Nous avons déjà parlé précédemment de témoignages troublants faisant état de livraisons directes d’armes à des milices en 2015 par les États-Unis. Mais sur ce sujet, la France n’a pas été en reste.

Ainsi, après de premières informations dans Libération en 2013, puis des révélations plus abouties dans Le Monde (ici et ) en 2014, Slate a révélé en 2015 que pour armer ces rebelles, en violation du Droit international, François Hollande est passé outre un embargo européen sur les Ventes d’armes, alimentant ainsi ces rebelles. Ces livraisons d’armes ont donc contribué à entretenir une guerre qui a fait des centaines de milliers de morts (voir aussi 20 Minutes) :

Déclaration de l’ONU sur les relations amicales entre les États de 1970 (Source : ici ou )

Embargo européen sur les livraisons d’armes en Syrie du 9 mai 2011 (Source)

Premiers mensonges en 2013 : “jusque ici, non-létal”

Un mensonge du Président en 2014 (“matériel létal conforme aux engagements européens de la France”)

Notez comme Le Monde est un journal poli : il n’indique pas clairement que la France a violé l’embargo européen pour alimenter en armes la guerre civile

Par chance, toujours selon Le Monde, notre gouvernement n’a rien livré “qui aurait pu se retourner contre nous”. Juste des mitrailleuses et des lance-roquettes, qui certes ont pu “cibler” de simples appelés du contingent syriens, voire même “se retourner” contre des civils syriens. Donc tout va bien : aucun Français n’a été tué avec des armes françaises, juste des milliers de Syriens.

2015 : Slate est moins poli que Le Monde, et 20 Minutes deviendrait carrément vulgaire… :

Enfin, la presse parlera fin 2017 de ce fait évident, très bien pointé en 2013 par le député européen LR Arnaud Danjean (ancien de la DGSE) (source) :

Vous pouvez lire ici le très complet rapport sur les armes de Daech (téléchargez-le, en anglais).

 

Bien que nous en ayons déjà parlé précédemment, nous souhaitons compléter cette histoire de livraisons d’armes à des “rebelles modérés” qui auraient mal tourné, en vous proposant l’opinion de Robert Baer sur ces fameux rebelles. Ses propos datent de septembre 2014 :

« Baer : Eh bien c’est le problème : il n’y a pas de “modérés” en Syrie ! […]

Journaliste : Mais n’y a-t-il aucun rebelle en Syrie en qui les États-Unis pourraient avoir confiance ?

Baer : Non, pas le moindre ! Si vous donnez des armes à l’Armée Libre Syrienne, elle va les vendre à Daech ; avec d’autres groupes ce sera encore pire – pour peu que ce soit possible. C’est un bazar chaotique, il n’y a aucune solution évidente. » [Robert Baer, à propos de la décapitation en septembre 2014 du journaliste Steven Sotloff, vendu par des rebelles à Daech, 0’47]

Le rapprochement de ces faits reste donc cruel pour notre diplomatie :

Notez aussi que, toute la Presse étant presque aussi polie que Le Monde, aucun journal n’a posé publiquement la question sur le devenir des armes livrées par la France. Pourtant… (source)

“La semaine dernière, le ministère de l’information à Damas montrait des grenades de fabrication française reprises à Daech lors de la récente bataille d’Al-Mayadin.”

L’armée syrienne saisit à Daech des armes occidentales à Al Mayadin (19/10/2017) (Source : Youtube)

L’armée syrienne saisit à Daech des armes occidentales à Deir ez-Zor (30/11/2017) (Source : Youtube)

Le professeur Christopher Davidson indique avoir « mené des recherches sur les différentes sociétés-écran qui ont été mises en place par la CIA au nom de l’Arabie saoudite [à partir de janvier 2012], et qui ont servi à acheminer vers la Syrie des milliers d’armes et des millions de munitions produites dans les Balkans. », et conclut à propos de ce gigantesque trafic d’armes ayant soutenu l’effort de guerre des djihadistes :

« Sur une longue période, une part substantielle de ces armes a fini dans les mains des combattants de Daech et du Jabhat al-Nosra (JAN) – la branche syrienne d’al-Qaïda, qui s’est rebaptisée Jabhat Fateh al-Sham (JFS) en juillet 2016. Au début de ce programme, on aurait pu attribuer ce phénomène à une surestimation des capacités des rebelles sélectionnés par la CIA à maintenir un contrôle effectif sur ces armes. Or, au fil des mois, il devint de plus en plus évident que l’Agence et ses partenaires savaient que ces armements étaient très vite et très souvent réquisitionnés par al-Nosra et l’EI ou, d’après moi, achetés par ces groupes. Or, ces livraisons d’armes ont continué malgré tout, et ce à grande échelle. »

 

À ce stade, il est intéressant de souligner un trait de la mentalité de la “gauche-Pentagone” néoconservatrice : ses membres ne voient généralement pas de gros problème à ce que, par exemple, 10 % ou 30 % d’une population soit exterminée, pour peu, qu’à la fin, il y ait un soi-disant “Gouvernement démocratique” dans le pays (comprendre “un régime qui soit à la botte de l’Occident”). La vie des gens pèse peu par rapport à leurs désirs.

Cela a été illustré très récemment sur Twitter. Le 7 décembre 2017, l’investisseur californien Jason Calacanis, 100 millions de dollars de fortune personnelle, lance un drôle de sondage sur Twitter… :

“J’ai dîné avec un respectable ami de la Corée du Nord. Nous avons discuté du scénario selon lequel 10 % des citoyens de la Corée du Nord trouveraient la mort suite à une attaque qui amènerait la Démocratie dans ce pays. Moralement, cela serait-il acceptable ?” Sondage : 27 % “Oui, mais c’est clairement tragique” ; 11 % “Peut-être” ; 62 % : “Non, il vaut mieux isoler la Corée du Nord”. [NdR : le résultat initial a été largement modifié par la polémique qui a suivi. Notez l’inexistence de l’option”Non, laissons ce pays et sa population tranquille”]

Ceci a rapidement échauffé les esprits :

Jason : “Que pensez-vous que les citoyens de Corée du Nord choisiraient ?”

Twitto : “Je pense qu’ils vous traiteraient de porc…”

Également choqué par ceci, le journaliste Glenn Greenwald tweeta alors :

“Bonjour. Je suis un oligarque de la Silicon Valley qui a décidé de discuter publiquement et nonchalamment de la question de savoir si mon gouvernement devrait exterminer la vie de 2,5 millions d’êtres humains (dans un pays où mon gouvernement a déjà exterminé 20% de la population civile). À votre service !”

La réaction de Jason a d’ailleurs été éloquente :

“Il s’agit d’une question hypothétique conçue pour discuter de l’une des questions les plus pressantes de notre époque – et non pas d’un appui à cette stratégie.
C’est pourquoi c’est une question avec un sondage.
Avons-nous perdu la capacité de discuter de situations difficiles et de mener un sondage ?!”

“Quand Glenn envoie une foule après moi, en disant que je plaide en faveur du génocide, c’est exactement destiné à supprimer toute discussion.”

Au-delà de ce simple échange sur Twitter – mais au combien illustratif -, l’exemple le plus fameux reste évidemment celui de l’ancienne Secrétaire d’État américaine de Bill Clinton, Madeleine Albright. En 1996, devant la caméra de CBS, elle ne semblait pas trop atteinte par le fait que son embargo contre l’Irak ait probablement entraîné la mort de 500 000 enfants irakiens (Source : Youtube) :

Dans cette autre vidéo, 16 ans plus tard, si elle reconnait qu’elle n’aurait pas dû donner le fond de sa pensée, elle ne semble néanmoins guère avoir changé d’opinion…

 

via » L’attitude initiale ambigüe des États-Unis envers l’État Islamique (3/5) : Des livraisons (involontaires ?) d’armes à l’ennemi

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