Cette dernière chronique du «Bureaulogue» avant la trêve de l’été tombe à point nommé. À défaut de jeter une bouteille à la mer, je vais faire des ricochets linguistiques – le plus possible – sur toutes les plages les plus fréquentées de France et de Navarre, afin d’éradiquer cette expression insupportable qui perdure depuis des années… Cette mode insupportable qui consiste à dire que l’on est «en mode» quelque chose. «En mode réflexion», «en mode dodo», «en mode apéritif», «en mode rageux»… Rarement une expression n’a été aussi laide et lourde à la fois. «Je ne peux pas te parler là, je suis en mode débordé, complètement focus sur mon projet. Je reviens vers toi ASAP, dès que je serai en mode détente», lance un collègue qui a la réputation d’être débordé et qui porte toujours son épais casque audio sur les oreilles. Aux alentours, les oreilles saignent. Peut-être les vôtres…
D’où vient ce tic de langage? Sur le web, plusieurs mythes expliquent que c’est le rappeur Rohff qui en est le père, grâce – ou plutôt à cause – d’une chanson éponyme sortie en 2006. Je vous épargne ici les paroles que vous pourrez consulter sur Google s’il vous en prend l’envie. Est-ce réellement à cause de Rohff que l’on entend désormais «en mode» jusqu’en réunion? Pas certain. En réalité, cette expression «en mode» remonte aussi à l’époque du Windows 98! Rappelez-vous: le doux bruit du modem 56K qui annonçait votre connexion à internet, et l’allumage de votre ordinateur… «en mode» sans échec! En quelques années, nous sommes donc passés en mode gros échec linguistique.
À l’heure où des études apocalyptiques annoncent que des robots vont nous subtiliser notre travail et qu’il faut se méfier des ordinateurs et leurs algorithmes, nous devrions commencer par ne pas parler comme eux. Expliquer à votre N+1 que vous êtes «en mode débordé» revient à vous comparer à une machine. Or, sauf erreur de ma part, si vous lisez ces lignes, vous avez l’infinie bonheur d’être un être humain. Votre lave-vaisselle est «en mode» éco ou lavage rapide. Votre iPhone est «en mode» avion ou économie d’énergie. Pas vous. Je vous propose de profiter des vacances d’été pour méditer cela. Nous nous retrouverons d’ici quelques semaines. Dès qu’il sera l’heure de se mettre «en mode rentrée»!