Les nouveaux « macs » des cités
C’est le nouvel eldorado des délinquants de banlieue, un eldorado qui inquiète les autorités et qui affecte principalement de jeunes adolescentes fragiles, instables et coupées de leur famille. Ils ont généralement entre 20 et 25 ans, un casier bien rempli et s’improvisent proxénète. Un phénomène en plein essor. « Ces proxénètes de cité, qui puisaient habituellement leurs ressources dans les stups, le recel ou les faux papiers, voient en ces jeunes femmes une nouvelle manne financière facile à exploiter », explique une source policière. En effet, depuis 2 ans, plus de 20 enquêtes ont été diligentées pour des affaires de proxénétisme en banlieue, principalement via des plateformes internet de petites annonces.
Battues, séquestrées, privées de nourriture
Deux affaires sordides et emblématiques révèlent les méthodes de ces nouveaux « macs » sans scrupules.Des enquêtes qui détaillent aussi l’horreur que vivent les victimes de ces nouveaux réseaux de prostitution. À Marseille, ce sont deux jeunes filles de 19 et 21 ans qui ont vécu l’enfer pendant plusieurs semaines. Battues, livrées aux sévices sexuels des amis de leurs bourreaux, puis enfermées trois semaines sans nourriture, les jeunes filles ont été ensuite contraintes de se prostituer. Constamment surveillées par des geôliers peu scrupuleux, elles étaient littéralement prisonnières de leurs proxénètes. C’est la DIPJ de Marseille qui a permis de résoudre l’affaire et d’identifier les deux hommes à la tête du réseau. Originaires du même quartier, ils ont été écroués en début de semaine dans ce dossier pour séquestration, viols et violences. Mais les services de police ont eu récemment la fâcheuse surprise de découvrir que les deux compères continuaient de gérer le réseau depuis leur cellule ! Une organisation qui a depuis été éradiquée.
Quelque part entre Lyon et la région parisienne, c’est une jeune fille de 15 ans qui est tombée dans les griffes de ces organisations. Partie de son domicile à Lyon, ses parents signalent sa disparition, l’adolescente sera retrouvée… en région parisienne. Les enquêteurs de la PJ lyonnaise ont retrouvé sa trace après une longue enquête et des filatures. La jeune fille avait vécu, là aussi, un véritable calvaire. Prise en charge par un couple d’une vingtaine d’années, le mari était chargé de veiller sur elle et de l’emmener se prostituer dans des hôtels sordides, des rendez-vous qu’avait pris sa femme auparavant, véritable secrétaire maquerelle, c’est elle qui s’occupait de répondre aux clients de l’annonce sur Internet et de fixer le lieu et le tarif de la prestation.
Une organisation très hiérarchisée
Le mode opératoire est à chaque fois très proche. Des bandes bien connues dans des quartiers sensibles, très organisées, structurées et hiérarchisées, où chacun tient son rôle, du geôlier au souteneur en passant par le standardiste et des adolescentes désœuvrées qui passent par des annonces internet très explicites via des sites très fréquentés. Les jeunes filles, qui ont souvent des profils similaires, sont savamment choisies : fragiles, naïves, insouciantes, sans emploi ou en échec scolaire, et livrées à elles-mêmes, elles sont les cibles idéales pour ce genre de réseaux. Certaines d’entre elles sont parfois très jeunes, entre 13 et 17 ans, selon les enquêteurs. Exploitées par des caïds du quartier, elles sont tantôt retenues prisonnières dans un appartement de la cité, tantôt trimbalées d’hôtel sordide en lieu de passe. Très mobiles, ces jeunes filles peuvent même changer de région selon les désirs de leurs clientèles et de leurs bourreaux.
Ces nouveaux « macs » ont, eux aussi, sensiblement tous le même profil. Passés par la délinquance et le trafic de stups, ils voient dans la prostitution un moyen de faire beaucoup d’argent tout en prenant beaucoup moins de risques que dans la délinquance « traditionnelle ». Ils gèrent les filles comme de véritables esclavagistes, allant même jusqu’à les séquestrer à domicile, dans des appartements au cœur de la cité, où elles sont forcées de recevoir leurs clients et sont surveillées par des complices. Un système bien huilé.
Véritable machine à cash
La prostitution, ça rapporte, et ça, les délinquants l’ont bien compris. Les bénéfices générés par le proxénétisme en France s’élèveraient à 1,15 milliard, selon une étude réalisée en 2012. Si l’économie souterraine des cités s’est longtemps consolidée grâce au trafic de stups, les délinquants semblent diversifier leur activité et avoir trouvé un nouveau secteur porteur. Une vraie machine à cash. De l’argent qui pourrait aussi alimenter et aider à l’achat de grosse quantité de stupéfiants, voire être investi dans le trafic d’armes. Et, si ce phénomène inquiète au plus haut point, c’est que les autorités redoutent une guerre des gangs. « Nous sommes attentifs à ce nouveau phénomène émergent qui va, par les gains générés par l’exploitation sexuelle, attirer les convoitises et peut très vite entraîner des conflits entre bandes rivales, à l’image des règlements de comptes qui ont sévi dans les années 1970 », confie Jean –Marc Droguet, chef de l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains.