Le patient 31 : Comment la dynamique de transmission du SARS-CoV-2 devrait éclairer la politique, ou le nouveau paradigme de Pareto et le paradoxe de l’amitié (partie 1)

Auteur(s): Bénédicte Helfer pour FranceSoir

Cette tribune est divisé en 3 parties, voici la première. 

Pour un traçage bidirectionnel :Encore une fois, l’intendance ne suit pas…La mise en place de couvre feux dans 54 départements de France en attendant un probable reconfinement, est un aveu d’échec du gouvernement : Une politique de « tests sauvages », laissé à l’entière appréciation du citoyen, avec des tests non adaptés car non standardisés, a induit une situation catastrophique, non seulement en raison des délais inadmissibles dans les résultats des tests les rendant partiellement voir totalement inefficaces, mais également en terme de coût pour la Sécurité Sociale.

Il faut cibler 2 populations : vers « l’avant », les personnes à risque (traçage prospectif), vers « l’arrière » (traçage rétrospectif), les super propagateurs responsables de clusters ; Et rajouter d’autres outils, comme les tests antigéniques rapides, et la détection du virus dans les eaux usées(11).

Il faut cibler 2 populations : vers « l’avant », les personnes à risque (traçage prospectif), vers « l’arrière » (traçage rétrospectif), les super propagateurs responsables de clusters ; Et rajouter d’autres outils, comme les tests antigéniques rapides, et la détection du virus dans les eaux usées(11).

Source : https://www.washingtonpost.com/graphics/2020/world/coronavirus-south-korea-church/

En Corée du Sud, la patiente 31, une femme de 61 ans, est devenue la première fidèle de l’église Shincheonji de Jésus à Daegu à être testée positive. Un peu plus d’un mois plus tard, le groupe de l’église de Shincheonji comptait 5 080 cas confirmés de covid-19, soit plus de la moitié du total de la Corée du Sud.

L’isolement des cas symptomatiques et asymptomatiques, et le dépistage et la mise en quarantaine de leurs contacts sont une mesure de contrôle de santé publique de base, et ont le potentiel d’éviter la nécessité de politiques strictes de distanciation physique qui entraînent des effets préjudiciables sur la société (par exemple, les confinements et couvre feux) ((1) (2)).

En identifiant et en mettant en quarantaine ceux qui ont été récemment en contact avec des personnes infectées, le contrôle de l’épidémie peut être réalisé sans restrictions générales sur la population générale, car le nombre de transmissions secondaires de SRAS-CoV-2 par cas présente une hétérogénéité substantielle au niveau individuel, qui se traduisent souvent par des événements dits de super-propagation ((3) (4) (5)) : Une grande proportion d’infections peut être liée à une petite proportion de clusters originels. En conséquence, trouver et cibler les clusters d’origine ainsi que les infections ultérieures améliorera considérablement l’efficacité des méthodes de traçage ((6) (7)).

Le traçage prospectif utilisé en France des contacts cible les individus « en aval », qui peuvent avoir été infectés par le cas d’index; c’est-à-dire ceux qui ont été en contact avec le cas index après le cas index et qui ont un risque d’être devenus infectieux (souvent supposés 2 jours avant le début de la maladie pour le COVID-19 ((8) (9)).

Cependant, le traçage rétrospectif pourrait également être utilisé pour identifier le cas primaire en amont qui a infecté le cas index (ou un contexte ou un événement au cours duquel le cas index a été infecté) en retraçant l’historique du contact jusqu’au point d’exposition probable, c’est-à-dire jusqu’à 14 jours avant à l’apparition des symptômes (10).

Le couplage de ces 2 formes de traçage permettant la mise en place d’une stratégie de traçage bidirectionnelle qui serait plus efficient pour contenir l’épidémie actuelle, en proposant une vision systémique, concordante et robuste de la propagation virale, et en permettant la mise en place d’un outil sanitaire en complément de l’outil de veille sanitaire déjà proposé, l’épidémiologie des eaux usées (11).

I – La problématique des asymptomatiques

Depuis le début de la pandémie, une question essentielle se pose: combien de personnes asymptomatiques y a-t-il, et quel est leur rôle dans la transmission du virus ?

En France, Santé Publique France estime que 25% des cas restent asymptomatiques, et que 50% des transmissions se réalisent au stade pré-symptomatique (12).

Une récente méta-analyse sur 94 études publiée dans PLoS Medicine  (13) et réalisée par des chercheurs de l’Institut de médecine sociale et préventive suisse répond un peu plus précisément à cette question : L’estimation de la proportion de personnes asymptomatiques est comprise entre 17 à 25 % au minimum, jusqu’à 26 à 37% tout au long de l’infection.

Une capacité de transmission limitée : La contamination par les personnes asymptomatiques semble faible : le risque relatif d’infection semble diminué de 75 % (avec un intervalle de confiance assez large, entre -90 et +27), comparé à une personne symptomatique. Dans les études de modélisation, les individus présymptomatiques sont les plus contagieux. Plusieurs limites sont néanmoins présentes dans cette étude.

