Le marché des embryons, un business florissant

Voici le témoignage de Jennifer Lahl, fondatrice du CBC Center of Bioethics and Culture Network, et à l’origine de la campagne Stop Surrogacy Now, pour l’abolition universelle de la GPA. Cette campagne connaît un grand succès ; le président Macron lui-même s’est déclaré hostile à toute légalisation de la GPA. Mais les clients se tournent vers d’autres formules, dont l’achat d’embryons promis à la destruction. Jennifer Lahl fait le point dans un article récent intitulé Que deviennent les embryons abandonnés ? :

 

Je l’ai dit et je le redis, ça commence presque toujours par une histoire bouleversante.

Le cas le plus récent est une bataille pour la garde d’embryons en Arizona, et cette affaire souligne la profondeur des émotions en jeu autour de la procréation artificielle et de l’édification d’une famille, et comment les vies humaines sont affectées par un système judiciaire qui cherche à faire ce qui est juste au milieu d’un chaos éthique complet. Dans les batailles pour la garde d’embryons, il n’y a jamais de gagnants, mais des quantités de perdants, et ce sont les embryons qui ont le plus à perdre.

En 2014, Ruby Torres, à l’âge de 33 ans, contracte un cancer du sein triplement négatif, le plus agressif, celui pour lequel les chances de survie à cinq ans sont les plus basses. Elle était alors fiancée. Le traitement devait la rendre stérile, si bien qu’avec son fiancé Joseph Terrell, ils décidèrent de faire une FIV afin de créer des embryons et de les congeler pour un « usage » ultérieur. Ils signèrent un contrat stipulant que ni l’un ni l’autre ne pourraient « utiliser les embryons sans consentement écrit de l’autre ». Puis ils se marièrent.

En août 2016, Terrell entreprend des démarches pour divorcer et dit à la Cour qu’il ne veut plus avoir d’enfant avec Torres. L’affaire est devant les tribunaux de l’Arizona, où il n’y a pas de jurisprudence sur le sort des embryons surnuméraires ; D’un côté, Torres, désormais stérile, se bat pour son droit à avoir des enfants biologiques ; de l’autre, Terrell se bat pour son « droit à n’être pas parent ». Un juge aux affaires familiales du comté de Maricopa a récemment décidé que les embryons devaient être donnés à des couples en recherche d’embryons à adopter ou à une clinique de fertilité, puisque Torres et Terrelle n’arrivent plus à s’entendre. Mais Torres fait appel.

 

Il devrait y avoir une loi

Comment empêcher l’apparition de situations de ce genre à l’avenir ? Le plus simple serait d’adopter une loi semblable à celle qui est en vigueur en Allemagne. La loi interdit la fabrication d’embryons dits surnuméraires. Seuls trois embryons peuvent être créés pour un processus de FIV, et ils doivent tous être transférés dans le ventre de la mère.

Mais le don et l’adoption d’embryons sont un énorme business aux US. On estime qu’il y a environ 750 000 embryons congelés dans le pays. Et au niveau fédéral, environ 28 millions de dollars sont consacrés à des programmes de « don » d’embryons, ce qui donne lieu à une nouvelle industrie complète, ne donnant aucun signe de vouloir disparaître d’elle-même.

Notre pays est loin de pouvoir envisager une solution à l’allemande. Nous sommes happés par des histoires bouleversantes d’enfants « flocons de neige ». À l’époque de Bush jr. les batailles sur les embryons surnuméraires faisaient rage : fallait-il les détruire pour des usages médicaux ou les faire adopter dans des foyers aimants ? C’est ce qu’a développé le programme Snowflakes. À l’époque, presque personne ne se battait pour une loi bannissant la fabrication et la congélation d’embryons humains, pas plus que maintenant ; et voilà comment on en arrive au cas qui est soumis àux tribunaux en Arizona.

 

Des âmes sur glace

Au plus fort de ces batailles, Liza Mundy écrivait dans Mother Jones sur ces « âmes sur glace ». C’était en 2006, quand il n’y avait encore qu’un demi-million de ces embryons congelés. Le débat s’était engagé à partir du cas d’un couple californien qui avait 14 embryons surnuméraires congelés. Devaient-ils en faire nom à d’autres couples, qui les porteraient les élèveraient. Et qu’en serait-il de tous ces frères et sœurs qui seraient élevés dans des familles différentes ? Fallait-il donner les embryons pour la recherche scientifique ? Ou les laisser mourir, finalement ?

C’était il y a 11 ans. Il y en bien plus, et le nombre de ces « âmes sur glace » augmente rapidement, maintenant. Nombreux sont ceux qui ne survivent pas au processus. Dès 1972, Paul Ramsey expliquait que la congélation d’embryons constituerait une expérience contraire à l’éthique et devrait relever de l’interdiction totale. Mais la communauté médicale ne l’a pas écouté…

J’insiste exclusivement sur ceci ; aucun de ces chercheurs ne peut exclure la possibilité qu’ils causent un dommage irréparable à un enfant à naître. Et ma conclusion est qu’ils ne peuvent se targuer d’aucune victoire dans la mesure où ils sont incapables de prévenir tous les dommages.

En d’autres termes, les gens s’imaginent que c’est parfait, de pouvoir congeler, décongeler et transférer des embryons humains dans des utérus, mais la vérité c’est que les intéressés ne peuvent en aucune manière consentir à ce qu’on leur fait subir. En fait, la recherche s’amuse à fabriquer ces enfants pour les suivre tout au long de leur vie, afin de voir comment ils s’en sortent. Est-ce que ce n’est pas horrible ?

