Les dessous de l’âpre discours anti-Iran de Trump, par Paul R. Pillar
Source : Consortium News, Paul R. Pillar, 24-04-2017
24 Avril 2017
Apaisant l’axe Arabie Saoudite-Israël au Moyen-Orient, le président Trump joue au dur face à l’Iran et aligne encore plus son administration sur l’orthodoxie néoconservatrice, comme l’explique l’ex-analyste de la CIA Paul R. Pillar.
Par Paul R. Pillar
L’administration Trump se donne du mal pour être, et pour avoir l’air, hostile et agressive envers l’Iran. Cet effort pour s’afficher comme un ennemi exclusif de l’Iran prend sa source dans les mêmes facteurs qui sous-tendent l’anti-iranisme le plus avéré aux États-Unis, le but de l’administration étant clairement de garder une longueur d’avance.
Ces éléments incluent une histoire mouvementée mise en lumière pour les Américains par la crise des otages de 1979-81. Ils incluent la pression des rivaux intra-régionaux de l’Iran – en particulier le gouvernement israélien mais aussi les régimes du Golfe – qui ont intérêt à décrire l’Iran comme la source de tous les troubles au Moyen-Orient et comme un démon qui détourne l’attention des problèmes qui sont davantage de leur fait.
Les États-Unis et surtout l’administration actuelle succombent volontiers à une telle pression, avec pour habitude de diviser le monde de manière simpliste entre les amis et les ennemis et prendre le parti des soit-disant amis dans des conflits locaux pour lesquels les États-Unis même n’ont pas réellement de raison valable de prendre parti. En lien avec cette manie est le besoin qui se fait sentir d’avoir un ennemi distinct tel un principe directeur contradictoire, un rôle que l’administration Trump est d’autant plus encline à mettre sur le dos de l’Iran vu les ambiguïtés politiquement sensibles de la relation que Trump entretient avec la Russie.
Récemment l’administration a mis les bouchées doubles pour claironner son hostilité envers l’Iran parce qu’il fallait soumettre une certification au Congrès quant à savoir si l’Iran respecte bien ses obligations sur l’accord nucléaire multilatéral connu sous le nom de Joint Comprehensive Plan of Action (Vaste Plan d’Action Conjoint/JCPOA). Une certification que l’Iran en effet respecte bien ses obligations était le seul moyen plausible de remplir cette obligation légale d’un rapport au Congrès, étant donné que l’Iran est en fait en conformité. L’Agence Internationale à l’Énergie Atomique a mis en œuvre le plus vaste et intrusif dispositif de surveillance international qu’un pays ait jamais consenti à accepter pour son propre programme nucléaire. Elle n’a cessé de l’appliquer depuis que l’accord a pris effet.
Éviter un mensonge de plus
En bref, l’accord joue son rôle exactement comme il est supposé le faire en gardant les activités nucléaires pacifiques en Iran. Tout autre déclaration au Congrès sur le sujet serait un mensonge. Ce président n’a aucune réticence à mentir, bien sûr, mais un tel mensonge signifierait créer inutilement une nouvelle crise parmi celles que le président a déjà créées , à l’étranger et dans la nation .
Le malaise de l’administration découle de la façon dont cette certification inévitable peut sembler être un geste positif envers l’Iran. En tant que tel, il pourrait être considéré comme un affaiblissement de la crédibilité de l’administration anti-Iran. En outre, admettre que le JCPOA fonctionne va à l’encontre de la dénonciation de Trump de l’accord comme étant le « pire accord de tout les temps ».
Ainsi, nous avons la rhétorique compensatoire de l’administration d’aujourd’hui, qui comprend autant de verbiages négatifs que possible sur l’Iran en général, ainsi que des calomnies sur le JCPOA. La plus grande partie de cette rhétorique tombe dans la veine familière et non spécifique qui ne s’intéresse pas du tout à ce que l’Iran fait ou ne fait pas et si cela affecte ou non les intérêts des États-Unis, mais utilise plutôt des slogans. Mais la tendance supplémentaire récente à rejeter l’Iran et l’accord nucléaire ont abouti à des formulations particulièrement stupides.
Par exemple, le vice-président Mike Pence, en visite en Australie dans l’autre partie du monde, et promettant lors d’une conférence de presse avec le Premier ministre Malcolm Turnbull que les États-Unis se conformeraient à un accord de réinstallation de réfugiés que Trump avait décrit comme un autre « accord stupide » a pris la peine de faire des commentaires sur la façon dont son président exprime « de la frustration concernant d’autres accords internationaux, notamment le soit-disant accord nucléaire avec l’Iran ». « Soit-disant » ?
