Le Covid-19 peut-il faire éclater la zone euro ?

Alors que la réunion de l’Eurogroupe a débouché sur un accord faible, Alexandra Phillips et Charles-Henri Gallois pensent que cette crise pourrait être fatale pour la zone euro.

Il n’a échappé à l’attention de personne que les pays européens les plus gravement touchés par le Covid-19 sont l’Italie, l’Espagne et la France (respectivement 18.279, 15.447 et 12.210 morts au 9 avril). Ces pays souffraient déjà avant la crise d’un euro surévalué pour leur économie.

L’écart des taux entre les pays

La crise du Covid-19 et le confinement produiront une récession et un déficit massifs. Les marchés financiers vont anticiper ces déficits pour des pays qui ont déjà une dette publique très importante. L’Italie et l’Espagne pour qui l’économie au noir représente une part importante vont sans doute souffrir le plus. Fin 2019, la dette publique italienne était de 136,2% du PIB, celle de la France de 98,1% et celle de l’Espagne de 97,5%. Même s’ils partagent la même monnaie, les différents pays de la zone euro n’empruntent pas au même taux d’intérêt car le marché ajoute une prime de risque de solvabilité, liquidité mais aussi de convertibilité (si un pays retrouve sa monnaie nationale et qu’elle se déprécie). Par conséquent, pour ce qui est des obligations d’État à 10 ans, l’Allemagne emprunte à -0,4%, la France à 0,1%, l’Espagne à 0,7% et l’Italie à 1,5%. L’écart de taux entre l’Allemagne est un autre pays de la zone euro est appelé le « spread ». Naturellement, les marchés anticipant les chocs économiques et la hausse de la dette demanderont un taux d’intérêt encore plus important aux pays du Sud.

L’idée est très clairement d’éviter une trop grande envolée des taux d’emprunt pour les pays à risque.

Nous disons naturellement car l’administration de la BCE, anticipant la catastrophe, et rattrapant la bourde de Christine Lagarde qui a expliqué dans un premier temps que ce n’était pas le travail de la BCE de diminuer les spreads, est intervenue pour contrecarrer ce phénomène. Ils ont annoncé un « Pandemic European Purchasing Program » (PEPP) de 750 milliards d’euros. C’est en fait un énième assouplissement quantitatif (« Quantitative Easing » en anglais) mais la grande nouveauté est qu’il n’y a plus de limite sur la part des obligations d’États détenue par les banques centrales. L’idée est très clairement d’éviter une trop grande envolée des taux d’emprunt pour les pays à risque.

Une crise inédite

Pour contourner et respecter les traités européens, ce sont toujours des achats des banques centrales nationales sur le marché secondaire. C’est un financement indirect. Quand une banque centrale achète des obligations, cela fait monter le prix et baisser le taux. Il s’agit d’une sorte de manipulation de marché et toutes ces dernières années depuis la crise de 2008 et la crise de l’euro ont été marquées par des injections massives de liquidités qui faussent les prix réels. Cela avait fonctionné jusque-là mais cette fois-ci, il se pourrait que ce ne soit plus le cas. On voit d’ores et déjà que les marchés actions et obligations réagissent peu à ces annonces d’assouplissement quantitatif.

C’est une crise comme nous n’en avons jamais connue avec à la fois l’offre et la demande à l’arrêt. Même en période de guerre, ce n’est pas le cas. Pour vous donner un ordre d’idée, en une semaine 6,6 millions de personnes ont perdu leur emploi aux États-Unis et 10 millions sur les deux dernières semaines de mars alors que nous ne sommes qu’au début d’une crise qui est arrivé plus tard chez eux. On peut anticiper que pour l’Italie, l’Espagne et la France cet arrêt amènera un déficit de plus de 10% pour 2020 et une récession de l’ordre de -15%. Pour l’Italie, cela veut dire une dette qui dépassera largement les 150% du PIB à fin 2020. Dans ces conditions, même un assouplissement quantitatif d’envergure aura du mal à empêcher une hausse du taux d’emprunt.

De toute façon, avec le trou budgétaire laissé par le Brexit, l’Allemagne et les Pays-Bas ont déjà annoncé qu’ils n’accepteront aucune augmentation significative du budget de l’UE.

Les pays du Sud de la zone euro en ont bien conscience. C’est dans cette optique qu’ils ont demandé des « Coronabonds ». Ce nom marketing revêt le même principe que le vieux serpent de mer des « Eurobonds » qui n’ont jamais vu le jour. Il s’agit en fait d’une mutualisation des dettes publiques entre les différents pays de la zone euro. C’est une obligation de la zone euro assumée par tous ses membres. Cette proposition est constamment refusée par l’Allemagne, les Pays Bas et la Finlande qui ne veulent pas payer pour les pays du Sud, même s’ils bénéficient d’une monnaie sous-évaluée.

Comme ils ne veulent pas mutualiser les dettes, une autre solution serait des transferts budgétaires massifs dans le cadre du budget de l’UE. Cela ne fonctionnerait pas car la France et l’Italie sont des contributeurs nets et seraient encore plus saignés. De toute façon, avec le trou budgétaire laissé par le Brexit, l’Allemagne et les Pays Bas ont déjà annoncé qu’ils n’accepteront aucune augmentation significative du budget de l’UE. C’est la même chose pour le projet mort-né de budget de la zone euro poussé par Emmanuel Macron et Bruno Le Maire. Des projets financés par la Banque européenne d’investissement (BEI), comme cela est proposé lors de l’eurogroupe actuel, seraient par ailleurs très insuffisants.

Alors, quelle est l’unique solution qui pourrait être acceptée par l’Allemagne, les Pays-Bas et la Finlande ? Nous la connaissons et ils l’ont déjà proposé. Ils considèrent qu’il faut utiliser le Mécanisme européen de stabilité (MES), le fonds de crise de la zone euro. Concrètement, c’est un fonds de 700 milliards d’euros, où la France assure 143 milliards d’euros, qui sert de garantie pour obtenir des prêts à des taux plus bas sur les marchés pour les pays qui connaissent des difficultés à se financer. Vu comme cela, nous pourrions nous dire que c’est un formidable exemple de « solidarité européenne ». Eh bien, ne soyez pas si enthousiaste, cette crise a déjà montré qu’il n’existe pas de solidarité au sein de l’UE.

Les mauvais résultats du Mécanisme européen de stabilité

En effet, le MES ne permet pas seulement l’obtention de prêt avec meilleur taux mais il implique des conditions et des contreparties. L’article 12 du Traité instituant le MES explique sans ambages que « cette conditionnalité peut prendre la forme, notamment, d’un programme d’ajustement macroéconomique ou de l’obligation de continuer à respecter des conditions d’éligibilité préétablies ». L’UE a déjà en grande partie la main sur la politique économique et sociale de ses membres dans le cadre de l’article 121 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et ses fameuses Grandes orientations des politiques économiques (GOPÉ) qui sont la feuille de route économique et sociale des gouvernements. Avec l’activation du MES, cela revient à une prise de contrôle total. On ne valide plus votre budget, on vous le donne clés en mains.

C’est la mort d’un pays et d’un peuple. Du moins, sa réduction en esclavage.

Les Grecs pourront en témoigner. Durant la crise de l’euro, la Grèce qui ne pouvait plus se financer sur les marchés, sauf à des taux usuriers, a obtenu trois prêts par le MES en 2010 (c’était le fonds ancêtre du MES qui a été créé en 2012), 2012 et 2015 pour 289 milliards d’euros. L’économie grecque a alors subi une prise de contrôle totale et une austérité massive y a été imposée. Le Ministre des finances allemand, Wolfgang Schäuble était en première ligne pour faire appliquer le programme économique voulu par la Troïka, avec le soutien de l’allemand Klaus Regling, directeur général du MES. Ils ont torturé la Grèce pour montrer l’exemple aux autres pays « non vertueux ».

Quel a été le résultat de l’utilisation du MES pour la Grèce ?

  • Le PIB a fondu d’un quart en 8 ans,
  • Il y a eu des baisses massives des retraites, entre -20 et -40% selon les régimes,
  • Le taux de suicide a augmenté de 45% depuis 2008,
  • Il y a 35% de pauvres et un salarié sur trois gagne 317 euros par mois.

C’est la mort d’un pays et d’un peuple. Du moins, sa réduction en esclavage.

La fin de l’euro ?

En ayant cet exemple en tête, il est ahurissant que le ministre des Finances français Bruno Le Maire ose demander à ce que la France, l’Italie et l’Espagne utilisent le MES avec comme seul argument « ce dispositif a été fabriqué pour les temps de crise, il faut donc l’utiliser en temps de crise« . Même s’il a demandé ultérieurement qu’il soit activé sans contrepartie, on sait pertinemment que l’Allemagne et les Pays Bas ne cèderont pas. Ils ont en plus les règles du Traité du MES pour eux. L’accord de l’eurogroupe du 9 avril ne change pas grand-chose à cette donnée puisque la partie sans condition ne concerne que les dépenses de santé et dans la limite de 2% du PIB, soit 35 milliards d’euros pour l’Italie. Quand on sait que pour une année normale, l’Italie doit lever environ 400 milliards d’euros… En 2020, elle aura sans doute besoin de lever 600 milliards d’euros. Ce MES sans condition couvrira moins de 6% des besoins de financement. Cela n’empêchera pas l’envolée des taux.

L’Italie avait d’ores et déjà fait savoir qu’elle n’utiliserait pas le MES sous condition. Que peut-il se passer

1/ Ce nouvel assouplissement quantitatif sera suffisant pour maintenir des taux bas ou l’Allemagne fera des concessions (accepte les Coronabonds ou un MES sans condition). L’euro pourra survivre encore quelques années.

2/ Les spreads de taux vont augmenter et l’Italie ne sera plus en mesure de se financer.

  • L’Italie acceptera finalement un MES avec condition et sera mise en esclavage par le MES. L’euro pourra survivre encore quelques années.
  • L’Italie sortira de l’euro, reprendra la lire pour financer directement sa dette par la Banque centrale italienne sur le marché primaire. Elle sera souveraine et décidera librement de sa politique économique et sociale.

Si l’Italie quitte l’euro, ce sera fatal. L’Italie est la 3e économie de la zone euro. L’Espagne et la France devront sortir car l’Italie est un concurrent direct. L’Italie avec une monnaie dépréciée, adaptée à son économie, sera un choc trop grand pour éviter une sortie en chaîne. Un éclatement total de la zone euro.

De toute façon, la crise du Covid-19 a montré une fois de plus que pendant les périodes de crises, seules les nations comptent.

Sur le long terme, l’euro ne peut pas survivre. Une monnaie a toujours été liée à une nation et à un peuple. Il n’y a pas plus de nation qu’il n’y a de peuple européen. Il n’y a pas de solidarité au sein de l’UE. Peut-être que la crise du Covid-19, suivie d’une crise économique et financière accélérera la mort de l’euro. Les Italiens se sentent abandonnés et sont furieux contre l’UE. Un sondage de l’institut Termometro de mars montrait pour la première fois qu’une majorité d’Italiens seraient favorables à l’Italexit. Si cet éclatement ne vient pas d’une crise financière, il se peut que la sortie de l’euro soit menée politiquement par l’Italie avec une gouvernement différent de l’actuel. Le 30 mars, on a vu le vice-président de la Chambre des députés italienne, Fabio Rampelli, décrocher le drapeau de l’UE pour le remplacer par celui de l’Italie. Le 2 avril, pendant un direct Facebook, Matteo Salvini, chef de la Lega et en tête des sondages, a finalement lâché le morceau : « Un référendum sur la sortie de l’UE ? Ce serait parfaitement compréhensible ».

De toute façon, La crise du Covid-19 a montré une fois de plus que pendant les périodes de crises, seules les nations comptent. L’UE et l’euro seront balayés par l’Histoire.

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