Une douzaine d’études documentent des situations où la personne ayant transmis l’infection était vraisemblablement asymptomatique ou en phase présymptomatique.((14) (15) (16) (17) (18) (19) (20) (21) (22) (23) (24) (25) (26)).

Les études de population comportant un suivi sont celles qui permettent le mieux d’estimer la proportion de personnes réellement asymptomatiques. Ces études évitent la sélection d’individus basée sur leurs symptômes et permettent de distinguer les cas présymptomatiques de ceux asymptomatiques ((27) (28) (29) (30) (31) (32) (33) (34) (35)).

Dans les 10 études de ce type utilisant des tests de détection génétiques ou antigéniques répertoriées à ce jour, la proportion de cas asymptomatiques rapportée varie de 4,1 % à 78,8 %. Malgré cette importante variabilité, quatre études sur 10 rapportent des proportions entre 12,2 % et 17 %.

Une revue systématique incluant neuf études de population avec suivi a d’ailleurs estimé une proportion globale de 15 % (IC à 95 % : 12 % à 18 %) (36). La variabilité observée pourrait s’expliquer, entre autres, par les différences dans la distribution d’âge.

Plusieurs études comparent la prévalence des cas asymptomatiques selon l’âge et indiquent que la probabilité d’avoir une forme asymptomatique diminue avec l’âge. Chez les personnes très âgées, la proportion de personnes asymptomatiques semble toutefois plus élevée que chez les adultes moins âgés. Bien que la majorité de ces études présente différentes limites importantes, par exemple une faible taille d’échantillon, une incapacité à distinguer les cas pré symptomatiques ou post-symptomatiques des réelles personnes asymptomatiques ou un biais dû à la sélection de l’échantillon (par exemple, sélection basée sur la présence de symptômes ou de contacts avec des cas confirmés), leurs résultats vont tous dans la même direction ((37) (38) (39) (40) (41) (42) (43) (44) (45)).

Plusieurs études ont tenté de quantifier la proportion de transmission pré symptomatique : La plupart des études suggèrent que cette proportion est importante, particulièrement lorsque l’isolement des personnes symptomatiques est recommandé et implanté ; la transmission symptomatique en est alors réduite et rend la proportion relative des transmissions pré symptomatiques plus grande. Cependant, quelques études suggèrent au contraire que la transmission pré symptomatique est faible. Ces contradictions peuvent s’expliquer par le fait que plusieurs études sur le sujet ont des limites importantes. De plus, la proportion de transmission pré symptomatique dépend de l’épidémiologie locale, des symptômes considérés, de la stratégie de dépistage, des mesures de prévention et de protection (isolement des cas) en place, de la méthodologie utilisée et du type d’environnement.

Dans ces études, la proportion de transmission par personnes pré-symptomatiques varie de 6,4 % (46) à 44% (48) .Une modélisation mathématique donne une proportion de 56,4% (49). Deux modèles ont estimé respectivement une proportion de transmissions présymptomatiques à 37 % et à 47 % (50).

Une littérature grandissante indique que les personnes asymptomatiques transmettent peu le SRAS-CoV-2 :

À l’aide d’un modèle mathématique, la proportion des infections dues à une transmission asymptomatique est estimée à 6 % (0 % à 57 %) (50).

– La charge virale du cas asymptomatique inclus dans cette étude était similaire à celle des cas (n = 17) symptomatiques (51). À noter que la charge virale n’apparaît pas nécessairement corrélée au potentiel de transmission du virus.

– Chez les enfants, la transmission de l’infection même en présence d’une charge virale élevée n’est pas toujours assurée ((52) (53) (54).

– Cinq études n’ont observé aucun cas de transmission par des cas asymptomatiques ((55) (56); (57) (58) (59).

– Le taux d’attaque secondaire chez les contacts significatifs des cas asymptomatiques était de 2,6 %, comparativement à 9,7 % chez les pré symptomatiques (60).

Même s’il existe des pistes concernant le faible taux de transmission des asymptomatiques, la propagation non linéaire par clusters de la Covid-19, et l’importance des porteurs asymptomatiques maintient le problème d’une politique de dépistage efficiente.

II – Ce n’est pas la pandémie qui fait les clusters, ce sont les clusters qui font la pandémie

En épidémiologie des maladies infectieuses, les modèles mathématiques se sont peu à peu affirmés comme outils d’aide à la décision pour les politiques publiques (61).

Une approche fondatrice fut celle des modèles compartimentaux , de type déterministe, créés en 1927 par Anderson Gray McKendrick et William Ogilvy Kermack, puis étendu par ses derniers dans deux autres articles scientifiques quelques années plus tard.

Il existe deux grands types de modèles mathematiques pour l’étude de la dynamique épidémique d’une maladie transmissible : les modèles déterministes et les modèles stochastiques.

Les modèles déterministes actuellement utilisés de type SEIR partagent la population en sujets susceptibles de contracter la maladie (S), sujets exposes (E), sujets infectieux (I) et sujets retires de la chaine de transmission (R) (62).

Les modèles déterministes de type SEIR présentent cependant le grand inconvénient de ne pas prendre en compte des évènements aléatoires inéluctables lors des démarrages épidémiques, comme les évènements a très haut potentiel de contagion (super-spread events) qui ont une importance toute particulière dans le cas de la COVID-19.

L’impact de tels évènements aléatoires sur les courbes épidémiques peut etre évalué a l’aide d’une autre méthodologie appelée « stochastique ». Ainsi, chaque paramètre ne prend pas une valeur constante comme c’est le cas dans les modèles déterministes, mais prend une valeur différente a chaque simulation, cette valeur fluctuant à l’intérieur d’une loi de distribution qui reproduit au mieux la réalité des fluctuations de ce paramètre dans la nature. Ces modèles sont donc particulièrement adaptés à l’étude d’épidémies de nouveaux agents infectieux pour lesquels on connait encore peu l’impact des évènements aléatoires initiaux

Les schémas de modélisation de la distribution de maladie sont donc soit déterministes soit stochastiques : dans le premier cas la distribution de la propagation est plus linéaire et prévisible; dans le deuxième cas, le hasard joue un rôle beaucoup plus important et les prévisions sont difficiles, voire impossibles à faire. Les maladies comme la grippe sont presque déterministes et R0 (bien qu’imparfait) est un bon indicateur de la propagation (presque impossible d’arrêter jusqu’à ce qu’il y ait un vaccin). Les phénomènes de super propagation peuvent être représentées au figuré par le principe de Pareto, du nom du sociologue Vilfredo Pareto, parfois appelé le principe 80/20 (80% des résultats « significatifs » sont causés par 20% des intrants) : un petit nombre d’événements ou de personnes sont responsables de la majorité des conséquences.

Ainsi, se concentrer uniquement sur le R ou utiliser un manuel de lecture sur la pandémie de grippe ne fonctionnera pas nécessairement bien pour une pandémie surdispersée (63).

Nous connaissons bien maintenant la dynamique de l’épidémie COVID : il s’agit d’un pathogène se propageant par super propagateurs responsables d’une propagation par clusters, à l’inverse de la grippe qui présente une dynamique linéaire, mais ces connaissances ne sont pas encore pleinement entrées dans notre manière de penser la pandémie (ou nos pratiques préventives).

Au printemps 2020, peu de villes représentaient une part substantielle des décès dans le monde, alors que beaucoup d’autres ayant une densité, des conditions météorologiques, une répartition par âge et des habitudes de déplacement similaires ont été épargnés.

Plus tôt cette semaine, une étude massive de recherche des contacts (réalisée sur plus de 3 millions de personnes) en Inde publiée dans la revue Science a révélé que jusqu’à 70% des personnes infectées ne transmettaient le virus à personne, mais 8% des personnes représentaient 60% , soit trois sur cinq, des nouvelles infections observées (64).

Parmi les nombreuses explications avancées pour ces différences de propagation géographique (météo, populations âgées, vitamine D, immunité antérieure, immunité collective), aucune n’explique ces variations drastiques, sauf un élément négligé jusque-là, la propagation par cluster et le « facteur de dispersion k » du R0 ou R effectif. Ce modèle explique l’inégale contagiosité des individus.

R0 et différences de propagation

La notion de R0 et ensuite de R effectif est maintenant bien connue du grand public (65): R0 est un terme mathématique qui indique à quel point une maladie infectieuse est contagieuse. Il est également appelé nombre de reproduction. R0 vous indique le nombre moyen de personnes qui contracteront une maladie contagieuse d’une personne atteinte de cette maladie. Il s’applique spécifiquement à une population de personnes auparavant indemnes d’infection et qui n’ont pas été vaccinées. Par exemple, si une personne malade en infecte trois autres en moyenne, le R0 est de trois.

– Si R0 est inférieur à 1, chaque infection existante provoque moins d’une nouvelle infection. Dans ce cas, la maladie diminuera et finira par disparaître.

– Si R0 est égal à 1, chaque infection existante provoque une nouvelle infection. La maladie restera vivante et stable, mais il n’y aura pas d’épidémie ni d’épidémie.

– Si R0 est supérieur à 1, chaque infection existante provoque plus d’une nouvelle infection. La maladie sera transmise entre les personnes et il peut y avoir une épidémie.

Son évolution en temps réel est indiquée par le Rt, ou R effectif, qui varie en fonction des mesures sanitaires mises en place.

R0 n’est qu’une moyenne : Certaines personnes sont très peu contagieuses, tandis que d’autres peuvent en contaminer plusieurs dizaines à elles seules (66).

En général, les études arrivent à un R0 entre 2 et 3 pour la COVID-19, ce qui signifie que chaque personne qui contracte la maladie va la refiler à 2 ou 3 autres personnes en moyenne. Par comparaison, le R0 de la grippe saisonnière est généralement d’environ 1,3 à 1,5.

La deuxième partie sera publiée demain 

Auteur(s): Bénédicte Helfer pour FranceSoir

Source : France Soir

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