Sur quel aspect de la JCPOA Pence essaie-t-il de jeter le doute en utilisant cette étiquette ? S’agit-il de matières nucléaires ? S’agit-il d’un accord ? S’agit-il de l’accord avec l’Iran? Le commentaire de Pence peut être enregistré au même registre que le commentaire de Trump sur le « soit-disant juge » qui a suspendu la mise en œuvre de l’interdiction de voyager anti-musulmane.
Une certification trompeuse
Ensuite, il y a la certification elle-même, qui se présente sous la forme d’une courte lettre du secrétaire d’État Rex Tillerson au porte-parole de la Chambre Paul Ryan. La lettre a été publiée sous la rubrique « L’Iran continue de parrainer le terrorisme ». Bonne chance à quiconque considère que le titre est un bon moyen de rechercher un document concernant le respect d’un accord nucléaire. La seule référence dans la lettre pour ce titre trompeur est la phrase unique : « L’Iran reste un support majeur de la terreur, par l’intermédiaire de nombreux programmes et méthodes. »
Comme beaucoup d’autres liens rhétoriques de l’Iran et du terrorisme, cette déclaration ignore les changements tactiques majeurs dans les années qui ont suivi la révolution iranienne, le fait que l’Iran est du même côté que les États-Unis dans la lutte contre les groupes terroristes comme l’EI, et le fait que les racines du genre d’extrémisme violent que représente l’EI doivent être trouvées bien plus du côté des rivaux de l’Iran qu’avec l’Iran lui-même.
Le jour qui a suivi la certification envoyée au Congrès, Tillerson a fait une déclaration à la presse qui était destinée à répandre un discours anti-Iran plus compensatoire. La déclaration de Tillerson comportait toutes les généralités ordinaires qui ne tiennent pas compte de ce que font tous les acteurs dans cette région comme le Yémen, où l’intervention des Saoudiens et des Émirats dans la guerre civile a été bien plus destructive et déstabilisatrice que tout ce qu’a pu faire l’Iran). Mais peut-être, la partie la plus grotesque de cette (déclaration était le lien fait entre l’Iran et le problème de sécurité le plus grave à ce jour, la Corée du Nord.
Arrêter de trouver un sens
Tillerson a déclaré : « Un Iran non contrôlé a le potentiel de suivre le même chemin que la Corée du Nord, et d’entraîner le monde avec lui. Les États-Unis souhaitent éviter une deuxième preuve que la patience stratégique est une approche d’échec. »
Et plus tard dans la déclaration, « Le JCPOA ne parvient pas à atteindre l’objectif d’un Iran non nucléaire ; cela ne fait que retarder leur objectif de devenir un état nucléaire. Cet accord représente la même approche ratée du passé qui nous a amenés à la menace imminente de la Corée du Nord à laquelle on doit faire face actuellement. L’administration Trump n’a pas l’intention de renvoyer la balle à une future administration sur l’Iran. »
Huh ? Loin de renvoyer la balle, l’administration Obama, grâce à un effort diplomatique immense, a accompli beaucoup plus que toute autre administration avant ou après, pour trouver une solution, que ce qui a été largement répandu (par exemple par le candidat présidentiel républicain de 2012) en tant que problème de sécurité numéro un pour les États-Unis. Loin de quitter l’Iran « sans contrôle », le JCPOA impose les limitations les plus sévères et un suivi international plus étendu (qui continue à perpétuité) sur le programme nucléaire national.
Si une « patience stratégique » a caractérisé quelque aspect de la politique américaine dans le passé sur l’Iran, c’était beaucoup plus tôt, avant Obama, une approche de simple empilement de plus de sanctions et l’espoir que, d’une manière ou d’une autre, cela persuaderait les Iraniens de réduire leurs activités nucléaires. Au lieu de cela, le résultat a été d’avoir plus de centrifugeuses et de plus en plus d’uranium enrichi – un processus que le JCPOA a non seulement stoppé mais inversé.
Une fausse analogie
Quoiqu’on puisse penser, en pour ou en contre, du Travail d’Accord qui a tenté de traiter des activités nucléaires de la Corée du Nord, il était très loin d’être aussi détaillé, efficace et applicable que le JCPOA. La base : l’Iran n’a pas d’armes nucléaires et toutes les voies possibles pour la fabrication d’une arme nucléaire iranienne ont été fermées. Cela fait une énorme différence avec ce que nous voyons en Corée du Nord, et il est ridicule de comparer ces deux cas en termes de « deuxième élément de preuve ».
Si la Corée du Nord est le grave défi qu’il est aujourd’hui c’est en raison de ses armes nucléaires – ce qui est la dimension qui a toujours été soulignée sur l’Iran jusqu’à ce que, après que le JCPOA ait fermé l’option de l’arme nucléaire, ceux qui voulaient maintenir l’hostilité envers l’Iran aient cherché d’autres motifs. Sans ses armes nucléaires, nous ne serions guère concernés par le royaume de l’ermite nord-coréen. Si Trump ou quelqu’un d’autre pouvait obtenir un accord avec la Corée du Nord, qui ressemblerait à quelque chose comme le JCPOA, ce serait un énorme triomphe diplomatique – et sans aucun doute considéré comme tel. Cela aurait aussi été un énorme triomphe diplomatique il y a une ou deux décennies, quand un tel accord était bien plus atteignable qu’aujourd’hui.
Trump lui-même s’est joint aux efforts supplémentaires pour éliminer la thèse anti-Iran. Lors d’une conférence de presse cette semaine avec le premier ministre italien, Trump a de nouveau dénoncé le JCPOA comme un « accord horrible » parmi « les plus mauvais que j’ai jamais vu négocié ». Comme d’habitude, aucun indice n’a été donné sur ce à quoi ressemblerait de meilleures alternatives ou pourquoi nous devrions croire que ces alternatives sont ou auraient été réalisables.
Ensuite, Trump a affirmé que l’Iran « ne respecte pas l’esprit de l’accord ». À quoi pouvait-il bien faire référence ? Trump ne l’a pas dit.
Conformité de l’Iran
Si l’on se concentre sur les obligations nucléaires dans le JCPOA même, il serait difficile de trouver un quelconque manque de bon esprit dans le fait vérifié que l’Iran observe à la lettre la panoplie d’engagements qu’il a pris. (L’Iran a réalisé les exigences initiales en vertu de l’accord, comme de réduire son approvisionnement en uranium faiblement enrichi, avec une diligence particulière et plus rapidement que prévu.)
Si on se réfère plutôt à une relation plus large au-delà de l’accord nucléaire lui-même, la première chose à retenir est que les parties qui ont négocié l’accord ont réalisé que si elles tentaient un programme trop vaste – comprenant les griefs de l’Iran contre les États-Unis comme les plaintes des États-Unis concernant l’Iran – alors il aurait probablement été impossible de conclure un accord nucléaire.
Il est à noter ensuite que la prépondérance de l’hostilité vient plus de l’administration Trump envers l’Iran que l’inverse, comme le montre la plus récente vague de rhétorique. C’est un changement dans l’administration à Washington, et non à Téhéran, qui a entraîné l’arrêt de ce qui était une voie de communication efficace au niveau des ministres des Affaires étrangères pour résoudre les problèmes (comme les marins américains qui s’égarent dans les eaux territoriales iraniennes) au-delà du problème nucléaire.
Et ce n’est pas seulement une rhétorique. L’écart le plus important des trois derniers mois par l’un ou l’autre gouvernement concernant les actions au Moyen-Orient a été l’attaque directe de l’administration Trump contre la Syrie alliée de l’Iran.
On se fera peut-être une meilleure idée de l’esprit actuel du JCPOA en écoutant tous les doutes exprimés par l’administration Trump quant à sa propre intention de respecter les termes de l’accord. « Le président Donald J. Trump a demandé un examen inter-agences du Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA) par le Conseil de Sécurité Nationale afin de déterminer si la suspension des sanctions liées à l’Iran conformément au JCPOA est essentielle aux intérêts de sécurité nationale des États-Unis ». Traduction : nous n’avons pas décidé si nous allons respecter nos obligations en vertu de l’accord. Pas mal comme respect de l’esprit de l’accord, non ?
Tous ces efforts pour redorer la légitimité anti-Iran n’exclut pas seulement toute possibilité de tirer parti de manière constructive du JCPOA pour aborder d’autres problèmes au Moyen-Orient de manière profitable aux intérêts des États-Unis. La rhétorique – conçue pour critiquer un état, plutôt que pour éclairer les causes des problèmes régionaux – obscurcit la nature de ces problèmes, fausse la compréhension du public et du Congrès et les rend plus difficiles à résoudre efficacement.
Paul R. Pillar, en 28 ans de service à l’Agence centrale de renseignement, est devenu l’un des meilleurs analystes de l’agence.
Source : Consortium News, Paul R. Pillar, 24-04-2017
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
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