Comment faire le ménage dans ce mic-mac ?

 

Parents, venez reprendre vos enfants !

Une bonne chose à faire pour commencer : limiter légalement le nombre d’embryons qui peuvent être mis en route, et interdire leur congélation, comme le fait l’Allemagne. Et pour ceux qui sont déjà stockés, cryogénisés ? Il faudrait une politique qui exige des gens qui les ont créés de prendre une décision. Que les parents décident à qui les transférer, mais qu’ils ne soient plus donnés à la recherche scientifique, où ils seront détruits

Mais il faut que ces parents prêts à donner leurs embryons en adoption sachent à quoi s’attendre : ces enfants vont être bouleversés quand ils apprendront et comprendront ce qui a été l’histoire de leur conception : l’histoire d’un abandon, d’un rejet, parce qu’ils ont été déclarés encombrants, indésirables. C’est un énorme fardeau. Avec mon expérience en matière de don d’ovocytes, de sperme et GPA, je ne sais que trop à quel point ces enfants vont être obsédés par la quête de leurs parents biologiques, de leurs frères et sœurs, et de leur famille étendue, sans pouvoir surmonter leur sentiment originel d’abandon, de n’être pas aimés non plus par ceux à qui ils sont échus.

 

Qui a l’obligation morale de congeler des embryons ?

En tout cas, nous, les gens en général n’avons aucune obligation de sauver les embryons congelés, pas plus que de donner un rein. Ces actes relèvent de la bonté mais non d’une exigence morale. Les médecins qui ont participé à la création et à la congélation d’embryons ont violé le serment d’Hippocrate, à la racine de la médecine, dans la mesure où ils ont blessé à mort certains embryons, ceux qui ne survivront pas au processus de congélation et de décongélation.

Selon ses convictions religieuses, chacun peut admettre des acceptions variées du devoir envers les embryons abandonnés et de leurs droits à la vie.

Je m’en tiens pour ma part à la recommandation du théologien luthérien Gilbert Meilaender, de l’université de Valparaiso, dans son livre Not by Nature but by Grace. Il écrit : « Ce que les chrétiens devraient au moins vouloir, c’est un bref rite religieux pour accompagner leur mort, une liturgie pour recommander les plus faibles de tous les êtres humains à Dieu, assortie d’une prière où nous demanderons, comme dans les Psaumes, jusqu’à quand Dieu permettra que ces choses-là continuent. C’est donner à voir notre humanité que d’accompagner ces pauvres êtres congelés à mort, pour les mettre sous la protection divine ».

Mais nous devons aussi reconnaître, comme l’établit l’encyclique Donum vitae, que « dans la mesure où ils ont été produits in vitro, les embryons qui ne sont pas transférés dans le corps de leur mère sont exposés à un destin absurde, sans aucune possibilité de se voir offrir des moyens sains de survivre de façon licite. »

 

Oui, ces humains subissent un destin absurde et tragique

En fait, aux US, le terme de don recouvre tout autre chose : l’adoption d’embryon n’a rien d’anonyme, ni de gratuit, comme elle l’est en France. Déjà en 2015, « aux États Unis, ces embryons sont proposés à la vente aux couples souffrant de double infertilité, au prix de 20 000 dollars. Il s’agit d’un nouveau produit sur le marché qui entraine une nouvelle forme d’esclavage », déclare le docteur Alexandra Henrion-Caude, généticienne et directrice de recherche à l’Inserm à l’Hopital Necker. À la différence que les esclaves connaissaient leurs origines. « Ici, on nie l’humanité à ces embryons humains qui deviennent l’objet d’une offre supplémentaire sur un marché économique ». « Quel regard l’enfant, même aimé, portera sur ceux qui l’ont acheté 20 000 dollars ? » s’interroge Alexandra Henrion-Claude.

 

***

Note : en France, où en est-on ?

La loi de bioéthique de 2004 autorisait déjà la recherche sur les embryons congelés depuis plus cinq ans et « sans projet parental »…

La Croix publiait en mai 2016 :

Dans certains pays, comme la Grande-Bretagne, il est déjà possible de fabriquer des embryons pour la recherche, tandis que fin mai, le ministère de la Santé des Pays-Bas a annoncé vouloir modifier la loi dans ce sens (une telle fabrication est prohibée en France). Le risque d’instrumentalisation est réel, davantage qu’en 1994 au moment des premières lois de bioéthique, souligne Jean-François Mattei, qui en fut l’un des principaux artisans. Il est crucial d’éviter toute banalisation. Certes, la médecine doit progresser, mais la fin ne justifie pas les moyens. L’embryon ne devrait jamais être considéré comme un matériau de laboratoire utilisable et jetable.

Mais en 2015, en tout cas, « les rapports d’activité ne sont pas renseignés depuis 2010 et d’après un audit de l’Agence de Biomédecine, les registres ne sont même pas tous numérisés », selon un article de Généthique.

En 2017, l’Agence de bio-médecine certifie que désormais, les labos peuvent importer et exporter des embryons destinés à la destruction par la recherche :

En application des dispositions du code de la santé publique, l’Agence de la biomédecine est compétente pour délivrer les autorisations relatives aux demandes de :

Protocoles de recherche sur l’embryon embryon ou les cellules souches embryonnaires humaines (article L. 2151-5)

Importation et exportation de cellules souches embryonnaires humaines à des fins de recherche (article L. 2151-6)

Conservation à des fins scientifiques de cellules souches embryonnaires humaines (article L. 2151-7)

Qui dit mieux ? Jusqu’où ira-t-on ?

 

via Le marché des embryons, un business florissant – Egalite et Réconciliation

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